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Kosovo

Le risque de la radicalisation

Quasi boycott serbe, faible participation albanaise, progression des courants radicaux, et un meurtre politique le lendemain du scrutin : les élections municipales de samedi n’augurent rien de bon pour l’avenir de la province.
De notre envoyé spécial au Kosovo

Les résultats définitifs des élections municipales de samedi n’étaient pas encore connus que le sang avait déjà coulé dans la province au Kosovo. Le maire sortant de Suva Reka, une grande ville de l’ouest de la province, militant de la Ligue démocratique du Kosovo (LDK) d’Ibrahim Rugova, a été assassiné par des sympathisants du Parti démocratique du Kosovo (PDK), la formation issue de la guérilla de l’UCK, alors qu’il fêtait sa probable réélection.

Selon les données fournies par le KACI – un organisme indépendant de contrôle des élections – les grands équilibres de la scène politique albanaise ne devraient pas être modifiés, mais la LDK continue de connaître une lente érosion de son influence, déjà observée lors des précédentes consultations. La LDK aurait réuni environ 45% des suffrages, contre 25% au PDK et 7% à l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK), une formation également issue de la guérilla. Malgré cela, la LDK perd le contrôle de plusieurs communes importantes : Malisevo, Lipljane, Decani et même peut-être la grande ville de Pec, dans l’ouest de la province.

Dans ces deux dernières villes, les listes de l’AAK sont arrivées très nettement en tête, confirmant l’ancrage régional de ce parti, créé et dirigée par Ramush Haradinaj, un ancien commandant de l’UCK. Le frère de Ramush Haradinaj est actuellement emprisonné à Pec et devrait être bientôt jugé localement pour crimes de guerre. La menace de transfert vers le Tribunal pénal international de La Haye se resserre ces derniers temps autour de Ramush Haradinaj et de plusieurs de ses proches.

50% des électeurs albanais se sont rendus aux urnes

Ces résultats traduisent le mécontentement des électeurs face à l’immobilisme et à l’inefficacité des cadres locaux de la LDK, mais à cet égard, le chiffre le plus révélateur est sûrement celui de la participation : à peine plus de 50% des électeurs albanais se sont rendus aux urnes.

Plusieurs facteurs se sont conjugués : lassitude des scrutins à répétition, stagnation de la situation économique et politique, sans oublier le fait que nombre d’électeurs qui résident à l’étranger n’ont pas jugé bon de revenir au pays pour accomplir leur devoir électoral. Samedi, le Kosovo a voté, mais sans plus rien de l’enthousiasme des premières consultations d’après-guerre.

Alors que la Mission des Nations Unies au Kosovo a prévu d’opérer d’importants transferts de compétence vers les nouvelles assemblées municipales élues, le renforcement du poids des courants radicaux dans les conseils municipaux risque de ne pas faciliter la tâche de l’administrateur international Michael Steiner. Le meurtre de Suva Reka fait aussi craindre une nouvelle flambée de violence politique inter-albanaise.

Michael Steiner n’a pas davantage lieu de se réjouir de la participation des Serbes aux élections municipales. Dans la partie nord de Mitrovica, la ville symbole de la division du Kosovo, pratiquement pas un seul électeur serbe n’a jugé bon de se rendre aux urnes, et la participation atteint péniblement 15% des inscrits parmi les Serbes du Kosovo réfugiés en Serbie et au Monténégro.

Les appels à la participation lancés par la MINUK, les autorités de Belgrade et les dirigeants modérés de la communauté n’ont donc guère eu d’écho. «Si nous avions voté, tout le monde aurait pu dire que tous les problèmes étaient résolus, tandis qu’en nous abstenant, nous manifestons notre mécontentement et nous obligerons la communauté internationale à revoir sa copie et à s’engager enfin à garantir des conditions de vie acceptables aux Serbes du Kosovo» , expliquait Oliver Ivanovic, vice-Président du Parlement du Kosovo, et dirigeant charismatique des Serbes de Mitrovica.

En fait, les Serbes n’ont massivement voté que dans quatre communes où ils représentent l’écrasante majorité de la population, Leposavic, Zubin Potok et Zvecan, dans le nord du Kosovo, ainsi que Strpce, dans le sud de la province. Il semble cependant que les modérés de la «Coalition pour le retour», qui avait participé aux élections parlementaires de l’an dernier, aient été balayés par des courants plus radicaux : le Mouvement pour le Kosovo et la Metohija, de Momcilo Trajkovic, et même les partisans de l’ancien Président yougoslaves Milosevic qui s’étaient présentés sous l’étiquette de listes socialistes locales.

La communauté internationale avait voulu faire des élections municipales de samedi un test de la normalisation de la vie politique au Kosovo, et elle espérait que ce scrutin favoriserait la réintégration des Serbes dans la vie politique de la province : il ne semble pas que le pari soit gagné.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 27/10/2002