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Chili

Les mauvais comptes de Pinochet

Augusto Pinochet, et son épouse Lucia, sont dans la mire de la justice chilienne qui enquête sur plusieurs comptes découverts dans une banque américaine. 

		(photo : AFP)
Augusto Pinochet, et son épouse Lucia, sont dans la mire de la justice chilienne qui enquête sur plusieurs comptes découverts dans une banque américaine.
(photo : AFP)
Augusto Pinochet est attaqué sur un nouveau flan par la justice de son pays qui enquête sur plusieurs millions de dollars déposés entre 1994 et 2002 sur différents comptes de la banque américaine Riggs. L’ancien dictateur chilien n’a jusqu’à présent jamais été contraint de s’expliquer sur l’origine de son patrimoine. Et il pourrait également bientôt revenir devant les tribunaux chiliens pour répondre de violations des droits de l’Homme commises pendant la dictature.

Le défilé des membres de la famille Pinochet se poursuit devant la justice chilienne. Après avoir interrogé mardi l’épouse de l’ancien dictateur, Lucia, et trois de leurs enfants, Augusto, Maria Veronica et Jacqueline, le juge Sergio Munoz espère pouvoir entendre les deux derniers enfants du couple, Marco Antonio et Lucia. Chargé de l’enquête sur les comptes détenus aux Etats-Unis par Augusto Pinochet, ce magistrat souhaiterait probablement pouvoir demander des explications à leur titulaire. Mais comme l’ancien dictateur jouit d’une immunité en tant qu’ancien président de la République, il se tourne vers ses proches pour tenter d’en savoir un peu plus sur informations divulguées mi-juillet par une sous-commission d’enquête du Sénat américain. Une somme oscillant entre 4 et 8 millions de dollars aurait en effet transité entre 1994 et 2002 sur des comptes de la banque Riggs qui aurait ainsi aidé l’ancien dictateur à dissimuler une partie de sa fortune.

L’enquête de la justice chilienne a plusieurs objectifs. Elle doit à la fois tenter d’établir si un délit d’évasion fiscale a été commis et tenter de connaître l’origine de ces fonds. «Les faits à ce moment précis se présentent comme un blanchiment d’argent, d’argent illicite» , a expliqué Clara Szczaranski, présidente du Conseil de Défense de l’Etat, une institution qui a choisi de porter plainte contre Augusto Pinochet dans cette affaire. La provenance de l’argent jouera donc un rôle clef dans ce dossier. Les avocats de Pinochet ont expliqué que ces comptes à l’étranger avaient notamment été alimentés par des donations effectuées pendant les 503 jours de détention de Pinochet en Angleterre, de façon à subvenir aux frais de défense de l’ancien dictateur. Si c’est bien le cas, la banque Riggs et les proches de la famille Pinochet devront alors expliquer comment ces donations ont ensuite été transférées de Grande-Bretagne aux Etats-Unis, les comptes bancaires de Pinochet ayant été gelés par la justice pendant cette période.

Plus que la découverte de comptes à l’étranger, l’importance des sommes provoque au Chili une certaine surprise. Car la grande richesse amassée par Augusto Pinochet pendant les 17 années de dictature est un sujet sur lequel reviennent régulièrement certains médias. Selon des données officielles, il possède onze biens immobiliers répartis dans tout le pays pour une valeur totale d’1,3 million de dollars, un patrimoine déjà conséquent pour un homme qui a souvent affirmé ne pas avoir profité du pouvoir pour s’enrichir. Et beaucoup le soupçonnent d’avoir réussi à accumuler bien plus de richesses.

Déboires en série

La fortune de ses proches focalise également l’intérêt des enquêteurs, et ce d’autant que le fils aîné de l’ancien dictateur, qui se prénomme également Augusto, a déjà connu maints déboires avec la justice dans divers dossiers financiers. Les derniers remontent à la semaine dernière, Augusto Pinochet se retrouvant impliqué dans une affaire frauduleuse de fausses factures liées à des ventes de voitures. Placé en détention pendant deux jours, il a été remis en liberté provisoire samedi et doit désormais attendre que la justice termine son enquête. La concomitance de cette affaire avec l’enquête lancée sur les comptes de la banque Riggs a contribué à écorner encore un peu plus l’image de la famille Pinochet. Les partisans de l’ancien dictateur insistent en effet régulièrement sur la probité de celui qui a dirigé le pays pendant 17 ans. Or, même le parti de l’Union démocrate indépendante, héritier politique de la dictature, demande désormais des explications.

Un autre magistrat chilien, Juan Guzman, souhaitait également pouvoir faire toute la lumière sur les biens de l’ancien dictateur. Sa demande s’inscrivait dans le cadre de son enquête sur le Plan Condor, une opération d’élimination coordonnée des opposants aux dictatures sud-américaines lors des années 70 et 80. Mais la Cour d’appel de Santiago a décidé d’annuler lundi les ordres que le magistrat avait donné en ce sens, estimant que deux enquêtes parallèles sur la fortune d’Augusto Pinochet créerait un panorama judiciaire «trop complexe»

Le juge Guzman, qui avait prononcé la mise en examen d’Augusto Pinochet en 2001, ne désespère pas de pouvoir à nouveau poursuivre l’ancien dictateur qui avait ensuite obtenu le classement de la procédure en raison de son état de santé. La Cour d’appel de Santiago, puis la Cour suprême, avaient en effet estimé que la «démence cérébrale» due à son âge avancé ne lui permettait pas d’être poursuivi. Or, l’avis de certains magistrats semble avoir évolué depuis, la Cour d’appel acceptant le 28 mai dernier, sur la demande du juge Guzman, de lever l’immunité d’Augusto Pinochet dans le cadre de l’affaire du Plan Condor. Elle s’est notamment appuyée pour cela sur une interview accordée voilà quelques mois par Augusto Pinochet à une chaîne de télévision qui montrait que l’ancien dictateur, âgé de 88 ans, semblait tout à fait capable de répondre à une liste de questions. Saisie d’un recours déposé par la défense de Pinochet, la Cour suprême devrait rendre sa décision au cours des prochaines semaines.



par Olivier  Bras

Article publié le 04/08/2004 Dernière mise à jour le 04/08/2004 à 14:06 TU