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Kosovo

Impuissance internationale

Le déferlement de violences anti-serbes qui a accompagné la disparition tragique de jeunes Albanais, la semaine dernière, a révélé la permanence du profond fossé qui continue de diviser les communautés serbe et albanaise de la province, en dépit de l’implication durable de la communauté internationale. Face aux violences, les soldats de la KFOR ont été débordés.
De notre envoyé spécial.

Une foule émue a convergé dimanche matin vers le village de Cabra, à une dizaine de kilomètres de Mitrovica, pour les obsèques des deux jeunes enfants morts noyés, mardi soir, dans la rivière Ibar qui coule en contrebas du village. La disparition tragique d’Egzon Deliu, 13 ans, et d’Avni Veseli, 12 ans, a été le détonateur des violences qui ont embrasé le Kosovo la semaine dernière. Un troisième garçon, Florent Veseli, est toujours porté disparu, tandis que l’unique témoin survivant, Fetim Veseli, affirme qu’il jouait avec ses cousins près de la rivière, quand des jeunes Serbes du village voisin de Zupce les ont insulté et ont lancé sur eux un chien féroce. Dans la panique, les jeunes Albanais se seraient noyés.

Moins d’un kilomètre sépare les deux villages, Cabra l’albanais et Zupce le serbe. Depuis deux ans, aucun check point de la KFOR ne sépare les deux villages, dont les habitants empruntent la même route nationale pour se diriger les uns vers le sud albanais, les autres vers les enclaves serbes du nord de la province.

Du haut de leur colline, les Serbes de Zupce regardent la foule qui se presse dans les rues boueuses de Cabra, et l’impressionnant dispositif militaire de la KFOR déployé pour sécuriser l’événement. Bogoslav Petrojevic habite la maison la plus proche de la route. «Je n’ai rien vu et rien entendu, avant que la police n’investisse les lieux mardi en fin d’après-midi. J’ai appris l’incident par la télévision. Mais l’explication fournie par les Albanais ne tient pas : aucun Serbe n’aurait osé s’approcher de la rivière pour provoquer des jeunes Albanais. Depuis 1999, nous n’osons pas nous approcher de Cabra». Les deux villages s’observent depuis l’instauration du protectorat international sur le Kosovo, et les villageois des deux communautés, autrefois amis ou associés en affaires, ne se parlent plus. Quelques villageois serbes avancent d’autres explications : les enfants albanais auraient pu jouer de manière imprudente et tomber dans la rivière, dont les eaux glaciales sont agitées de dangereux tourbillons. Un mauvais nageur n’a aucune chance de s’en sortir.

À peine la nouvelle de l’accident a-t-elle été répandue par la télévision, les Albanais ont commencé à attaquer les Serbes à Mitrovica et dans tout le Kosovo, mais étrangement, aucun incident n’a eu lieu autour des deux villages où s’est joué le drame initial. «Ce n’était qu’un prétexte, et les extrémistes albanais avaient préparé leur coup pour essayer de parachever le nettoyage ethnique des Serbes du Kosovo», s’indigne Bogoslav Petrojevic, chaudement approuvé par les villageois.

«Un millier d’hommes en armes»

Officiellement, la KFOR a dû interrompre l’enquête qu’elle avait ouverte, en raison de la précipitation des violences, de sorte que l’on risque fort de ne jamais connaître la vérité sur cet épisode. Malgré cela, les funérailles auxquelles ont assisté le Premier ministre du Kosovo Bajram Rexhepi, et le chef de la Mission des Nations unies, Harri Holkeri, se sont déroulées sans incident. Les renforts reçus par la KFOR ces derniers jours devraient contribuer à ramener le calme dans le territoire, mais la reprise du dialogue politique entre les représentants serbes et albanais et la communauté internationale, dans les prochains jours, risque d’être très difficile.

À Mitrovica, Oliver Ivanovic, membre de la présidence du Parlement du Kosovo et président du Conseil national serbe local, s’apprêtait à rencontrer lundi le secrétaire général de l’Otan, qui doit se rendre au Kosovo. Pour lui, les événements de la semaine dernière illustrent la faillite de cinq années de protectorat des Nations unies.

Dans le camp serbe, Oliver Ivanovic est un réaliste qui prône depuis des années le dialogue avec la communauté internationale. «La KFOR a réduit dangereusement ses effectifs, en répétant que la situation s’améliorait. Au bout de cinq années de protectorat, il était en effet difficile de reconnaître qu’il n’y avait toujours aucune sécurité pour les Serbes, que des meurtres et des pillages continuaient à se produire en toute impunité. Le résultat, c’est que les soldats internationaux ont été totalement débordés». Olivier Ivanovic souscrit à l’hypothèse d’un plan concerté des violences, mais refuse d’orienter les soupçons dans une seule direction : «il y a en permanence au moins un millier d’hommes en armes au Kosovo, qui obéissent à différentes armées secrètes. Beaucoup d’anciens guérilleros de l’UCK trouvent que leur objectif d’indépendance du Kosovo tarde à se réaliser et regrettent le temps où la possession d’une arme leur donnait tous les droits».

Oliver Ivanovic veut croire que le calme va revenir, «à condition que la KFOR remplisse effectivement son devoir qui consiste à protéger effectivement tous les citoyens du Kosovo. Sinon, nous n’aurons pas d’autres solutions que de réclamer le retour de l’armée de Serbie-Monténégro». Et il ajoute : «En tout cas, nous avons perdu le peu de confiance que nous avions dans la communauté internationale. Nous sommes prêts à discuter, mais à condition que les mesures concrètes suivent».





par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 22/03/2004