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Kosovo

Des Albanais réclament la libération d’anciens combattants de l’UCK

Depuis quelques jours, des milliers d’Albanais se rassemblent régulièrement dans les grandes villes du pays, pour réclamer la libération d’anciens rebelles arrêtés par l’Onu. Le 15 août dernier, des affrontements entre policiers de l’Onu et manifestants albanais ont fait plus de 50 blessés dans les deux camps, à Decani.
De notre correspondante au Kosovo

Au milieu de portraits d’anciens combattants de la guérilla albanaise de l’UCK entouré d’enfants, et de drapeaux albanais - un aigle noir bicéphale sur fond rouge - Illiorona est outrée : «C’est grâce à l’UCK que nous vivons libres aujourd’hui, comment peut-on arrêter nos héros et les accuser de crimes ?», s’indigne la jolie blonde, artiste albanaise de 30 ans. Comme les milliers de manifestants qui ont défilé à travers le Kosovo ces dernières semaines, elle protestait contre les arrestations récentes par la police de l’Onu d’anciens combattants de la guérilla albanaise de l’UCK. Les deux derniers, Rrustem Mustafa et Daut Hardinaj, anciens commandants, ont été inculpés et arrêtés au motif qu’ils ont torturé, détenu illégalement et tué des civils albanais, «collaborateurs» des forces serbes pendant la guerre. Sachant que Daut Haradinaj n’est autre que le frère de Ramush Haradinaj, ancien guérillero et un des principaux leaders politiques albanais du Kosovo. Ce dernier a lui aussi été inculpé, pour «troubles à l’ordre public», lors d’un règlement de compte avec une famille rivale, dans son fief à l’ouest du Kosovo.

«Nos gouvernants sont des marionnettes au service de la Serbie et de l’Onu, ils trahissent la cause albanaise», fustigeait le porte-parole des organisateurs, les vétérans de guerre. Après avoir considéré que les anciens combattants étaient des «prisonniers politiques», les leaders albanais ont fait marche arrière et appelé à ne pas manifester contre la communauté internationale. Aussi aucun d’entre eux n’était-il présent. «Nous devons éviter de nous confronter avec la communauté internationale, elle nous a aidés comme aucune autre nation au monde», a estimé Hashim Thaci, leader du Parti démocratique du Kosovo et ancien responsable politique de l’UCK. «Personne ne peut porter atteinte aux valeurs de la guerre de libération de notre peuple, c’était une guerre juste, reconnue et aidée par l’Occident», ajoutait Hashim Thaci, précisant qu’aucun soutien ne serait apporté aux arrestations.

Les arrestations bien vues par certains

Les avertissements de la communauté internationale ont été décisifs, ainsi que leur soutien à la police et au département de la justice de l’Onu. Ce qui ne veut pas dire que la communauté albanaise ne soit récalcitrante à reconnaître que des crimes aient pu être commis par ses «héros». «Peut-être, mais c’était la guerre, les bourreaux étaient les Serbes et nous les victimes», estime Nexmije Sahiti, une manifestante en tenue léopard de 50 ans. Depuis le début de l’année, la mission de l’Onu au Kosovo (MINUK) multiplie les arrestations d’anciens combattants de l’UCK, qui ont été intégrés au Corps de protection du Kosovo, une unité civile théoriquement responsable en cas de catastrophes naturelles, mais en réalité crée pour tenir les anciens combattants à l’œil. Les procureurs et juges internationaux tentent ainsi d’en nettoyer les rangs. «Il nous est difficile de prouver leur implication dans le crime organisé ou le meurtre de serbes car personne ne veut témoigner, mais pour le meurtre de civils albanais il y a des preuves», explique un procureur international qui tient à rester anonyme. Sachant que les dernières arrestations concernent d’anciens combattants qui se trouvent aussi sur une liste noire américaine de personnes qui «menacent la stabilité régionale».

Dans ce contexte, la majorité des Albanais semblent peu encline à apporter un soutien massif aux anciens combattants arrêtés. Sans le dire publiquement, par solidarité nationale, beaucoup ne voient pas d’un mauvais œil ces arrestations, surtout les couches urbaines qui en ont assez des manières rustres de certains ex-combattants et de leur implication dans divers trafics. Mais les choses peuvent changer si certains d’entre eux sont inculpés de crimes de guerre contre les civils serbes et jugés par le système judiciaire du Kosovo aux mains des internationaux ou le Tribunal Pénal International de la Haye. En effet, l’opinion albanaise est amère : la Minuk a échoué à arrêter Milan Ivanovic, un leader serbe soupçonné d’avoir jeté une grenade sur les forces de l’OTAN lors d’une manifestation le 8 avril dernier. Et de manière générale, les victimes albanaises du régime de Slobodan Milosevic attendant toujours que les exécutants, pour la plupart en Serbie, répondent de leurs actes. Un jeu de funambule pour la communauté internationale, peu aidée par les leaders politiques Serbes et Albanais, qui se refusent à prendre leurs responsabilités et expliquer à l’opinion que séparer le bon grain de l’ivraie est la condition de la stabilité régionale.



par Milica  Cubrilo

Article publié le 24/08/2002