Etats-Unis
Bush nomme un politique à la tête de la CIA
(Photo : Congrès des Etats-Unis)
De notre correspondant à New York
Le favori l’a emporté. Porter Goss, un Républicain de Floride, a été choisi par George Bush pour reprendre les commandes de la CIA, dont le directeur George Tenet a démissionné en juin dans un contexte de crise. « Il est l'homme qu'il faut pour diriger ces services importants dans une période critique pour notre pays » a affirmé le président Bush en annonçant sa nomination depuis les jardins de la Maison Blanche. « Il connaît la CIA de fond en comble » et « il est bien préparé pour cette mission » a-t-il ajouté. Élu de la Floride à la chambre des représentants, Porter Goss est président depuis huit ans de la commission du renseignement de la chambre basse américaine. D’une famille aisée, il a grandi dans le Connecticut, est diplômé de Yale, et parle l’espagnol et le français. Il a débuté sa carrière dans les services de renseignements de l’armée, avant de rejoindre les rangs de la CIA dans les années 60 dont il a été un agent secret pendant une dizaine d’années.
En tant que tel, il a travaillé en Europe, en Amérique latine, en Haïti et se trouvait à Miami en 1962, pendant la crise des fusées. C’est une maladie grave qui l’a forcé à prendre sa retraite au début des années 70, en Floride. Puisant dans son expérience directe du travail de terrain, il devrait changer le cap de la CIA, qui a ces dernières années négligé ses espions et son réseau de renseignement humain, au profit de gadgets technologiques sophistiqués qui ne sont pas d’un grand secours pour infiltrer les réseaux terroristes et mener ce que l’administration Bush a labellisé comme étant la « guerre contre la terreur ». « L’essence de notre capacité de renseignement, ce sont des personnes » a déjà annoncé Porter Goss. Il a notamment co-dirigé la commission d’enquête du Congrès sur les attaques du 11 septembre, ce qui devrait lui offrir une vision claire des réformes nécessaires.
La réticence des Démocrates
Cette nomination ne prendra effet qu’après un long processus de confirmation au sénat. L’administration Bush fait mine de croire qu’il ne s’agira que d’une formalité, mais c’est loin d’être certain. Car pour certains Démocrates, Porter Goss est trop politique. Après une longue convalescence, il a été candidat à la chambre des représentants en 1988, et n’a pas quitté le Congrès depuis. C’est un fidèle de George Bush et il avait notamment été choisi par le vice-président Dick Cheney pour critiquer un discours de John Kerry sur la sécurité nationale le 2 juin dernier. Il avait qualifié de « irréalistes et dangereusement naïves » les propositions de non prolifération du candidat démocrate à la présidentielle, qu’il avait même moqué en affirmant qu’il voulait « enfermer toutes les têtes nucléaires dans un casier ». Pourra-t-il rester en poste si John Kerry est le prochain président américain ? C’est peu probable. Par ailleurs, il n’est pas courant pour des membres du Congrès d’être nommés à la tête de la CIA, un poste censé être non partisan. Le seul autre directeur de l’agence issu des rangs parlementaires a été… George Bush père.
Le président Bush a longuement hésité à nommer un successeur à George Tenet avant l’élection de novembre. Car il risque ainsi de se soumettre à un exercice de confirmation ultra médiatisé au cours duquel les Démocrates ne manqueront pas d’attaquer les manquements de l’agence et de l’administration avant les attentats du 11 septembre, et autour du fiasco sur les armes de destruction massives irakiennes. Les qualités de visionnaires Porter Goss pourraient également être remises en cause. Le matin du 11 septembre 2001, il prenait un petit déjeuner à Washington avec un général pakistanais, Mahmud Ahmed, le dirigeant des services secrets pakistanais, particulièrement proches à l’époque d’Oussama Ben Laden et des taliban. Mais l’administration veut aussi envoyer un message de stabilité, à un moment où le moral est au plus bas dans les rangs de la CIA. Et l’adjoint de George Tenet, E. McLaughlin, qui a assuré la transition, était trop impliqué dans les erreurs de l’agence. A un moment où un flot d’information préoccupant semble indiquer que al-Qaïda cherche à frapper les Etats-Unis, laisser un poste vacant à la tête de la CIA n’aurait pas été du meilleur effet.
Le président Bush a aussi récemment annoncé qu’il allait nommer un nouveau « Monsieur intelligence », qui sera hiérarchiquement supérieur à Porter Goss - un poste pour lequel le Républicain avait aussi été pressenti. Plusieurs des conseillers du président étaient hostiles à la création de ce nouveau poste de directeur national du renseignement. Mais en pleine campagne, alors qu’il est attaqué par le candidat Kerry, le président Bush ne voulait pas avoir l’air d’être léger sur les questions de sécurité nationale. D’autant que l’idée du nouveau poste venait tout droit du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 11 septembre. L’objectif est de regrouper sous un même chapeau le travail de la CIA et de plusieurs autres agences de renseignement, dépendant du Pentagone pour la plupart. Si sa création est approuvée par le Congrès, le nouveau monsieur terrorisme sera nommé par le président, dont il deviendra le principal conseiller sur la question. Il sera donc hiérarchiquement placé au-dessus de Porter Goss, qui n’appréciera pas forcément de prendre les manettes d’une agence au prestige diminué.
par Philippe Bolopion
Article publié le 10/08/2004 Dernière mise à jour le 11/08/2004 à 13:15 TU
