Kosovo
La dévastation du patrimoine orthodoxe serbe du Kosovo
En deux jours d’émeutes, plus de trente églises et monastères serbes du Kosovo ont été détruits par les émeutiers albanais. Au total, depuis juin 1999, près de 150 lieux de culte ont été pillés, incendiés, profanés ou vandalisés. Des moines et des moniales serbes s’accrochent pourtant au Kosovo, considéré comme la terre sacrée de l’orthodoxie serbe.
De notre envoyé spécial à Pristina
«Beaucoup de gens pensaient que nous étions paranoïaques, et qu’il était temps d’alléger le dispositif de sécurité devant les églises et les monastères serbes. On a vu le résultat. Il y a deux ans, le général Valentin, qui commandait la KFOR (Force internationale de maintien de la paix et la sécurité au Kosovo, sous commandement de l’Otan), aurait même voulu lever les check-points autour de notre monastère de Visoki Decani, mais notre higoumène a insisté pour que la protection soit maintenue», explique le père Ksenofon, un jeune moine originaire de Croatie, qui vit depuis huit ans dans ce haut lieu de l’orthodoxie serbe. Comme lui, la plupart des moines de Visoki Decani sont des convertis qui ont abandonné l’université et la vie civile ces dix dernières années. Niché au pied du massif des Montagnes maudites, tout près de la frontière albanaise, le monastère a été construit au XIVe siècle par le roi serbe Stefan III Decanski. À l’époque turque, des Albanais se partageaient la charge, prestigieuse et rémunératrice, de gardiens du monastère. Durant les bombardements de l’Otan, au printemps 1999, le monastère abritait 200 réfugiés, majoritairement albanais, mais depuis cinq ans, les moines vivent retranchés, sans pouvoir accéder à la ville voisine, entièrement albanaise. «Nous sommes la dernière tache serbe dans une région qui a été entièrement nettoyée par les extrémistes», explique le père Ksenofon.
Contrairement à Visoki Decani, transformé en camp retranché par la KFOR italienne, les militaires allemands de la force internationale n’ont pas protégé les édifices orthodoxes de Prizren, une grande ville voisine, résidence principale de l’évêque du Kosovo. En quelques heures, la faculté de théologie orthodoxe, le palais épiscopal, toutes les églises et toutes les dernières maisons serbes de la ville ont été détruites. «Le monastère des Saints Archanges est situé à l’écart de la ville, à trois kilomètres de Prizren. Pourquoi les Allemands n’ont-il pas dressé un barrage pour couper la route ? Lorsque 5000 manifestants ont commencé à incendier le monastère, ils ne pouvaient plus s’opposer à la foule et ils se sont contentés d’évacuer les huit moines», s’interroge le père Ksenofon. Il salue au contraire l’attitude de la KFOR italienne: «à Djakovica, les Italiens ont résisté durant plus de quatre heures à une foule en folie, pour essayer de sauver la dernière église orthodoxe de la ville, dans laquelle s’étaient réfugiées cinq vieilles femmes. Finalement, ils ont dû lâcher prise, et toute trace de la présence serbe a disparu de cette ville».
Effacer toute présence serbe de la province
Les militaires italiens gardent également tous les accès au monastère patriarcal de Pec, à une dizaine de kilomètres de Visoki Decani, qui abrite depuis le Moyen Âge le siège de l’Église orthodoxe serbe. Même s’il réside habituellement à Belgrade, le patriarche de Serbie porte en effet le titre de patriarche de Pec, et est couronné ici. Une vingtaine de sœurs vivent en permanence dans le monastère, qui se dresse à l’écart de la ville, à l’entrée du majestueux canyon de la Rugova. «Le patriarche vient nous voir plusieurs fois par an, malgré son grand âge», explique une novice, qui rappelle que le dernier séjour du patriarche Pavle remonte aux célébrations de Noël. La veille des émeutes, l’évêque de Niksic, au Monténégro, était venu célébrer la liturgie à Pec. Une semaine plus tard, il est toujours bloqué au monastère, car les militaires italiens n’osent pas l’évacuer.
Depuis juin 1999, il n’y a plus de Serbes à Pec, mais depuis quelques mois, un programme pilote de retour des réfugiés avait été mis en place dans le village de Belo Polje, qui jouxte la ville. Après les événements de Mitrovica, des milliers de manifestants ont marché sur Belo Polje, incendiant les maisons neuves qui venaient d’être reconstruites. Les soldats italiens ont ouvert le feu, tuant un émeutier. Aussitôt, la foule a pris la direction de la patriarchie, heureusement bien gardée par la KFOR.
