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Chili

La culture rend hommage à Allende

Parmi les innombrables activités prévues au Chili pour la commémoration des trente ans du coup d’Etat, la culture joue un rôle majeur. En première ligne se trouvent les artistes qui soutenaient l’expérience socialiste du gouvernement de l’Unité populaire et le président Salvador Allende.
De notre envoyé spécial à Santiago

Le Stade national de Santiago du Chili évoque depuis trente ans dans le monde entier un sentiment d’effroi. C’est là que plusieurs milliers de personnes ont été détenues dans les jours qui sont suivi le coup d’Etat perpétré le 11 septembre 1973. Cette enceinte sportive, qui avait notamment accueilli la Coupe du monde de football en 1962, a alors été reconverti en gigantesque camp de torture et de détention. Certains des prisonniers qui sont passés par cet endroit ont ensuite été assassinés ou sont aujourd’hui toujours portés disparus. Et c’est dans ce même stade que plus de 70 000 personnes étaient attendues pour deux concerts gigantesques organisés ce vendredi 5 et samedi 6 septembre. Une trentaine de groupes chiliens et étrangers devaient se relayer sur scène au cours de ces deux soirées exceptionnelles destinées à rendre hommage au défunt président Salvador Allende, qui avait choisi de rester jusqu’au bout dans son palais présidentiel de La Moneda en flammes et cerné par les militaires.

Au milieu d’une impressionnante liste d’artistes qui inclue notamment le Brésilien Gilberto Gil ou le Cubain Silvio Rodriguez, un nom retient particulièrement l’attention, celui du groupe chilien Quilapayun. Pour la première fois depuis le retour de la démocratie en 1990, les membres historiques de ce groupe créé au milieu des années soixante reviennent sur scène pour chanter certaines chansons qui ont marqué la période de l’Unité populaire, à commencer par la célèbre «Le peuple uni ne sera jamais vaincu» repris ensuite dans le monde entier. La notoriété de Quilapayun à l’étranger tient notamment au fait que le groupe se trouvait hors du Chili au moment où se produisait le coup d’Etat. Quelques jours auparavant, il avait donné un concert en France dans le cadre de la fête annuelle de l’Humanité, patronnée par le Parti communiste français. Et c’est du coup dans ce pays que la plupart de ses membres ont purgé un exil de dix-sept ans. Une longue période au cours de laquelle ils n’ont cessé de dénoncer par leurs chansons la brutalité de la dictature chilienne.

Les groupes les plus engagés n’ont en effet pas eu d’autre option que de quitter le Chili après la prise du pouvoir par les militaires. Tous ceux qui avaient soutenu de toutes leurs forces la candidature de Salvador Allende aux élections présidentielles de 1970 puis l’action du gouvernement de l’Unité populaire se sont subitement retrouvés sur une liste noire et savaient dès lors que leurs vies étaient menacées. Dans la semaine qui a suivi le Coup d’Etat, les militaires leur avaient adressé un message très clair en assassinant l’un des chanteurs les plus emblématiques, Victor Jara. Le cadavre de ce guitariste a été retrouvé criblé de plusieurs dizaines de balles et amputé des deux mains.

«Le rêve existe»

C’est à la fois à l’engagement politique de tous ces artistes et à la lutte qu’ils ont continuée à mener pendant la dictature que les groupes présents au Stade national sont venus rendre hommage. Pour Eduardo Carrasco, l’un des trois membres fondateurs de Quilapayun, la musique, et la culture de façon générale, représentent l’un des piliers sur lesquels doit s’appuyer la société chilienne pour tenter de retrouver un semblant de cohésion et d’unité. «Les participants à ce concert ne souhaitent pas réhabiliter l’Unité populaire ou tenter de revivre des temps désormais révolus. Ils sont là pour rappeler l’importance du respect des principes démocratiques et pour saluer un homme qui a accepté de sacrifier sa vie pour les défendre, Salvador Allende», explique Eduardo Carrasco, en ajoutant que ce concert historique marque à la fois les «retrouvailles du groupe avec le pays ainsi que celle du Chili avec son Histoire».

Le fait que de nombreux jeunes artistes aient accepté de participer à cet événement suscite chez lui beaucoup d’espoir. Il se réjouit notamment que la chanson «Le peuple uni ne sera jamais vaincu» continue de trouver chez eux un certain écho, et ce même si les utopies politiques des années soixante ont pratiquement complètement disparu dans le Chili d’aujourd’hui. De fait, la plupart des groupes de cette époque et ceux qui ont ensuite continué à chanter des textes engagés connaissent actuellement un engouement très fort chez les jeunes. Et les rééditions de certains disques de cette époque parviennent à rivaliser en terme de vente avec d’énormes machines commerciales comme les productions musicales d’émissions de télévision cherchant à fabriquer les stars chiliennes de demain.

«Il existe une petite lucarne dans laquelle nous nous sommes engouffrés pour diffuser encore plus ce patrimoine musical et pour sortir dans les mois à venir des inédits datant de cette époque», explique Juan Carvajal, l’un des fondateurs en 1968 de la Discothèque du chant populaire (DICAP), une maison de disques qui regroupait tous ces groupes et chanteurs extrêmement engagés. «L’effervescence musicale de cette époque était vraiment incroyable. Et aucun rassemblement ou manifestation politique ne pouvait par exemple se dérouler sans la participation d’un groupe ou d’un chanteur», se souvient Juan Carvajal. Une ambiance que beaucoup de Chiliens continuent d’évoquer avec une grande nostalgie trente après et qu’ils espèrent notamment retrouver le temps de ces deux concerts baptisés «Le rêve existe».



par Olivier  Bras

Article publié le 06/09/2003