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Chili

L'homme qui veut juger Pinochet

Depuis plus de trois ans, le juge chilien Juan Guzman enquête sur le sombre passé d'Augusto Pinochet. Une tâche très lourde pour ce magistrat qui avoue se sentir désormais «uni» à l'ancien dictateur.
De notre correspondant au Chili

Un simple tirage au sort a bouleversé l'existence du juge Juan Guzman. Magistrat de la cour d'appel de Santiago, il a été désigné en janvier 1998 pour instruire la première plainte déposée au Chili contre Augusto Pinochet. Trois ans plus tard, le nombre de plaintes se rapproche des 240. Et l'ancien dictateur chilien a successivement été privé de son immunité parlementaire, inculpé, et assigné à résidence.

Juan Guzman s'est peu à peu converti en un véritable cauchemar pour Pinochet et les siens. Conservateur, il était plutôt considéré comme un partisan du régime militaire et du gouvernement qui a dirigé le pays pendant 17 ans. Et rien n'indiquait que ce magistrat de 61 ans, qui a appliqué scrupuleusement la loi d'amnistie au cours des années 90, pourrait aller aussi loin contre Augusto Pinochet. Son travail d'enquête l'a en fait amené à connaître une autre facette du régime autoritaire. Chargé d'instruire toutes les plaintes déposées contre Pinochet, il a pu découvrir toute l'horreur de la politique répressive de son régime, ses dossiers comprenant des milliers de cas d'exécutions, de disparitions, de torturesà

Ces exactions l'ont conduit à adopter une nouvelle position juridique en juin 1999. Son enquête sur la Caravane de la mort, une opération de répression qui a entraîné la mort de 75 opposants politiques peu après le coup d'Etat, a en fait jouer un rôle déterminant. Afin de pouvoir contourner la loi d'amnistie, le juge Guzman a choisi de considérer le délit imprescriptible et non-amnistiable de «séquestre permanent». Il l'a retenu pour la vingtaine de victimes de cette «caravane» dont les corps n'ont toujours pas été retrouvés. Et cinq anciens militaires, dont un général en retraite, ont alors été poursuivis et inculpés. Et à son retour d'Angleterre, pays dans lequel il a été détenu pendant plus de 500 jours, Pinochet a ensuite connu le même sort.

Francophile et francophone

Fervent catholique, le juge Juan Guzman affirme agir en fonction de ses convictions religieuses. Il a récemment déclaré au quotidien chilien La Tercera «qu'il priait pour le général Pinochet», en expliquant qu'il se sentait «uni» à l'ancien dictateur chilien. «Nous marchons la main dans la main et je ne sais pas lequel d'entre nous est le plus heureux». Humaniste, le juge Guzman sait fait preuve d'une grande délicatesse. Ses actes ont cependant montrés qu'il était déterminé à aller jusqu'au bout dans cette affaire, à savoir le jugement de l'ancien dictateur.

Avant de commencer à enquêter sur les crimes commis pendant la dictature, le juge Guzman avait mené une carrière judiciaire plutôt discrète. Elle avait commencé au début des années soixante-dix dans le sud du Chili. Juan Guzman rentrait alors d'un séjour de trois ans en France pendant lequel il a notamment étudié la philosophie du droit à La Sorbonne. Francophone et francophile, il est marié à une Française avec qui il a eu deux filles. Fils d'un diplomate connu au Chili pour ses talents d'écrivains, il nourrit une grande passion pour la poésie et la littérature. Il n'a lui publié qu'un seul livre, en 1996, destiné aux étudiants en droit. Un précis juridique au titre prémonitoire: La sentence.



par A Santiago du Chili, Olivier  Bras

Article publié le 08/03/2001