Suivant la règle grégorienne, les moines de Visoki Decani partagent leur temps entre prière et travail: sculpture sur bois, peinture d’icône, et gestion d’un site Internet, qui informe sur la situation de l’Église orthodoxe au Kosovo. «Nous essayons de centraliser les informations qui remontent du terrain: trente églises ont été détruites en deux jours. Au total, ce sont plus de 150 lieux de culte orthodoxes qui ont été rayés de la carte du Kosovo depuis 1999», explique le père Ksenofon. Aucun lieu de culte serbe n’avait été attaqué durant la guerre par la guérilla de l’UCK, mais dès juin 1999, dans les semaines qui ont suivi l’entrée des troupes internationales au Kosovo, des dizaines d’églises ont été pillées, incendiées ou profanées. Au cœur de la Drenica, le monastère féminin de Devic se dresse ainsi dans une zone entièrement albanaise. Dès 1998, l’UCK contrôlait les abords du monastère, où des combats acharnés ont eu lieu avec la police serbe. En juin 1999, le monastère a été partiellement pillé par des inconnus, qui ont été vandalisé les icônes en leur crevant les yeux, reprenant le geste que les Turcs ont souvent commis en arrivant dans les Balkans. Les sœurs, cependant, sont restées à Devic. La semaine dernière, elles ont été évacuées vers le monastère de Sokolica par la KFOR, et Devic a été abandonné…
Pour le père Ksenofon, le but des extrémistes albanais est de faire disparaître toute trace de la présence serbe, en s’attaquant aux symboles de cette présence séculaire. «Les Albanais prétendent même maintenant que nos monastères médiévaux auraient été construits sur les ruines de monastères catholiques albanais plus anciens. Leur obsession est de prouver qu’ils sont les premiers occupants de ce territoire et qu’ils y auraient donc tous les droits». Au Kosovo, l’Église orthodoxe serbe a dû accepter de jouer un rôle politique, servant souvent d’intermédiaire entre la communauté serbe et l’administration internationale du protectorat. À cause du régime de Milosevic, les Serbes ont été désignés comme les seuls coupables de tous les crimes commis dans les Balkans, mais l’Europe va-t-elle tolérer le nettoyage ethnique qui se poursuit au Kosovo ?
«Beaucoup de gens pensaient que nous étions paranoïaques, et qu’il était temps d’alléger le dispositif de sécurité devant les églises et les monastères serbes. On a vu le résultat. Il y a deux ans, le général Valentin, qui commandait la KFOR (Force internationale de maintien de la paix et la sécurité au Kosovo, sous commandement de l’Otan), aurait même voulu lever les check-points autour de notre monastère de Visoki Decani, mais notre higoumène a insisté pour que la protection soit maintenue», explique le père Ksenofon, un jeune moine originaire de Croatie, qui vit depuis huit ans dans ce haut lieu de l’orthodoxie serbe. Comme lui, la plupart des moines de Visoki Decani sont des convertis qui ont abandonné l’université et la vie civile ces dix dernières années. Niché au pied du massif des Montagnes maudites, tout près de la frontière albanaise, le monastère a été construit au XIVe siècle par le roi serbe Stefan III Decanski. À l’époque turque, des Albanais se partageaient la charge, prestigieuse et rémunératrice, de gardiens du monastère. Durant les bombardements de l’Otan, au printemps 1999, le monastère abritait 200 réfugiés, majoritairement albanais, mais depuis cinq ans, les moines vivent retranchés, sans pouvoir accéder à la ville voisine, entièrement albanaise. «Nous sommes la dernière tache serbe dans une région qui a été entièrement nettoyée par les extrémistes», explique le père Ksenofon.
Contrairement à Visoki Decani, transformé en camp retranché par la KFOR italienne, les militaires allemands de la force internationale n’ont pas protégé les édifices orthodoxes de Prizren, une grande ville voisine, résidence principale de l’évêque du Kosovo. En quelques heures, la faculté de théologie orthodoxe, le palais épiscopal, toutes les églises et toutes les dernières maisons serbes de la ville ont été détruites. «Le monastère des Saints Archanges est situé à l’écart de la ville, à trois kilomètres de Prizren. Pourquoi les Allemands n’ont-il pas dressé un barrage pour couper la route ? Lorsque 5000 manifestants ont commencé à incendier le monastère, ils ne pouvaient plus s’opposer à la foule et ils se sont contentés d’évacuer les huit moines», s’interroge le père Ksenofon. Il salue au contraire l’attitude de la KFOR italienne: «à Djakovica, les Italiens ont résisté durant plus de quatre heures à une foule en folie, pour essayer de sauver la dernière église orthodoxe de la ville, dans laquelle s’étaient réfugiées cinq vieilles femmes. Finalement, ils ont dû lâcher prise, et toute trace de la présence serbe a disparu de cette ville».
