Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Kosovo

Le mystère des morts de Racak

Dans le village de Racak, au Kosovo, la lumière n’a pas été faite sur les circonstances exactes de la mort de 45 Albanais en 1999. La tuerie de Racak a été le point de départ de l’opération de l’Otan contre le Kosovo et la Serbie.
De notre correspondant dans les Balkans

Plusieurs dizaines de villageois s’affairent dans le petit cimetière accroché à flanc de colline, dominant le village de Racak. Il faut dégager les tombes de la neige, avant la commémoration devant rappeler le troisième anniversaire du massacre de 45 habitants albanais du village, le 15 janvier 1999. Le vieux Bekim Mustafa s’affaire à dégager un chemin dans la neige vers le cimetière. Son fils de 21 ans, Muharem, a été tué dans la maison familiale. Pourra-t-il jamais pardonner ce drame? «Il n’y a plus aucun Serbe dans la région, et ils ne doivent jamais revenir. Si j’en avais l’occasion, je tuerais de mes mains le premier Serbe venu», explique-t-il calmement.

Racak aurait dû rester un petit village sans histoire, situé à quelques kilomètres de la ville de Stimlje, dans le centre du Kosovo. Au début de l’année 1999, Racak se trouvait dans une sorte de no man’s land, entre la ville de Stimlje, contrôlée par les forces serbes, et les positions de la guérilla albanaise de l’UCK établie dans la montagne. L’UCK contrôlait le village voisin de Petrovë, et les guérilleros paradaient souvent à Racak, sans y avoir établi de base fixe. Au début du mois de janvier, le chef de la police serbe de Stimlje est abattu par un sniper dans le centre du village où il effectuait une tournée d’inspection. Les forces serbes décident de lancer une sévère opération de représailles.

Des doutes sur le déroulement des événements

Le vendredi 15 janvier 1999 dans l’après-midi, le nom de Racak fait le tour du monde, après que les premiers journalistes sont entrés, presque par hasard, dans le village, pour y découvrir les traces d’un épouvantable massacre. Le lendemain matin, le chef de la mission de l’OSCE au Kosovo, l’américain William Walker se rend à Racak et dénonce immédiatement «un crime contre l’humanité».

Très vite, plusieurs questions se posent. Le vendredi après-midi, les journalistes avaient vu des corps sans vie étendus dans les rues de Racak, mais le samedi matin, c’est un véritable charnier qui est découvert dans un fossé surplombant le village. Plusieurs corps sont horriblement mutilés. S’agit-il de prisonniers exécutés par les policiers serbes? Ou doit-on imaginer que l’UCK ait elle-même déplacé les corps de certaines victimes afin de produire un effet plus spectaculaire encore? Il est établi que l’opération de la police serbe a commencé le vendredi vers dix heures du matin, mais le déroulement exact des opérations reste contesté, alors même que l’OSCE disposait d’une cellule d’observation sur une colline située en face de Racak. Un doute a même plané sur le nombre exact des victimes. Les habitants de Racak savent qu’ils doivent regretter 45 des leurs, mais certains combattants de l’UCK qui n’étaient pas originaires du village ont, eux aussi, trouvé la mort. Belgrade parla d’une opération punitive contre des combattants armés –une thèse d’autant plus facile à soutenir que presque toutes les victimes sont des hommes– mais, selon les Albanais, les villageois de Racak auraient été désarmés.

Ces questions demeurent toujours largement sans réponse, mais le choc créé par le massacre de Racak dans l’opinion internationale permit d’enclencher la mécanique qui mena aux bombardements de l’Otan, à la fin du mois de mars.

«C’était un crime contre l’humanité. L’UCK n’était pas dans le village», affirme le vieux Bekim. «Seul William Walker a eu le courage de dire la vérité». En signe de reconnaissance, les villageois ont donné le nom de l’Américain à la mauvaise route qui mène à Racak, mais dans le village, aucun monument commémoratif ne rappelle le massacre. Les langues hésitent toujours à se délier.

Agron Mehmeti, un jeune homme d’une trentaine d’année, fait partie des rares survivants qui se trouvaient dans le village lors de l’offensive des forces serbes. «J’ai tout vu, mais je ne peux pas parler», explique-t-il, prétendant que le Tribunal pénal international de La Haye lui aurait imposé une consigne de silence. Un cercle de villageois se forme autour de l’imam de Racak, qui évoque les macabres négociations qu’il a dû mener avec la police serbe pour avoir le droit d’enterrer les victimes. Le vieux dignitaire religieux n’a pas le temps de reprendre le décompte des corps qui lui ont été présenté. Un jeune homme entre dans la pièce, manifestement envoyé par le Parti démocratique du Kosovo (PDK), la formation politique des anciens guérilleros de l’UCK, pour contrôler ce que les villageois pourraient dire au journaliste étranger.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 15/01/2002