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Chili

Décision historique contre l’amnistie

La Cour d’appel de Santiago a rendu lundi une décision historique en décidant, pour la première fois, de refuser d’appliquer la loi d’amnistie héritée de la dictature, confirmant ainsi la condamnation de cinq anciens militaires pour la disparition d’un opposant en 1975. La Cour suprême va désormais devoir examiner cette décision qui représente une véritable victoire pour tous ceux qui luttent depuis de longues années contre l’impunité.
Ce moment était attendu depuis longtemps au Chili par tous ceux qui luttent pour la défense des droits de l’Homme. Pendant les 17 années de dictature, puis pendant les années 90 qui ont vu le retour à la démocratie, leurs efforts se sont perpétuellement heurtés au même texte, celui du décret-loi d’amnistie n°2191 adopté par le régime militaire en 1978. Depuis cette date, lorsque les plus hauts tribunaux du pays doivent se pencher sur des violations des droits de l’Homme commises entre le 11 septembre 1973, date du coup d’Etat, et le 10 mars 1978, ils appliquent de manière systématique la loi d’amnistie en vigueur et demandent le classement du dossier. Une situation qui a conduit plusieurs avocats, ainsi que des juges, à chercher un moyen de contourner cette norme légale qui empêche la condamnation des coupables de milliers de crimes commis pendant les cinq premières années de la dictature.

Avec le retour à la démocratie en 1990, le pouvoir politique a milité en faveur d’une nouvelle interprétation de cette norme. Premier président élu après la dictature, Patricio Aylwin a défendu l’idée de permettre à la justice d’instruire ces affaires. Ce n’est qu’une fois la vérité connue, ainsi que les noms des coupables, que l’amnistie pourrait s’appliquer. De cette manière, le pays espérait faire toute la lumière sur son passé douloureux. Mais beaucoup de défenseurs des droits de l’Homme ont refusé cette solution qui continuait de garantir l’impunité et ont continué à lutter par d’autres biais, en cherchant une faille dans la loi. Peu à peu s’est ainsi développée la thèse du «séquestre permanent», défendue dans les affaires de détenus disparus, c’est-à-dire des personnes qui ont été enlevées pendant la dictature chilienne et dont les corps n’ont jamais été retrouvés, soit environ un millier de personnes. Certains magistrats ont accepté de concevoir que le délit de séquestre continuait de se commettre dans le temps tant que le corps n’était pas retrouvé, échappant ainsi à la loi d’amnistie.

De nombreux militaires en retraite se sont du coup retrouvés dans la mire de différents magistrats instructeurs au cours des années 90. Leurs défenseurs avaient beau parler de «fiction juridique», ils ne parvenaient pas à obtenir le classement immédiat des dossiers. Mais ils conservaient l’espoir que les plus hauts tribunaux du pays rejettent cette thèse en dernière instance, permettant ainsi à leur clients de continuer à jouir de la même impunité. En avril 2003, le juge chilien Alejandro Solis avait ainsi condamné cinq anciens militaires de haut rang à de lourdes peines de prison pour la séquestration d’un militant d’extrême gauche en 1975, Miguel Angel Sandoval. Neuf mois après, la Cour d’appel de Santiago était à son tour amenée à se prononcer sur ce dossier. Et pour la première fois depuis le retour de la démocratie, elle a décidé lundi de ne pas appliquer la loi d’amnistie. Elle s’est notamment appuyée pour cela sur différentes conventions internationales ratifiées par le Chili qui établissent que le délit de «séquestre» n’est pas amnistiable.

Pinochet trop bavard

Le dernier mot revient désormais à la Cour suprême, qui, en tant qu’instance de cassation, va devoir examiner la décision de la Cour d’appel. Les juges qui intègrent sa chambre pénale vont avoir la lourde responsabilité de trancher la question de l’application de la loi d’amnistie dans ce dossier. Plusieurs observateurs notent ce mardi dans la presse chilienne que certains membres de la Cour suprême ont déjà manifesté par le passé leur opposition à cette norme légale héritée de la dictature et qu’ils devraient donc confirmer les condamnations prononcées par le juge Solis. Si c’est le cas, les répercussions seront énormes car beaucoup d’anciens militaires pourraient être à leur tour condamnés. Après de longues années de débat et de polémique, la justice chilienne parviendrait ainsi à contourner, partiellement, le décret loi n°2191 en obtenant la condamnation des auteurs de «séquestres permanents». Car à la différence de l’Argentine qui a choisi de déroger les lois d’amnistie datant de la dictature, le Chili a pris une autre voie en laissant aux tribunaux le soin d’interpréter cette législation toujours en vigueur.

Ces mêmes tribunaux vont également devoir se pencher à nouveau sur le sort de l’ancien dictateur Augusto Pinochet. Le juge Juan Guzman a transmis à la Cour d’appel de Santiago le 23 décembre une demande de la levée de l’immunité dont il jouit en tant qu’ancien président de la République. Cette requête s’inscrit dans le cadre de son enquête sur le Plan Condor, une opération de répression menée entre différentes dictatures latino-américaines qui a coûté la vie à plusieurs milliers d’opposants politiques. Le juge Guzman, qui avait réussi à inculper l’ancien dictateur dans une autre affaire avant que la justice ne décide de classer les poursuites en juillet 2001 en raison de son état de santé mentale détérioré, s’est notamment basé sur un document vidéo pour justifier cette nouvelle requête. Augusto Pinochet a récemment accepté de donner une longue interview à une chaîne de télévision basée à Miami qui a été diffusée le jour de son 88ème anniversaire, le 25 novembre 2003. Et les réponses claires de l’octogénaire, ainsi que sa capacité à se remémorer certains faits très anciens, ont conduit plusieurs avocats à déposer auprès du juge Guzman une nouvelle demande de levée d’immunité. Car l’homme qui apparaît sur ces images n’a selon eux, rien d’un vieillard sénile ou «dément», et peut tout à fait répondre de ses actes devant la justice.



par Olivier  Bras

Article publié le 06/01/2004