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Chili

Le dernier jour de Salvador Allende

Pour commémorer le trentième anniversaire de la mort de Salvador Allende, le gouvernement chilien a choisi de rouvrir ce jeudi une porte latérale du palais présidentiel de la Moneda par laquelle a été évacué le 11 septembre 1973 le cadavre du défunt président socialiste. Au terme d’une bataille de plusieurs heures, Salvador Allende s’est suicidé dans un palais en flammes, préférant la mort à la reddition.
De notre envoyé spécial à Santiago

Le chiffre «30» tapisse les kiosques à journaux du Chili. Depuis déjà plusieurs semaines, les médias proposent des suppléments à l’occasion du trentième anniversaire du coup d’État. Tous proposent de longs articles sur les raisons, les conséquences et les protagonistes de cette tragique journée qui a vu le renversement du gouvernement de l’Unité populaire. Les télévisions et les radios ne sont pas en reste. Et pour la première fois depuis le retour de la démocratie en 1990, toutes les chaînes de télévision ont choisi de consacrer des émissions spéciales à cet événement qui continue de provoquer de fortes dissensions au sein de la société chilienne. Certaines images repassent ainsi en boucle, jour après jour, à commencer par celles du bombardement du palais présidentiel de la Moneda le 11 septembre 1973.

Lorsque les chasseurs des forces aériennes passent à l’action, la Moneda résiste déjà depuis plusieurs heures à l’assaut de soldats et des tanks. A l’intérieur se trouvent une cinquantaine de personnes, le président Salvador Allende, ses proches collaborateurs et une grande partie des membres de sa garde personnelle, le GAP. Allende a été l’un des premiers à arriver à La Moneda vers 7h30 du matin, après avoir été informé que la marine chilienne s’était soulevée dans le port de Valparaiso. Il tente immédiatement, avec l’aide de ses conseillers, de connaître l’ampleur de ce mouvement de contestation en se communiquant avec les commandants en chef de la marine, de l’aviation et de l’armée de terre. Mais leurs appels téléphoniques sonnent dans le vide. Allende n’arrive notamment pas à joindre l’homme qu’il a nommé une vingtaine de jours auparavant à la tête des forces armées, le général Augusto Pinochet. Inquiet de ne pas avoir de nouvelles de cet homme en qui il a placé toute sa confiance, il redoute alors que celui-ci ait pu être fait prisonnier.

Vers 9 heures du matin, Salvador Allende comprend qu’il a été trahi par tous, y compris Augusto Pinochet. Les militaires putschistes lui annoncent qu’ils ont mis un avion à sa disposition pour qu’il quitte le pays. Le président chilien refuse catégoriquement cette offre, ainsi que les deux autres qui suivront. Il n’est pas question pour lui de quitter ses fonctions et d’abandonner la présidence du pays qu’il a conquis démocratiquement par les urnes trois années auparavant. Au cours des journées précédentes, Allende avait déjà clairement affirmé qu’il était prêt à donner sa vie pour défendre la démocratie. Il a l’occasion de le répéter au cours des cinq allocutions radiophoniques qu’il prononcera au cours de cette matinée. Il sait que la lutte est très inégale. La façade du palais présidentiel essuie les tirs des chars. Et seuls quelques membres du GAP répondent depuis la Moneda et d’un bâtiment situé en face au feu nourri des militaires. Casque sur la tête, Allende tirera lui aussi quelques rafales.

«Arrêter le massacre»

«Il était clair que nous ne pouvions pas abandonner Allende», raconte Patricio Guijon, alors membre de l’équipe médicale du président. La tension monte encore d’un cran lorsque les militaires annoncent l’imminence d’une attaque aérienne. «Cela ne s’était jamais produit dans l’histoire du pays. Les seules images que nous avions étaient celles des bombardements de la seconde guerre mondiale, de ces bombes qui rasaient tous les bâtiments», explique Patricio Guijon. Peu avant midi, les bruits des puissants réacteurs se font entendre et une première salve de roquettes est tirée. Plusieurs incendies se déclarent dans la Moneda et l’air devient rapidement irrespirable pour les derniers occupants du bâtiment en raison de la fumée et des gaz lacrymogènes. Ils trouvent refuge dans un couloir du premier étage où la décision de sortir du bâtiment est finalement adoptée peu avant 14h00. «Allende nous a dit : il faut arrêter le massacre», explique Patricio Guijon.

Un drapeau blanc est confectionné avec un manche à balai et une blouse de médecins. Tous se dirigent en file indienne vers les escaliers qui mènent à l’une des portes latérales du palais présidentiel. Patricio Guijon décidé alors de faire demi-tour pour aller rechercher son masque à gaz et emporter ainsi un souvenir de cette terrible journée. En passant devant la porte ouverte du salon Indépendance, il entend une rafale et aperçoit le corps d’un homme s’affalant sur un canapé. Salvador Allende vient de se suicider avec son fusil-mitrailleur. «Mon premier réflexe a été de prendre son pouls», raconte Patricio. «Le président est mort sur le coup. Je me suis alors rendu compte que j’étais seul dans la pièce. J’ai approché un siège de son cadavre et suis resté assis à côté de lui pendant une dizaine de minutes, jusqu’à ce que deux militaires entrent dans la pièce».

L’attaque de la Moneda est terminée. Pour réussir à déloger une cinquantaine de personnes faiblement armées, les militaires n’ont pas hésité à recourir à l’aviation. Comme l’a confié par la suite le général Javier Palacios, chargé de mener cet assaut, l’objectif des militaires était d’adresser un message clair à la population, et en particulier aux sympathisants du gouvernement de l’Unité populaire. L’armée chilienne ne reculerait devant rien pour parvenir à ses fins. Elle n’excluait d’ailleurs pas d’assassiner Le président Salvador Allende afin de se débarrasser une fois pour toute de lui. Les communications entre le général Pinochet et le vice-amiral Patricio Carvajal, posté face au bâtiment, ont été captées et enregistrées le 11 septembre 1973 par un radioamateur. Et au moment où Carvajal envisageait une éventuelle négociation avec le président Allende, Pinochet lui répondait sur un ton haineux: «Pas question. Il faut tuer la chienne et l'affaire est réglée, mon vieux». Salvador Allende ne lui laissera pas ce plaisir, choisissant de se donner la mort. Une décision qui, trente après, continue d’alimenter le mythe d’un homme capable de se sacrifier pour la défense de ses idées.



par Olivier  Bras

Article publié le 11/09/2003