Effacer toute présence serbe de la province
Les militaires italiens gardent également tous les accès au monastère patriarcal de Pec, à une dizaine de kilomètres de Visoki Decani, qui abrite depuis le Moyen Âge le siège de l’Église orthodoxe serbe. Même s’il réside habituellement à Belgrade, le patriarche de Serbie porte en effet le titre de patriarche de Pec, et est couronné ici. Une vingtaine de sœurs vivent en permanence dans le monastère, qui se dresse à l’écart de la ville, à l’entrée du majestueux canyon de la Rugova. «Le patriarche vient nous voir plusieurs fois par an, malgré son grand âge», explique une novice, qui rappelle que le dernier séjour du patriarche Pavle remonte aux célébrations de Noël. La veille des émeutes, l’évêque de Niksic, au Monténégro, était venu célébrer la liturgie à Pec. Une semaine plus tard, il est toujours bloqué au monastère, car les militaires italiens n’osent pas l’évacuer.
Depuis juin 1999, il n’y a plus de Serbes à Pec, mais depuis quelques mois, un programme pilote de retour des réfugiés avait été mis en place dans le village de Belo Polje, qui jouxte la ville. Après les événements de Mitrovica, des milliers de manifestants ont marché sur Belo Polje, incendiant les maisons neuves qui venaient d’être reconstruites. Les soldats italiens ont ouvert le feu, tuant un émeutier. Aussitôt, la foule a pris la direction de la patriarchie, heureusement bien gardée par la KFOR.
Suivant la règle grégorienne, les moines de Visoki Decani partagent leur temps entre prière et travail: sculpture sur bois, peinture d’icône, et gestion d’un site Internet, qui informe sur la situation de l’Église orthodoxe au Kosovo. «Nous essayons de centraliser les informations qui remontent du terrain: trente églises ont été détruites en deux jours. Au total, ce sont plus de 150 lieux de culte orthodoxes qui ont été rayés de la carte du Kosovo depuis 1999», explique le père Ksenofon. Aucun lieu de culte serbe n’avait été attaqué durant la guerre par la guérilla de l’UCK, mais dès juin 1999, dans les semaines qui ont suivi l’entrée des troupes internationales au Kosovo, des dizaines d’églises ont été pillées, incendiées ou profanées. Au cœur de la Drenica, le monastère féminin de Devic se dresse ainsi dans une zone entièrement albanaise. Dès 1998, l’UCK contrôlait les abords du monastère, où des combats acharnés ont eu lieu avec la police serbe. En juin 1999, le monastère a été partiellement pillé par des inconnus, qui ont été vandalisé les icônes en leur crevant les yeux, reprenant le geste que les Turcs ont souvent commis en arrivant dans les Balkans. Les sœurs, cependant, sont restées à Devic. La semaine dernière, elles ont été évacuées vers le monastère de Sokolica par la KFOR, et Devic a été abandonné…
Pour le père Ksenofon, le but des extrémistes albanais est de faire disparaître toute trace de la présence serbe, en s’attaquant aux symboles de cette présence séculaire. «Les Albanais prétendent même maintenant que nos monastères médiévaux auraient été construits sur les ruines de monastères catholiques albanais plus anciens. Leur obsession est de prouver qu’ils sont les premiers occupants de ce territoire et qu’ils y auraient donc tous les droits». Au Kosovo, l’Église orthodoxe serbe a dû accepter de jouer un rôle politique, servant souvent d’intermédiaire entre la communauté serbe et l’administration internationale du protectorat. À cause du régime de Milosevic, les Serbes ont été désignés comme les seuls coupables de tous les crimes commis dans les Balkans, mais l’Europe va-t-elle tolérer le nettoyage ethnique qui se poursuit au Kosovo ?
par Jean-Arnault Dérens
Article publié le 27/03/2004 Dernière mise à jour le 29/03/2004 à 15:02 TU