Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Chili

La difficile lutte contre l’impunité

Le président chilien, Ricardo Lagos et le ministre de la Justice, Luis Bates. 

		(Photo : AFP)
Le président chilien, Ricardo Lagos et le ministre de la Justice, Luis Bates.
(Photo : AFP)
Alors que le gouvernement chilien s’est engagé à trouver une formule de réparation pour les victimes de la dictature d’Augusto Pinochet, les organisations de défense des droits de l’Homme rappellent que la priorité de leur combat reste la condamnation des auteurs de ces crimes.

Le délai fatidique est désormais expiré. Les victimes de la dictature chilienne (1973-1990) devaient déposer avant le 11 mai leur demande de réparation auprès de la Commission sur la prison politique et la torture créée l’année dernière par le président chilien Ricardo Lagos. Selon la section française d’Amnesty International, environ 26000 dossiers ont été déposés au cours des six mois d’existence de cette instance, un chiffre que cette organisation juge très faible au vu du grand nombre de personnes arrêtées et maltraitées pendant le régime militaire. Et elle demande du coup aux autorités chiliennes d’accorder un nouveau délai de six mois et surtout, de procéder à une vaste campagne d’information dans le pays et à l’étranger.

Si elle juge cette étape de réparation nécessaire, Amnesty International insiste avant tout sur l’importance de voir enfin jugés, et condamnés, les responsables des violations des droits de l’Homme commises pendant la dictature. Et elle estime à cet égard que certaines propositions du président Lagos ne vont pas dans le bon sens, en dénonçant notamment celles qui sont destinées à faire avancer les nombreux dossiers examinés par la justice, telles que l’abandon des poursuites pénales contre les personnes qui fourniraient d’elles-mêmes des informations sur le sort des victimes de la dictature toujours portées disparues.

«On a vraiment le sentiment que la lutte contre l’impunité se fait au Chili à contre-courant», explique Ricardo Parvex, président de l’association d’ex-prisonniers politiques chiliens en France. «Les récentes propositions du gouvernement chilien ne vont pas toutes vers la condamnation des responsables des violations des droits de l’Homme. Et s’il est certes important pour les victimes d’obtenir réparation, cela doit intervenir à la fin des procédures judiciaires, après le jugement des coupables».

L’affaire Pinochet est l’une des meilleures illustrations du difficile combat mené par les victimes. Agé de 88 ans, l’ancien dictateur chilien fait l’objet d’une nouvelle demande de levée d’immunité devant les tribunaux chiliens, la quatrième depuis le mois de mars 2000. La cour d’appel de Santiago a commencé jeudi son examen et doit notamment étudier une requête de plusieurs avocats qui demandent la réalisation de nouvelles expertises médicales, la justice chilienne ayant décidé en juillet 2002 que l’ancien dictateur ne pouvait pas être poursuivi en raison des problèmes de détérioration mentale dus à son grand âge. «Je ne suis pas très optimiste quant à l’issue de cette nouvelle tentative», reconnaît Ricardo Parvex. Mais cela ne doit pas nous empêcher de continuer à réclamer justice».

Le lourd héritage de la dictature

La lutte contre l’impunité se prolonge également sur la scène internationale. Paz Rojas et Viviana Uribe, respectivement présidente et secrétaire générale du Codepu, l’une des organisations de défense des droits de l’Homme les plus actives au Chili, étaient présentes à Genève cette semaine pour l’examen par le Comité des Nations unies contre la torture du rapport périodique (1994-2004) remis par le gouvernement chilien. Et même s’il ne s’agissait pas d’examiner les faits commis pendant le régime militaire mais depuis le retour de la démocratie, il ne fait pas de doute pour elles que l’héritage de la dictature continue de peser lourdement sur la vie juridique du pays.

«Il a fallu trente ans au Chili pour créer une commission sur la torture et on constate qu’à ce jour, jamais personne n’a été condamné pour de tels actes au Chili», déplore Paz Rojas. «Une certaine forme d’impunité perdure aujourd’hui. Car contrairement au gouvernement chilien qui affirme que la torture a été éradiquée dans le pays, le Codepu a présenté un rapport alternatif à Genève dans lequel il montre qu’au moins un cas de torture s’est produit chaque mois au cours des dix dernières années». Et dans la grande majorité de ces dossiers sont mis en cause des agents de la force publique.

Il ne fait pas de doute pour ces deux militantes que le Chili doit enfin réussir à se débarrasser de certains fardeaux tels que la loi d’amnistie adoptée par le gouvernement militaire en 1978, ou la Constitution de 1980 qui continuent de représenter des obstacles insurmontables au bon fonctionnement de la démocratie chilienne. Et elles considèrent la condamnation des crimes et violences commis par le passé comme un préalable indispensable à l’amélioration de la situation actuelle des droits de l’Homme dans le pays.



par Olivier  Bras

Article publié le 16/05/2004 Dernière mise à jour le 16/05/2004 à 08:39 TU