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Congo Brazzaville

Le paradis perdu des diamants de la guerre

Prospecteur de diamants. 

		(Photo: AFP)
Prospecteur de diamants.
(Photo: AFP)
Le président congolais Denis Sassou Nguesso vient d’annoncer, le 11 août, qu’il a demandé le renforcement des contrôles sur la production et la vente des diamants pour se mettre en conformité avec le «processus de Kimberley». Le Congo-Brazzaville a en effet été exclu, le 9 juillet dernier, du groupe de la quarantaine d’Etats qui se sont engagés à lutter contre le commerce des «diamants de la guerre», en garantissant l’origine des pierres mises sur le marché. Or Brazzaville exporte cent fois plus de carats qu’il n’en produit, une bonne part provenant de la République démocratique du Congo (RDC) où la décision de Kimberley agite aussi bien  les réseaux de contrebande que les sommets de la transition.

Pour le moment, les mesures de meilleure «traçabilité des diamants bruts produits au Congo», annoncées le 11 août par le président Sassou Nguesso, visent essentiellement la fiscalité des «exploitants artisanaux de diamants» et celle des trois comptoirs d'achat de Brazzaville qui sont tenus par des étrangers, souvent des Libanais. Le ministère congolais des Mines, paraît en effet s’apercevoir aujourd’hui de la faiblesse des taxes perçues, quelque 200 à 400 millions de francs CFA (3 à 400 000 euros) chaque année. Une manière peut-être aussi de dénoncer les chiffres qui ont édifié les inspecteurs de Kimberley envoyés en mission au Congo en mai et juin dernier.

Des exportations cent fois supérieures à la production

Concentrée dans la région nord de la Likouala, la production de diamants du Congo-Brazzaville reste effectivement artisanale et ne dépasse guère les 50 000 carats par an, c’est-à-dire cent fois moins que les seuls 5 millions et demi de carats inscrits au chapitre des exportations de diamants du Congo-Brazzaville à la Belgique en 2001. Une différence aveuglante pour les experts de Kimberley qui ont prononcé leur sanction le 9 juillet dernier. L’exclusion du Congo-Brazzaville (admis l’année précédente seulement) a été solennellement saluée par le Conseil mondial du diamant comme un exemple dissuasif pour les fraudeurs, mais surtout comme un gage de respectabilité pour le processus de Kimberley lui-même. C’est «un pas décisif qui démontre que le processus de Kimberley est robuste et qu’il peut mordre», dit le Conseil. Et cela, finalement, à très peu de frais pour l’industrie et le commerce du diamant dont le cénacle de Kimberley représente 98% de la production, de la transformation et de la vente, au plan mondial.

Lancée en mai 2000 en Afrique australe et présidée par l’Afrique du Sud, l’initiative de Kimberley repose essentiellement sur la confiance dans la transparence promise par l’industrie internationale du diamant et les gouvernements des pays adhérents. Ceux-ci se sont engagés à travailler à l’élaboration d’un programme international de certification pour garantir à leurs clients et administrés qu’ils ne sont pour rien dans les trafics de diamants qui financent les guerres en Afrique et les motivent aussi souvent. Parmi les 44 Etats signataires (désormais 43), le Congo-Brazzaville était le plus facile à mettre à l’index. Il est aussi l’un des moins riches en diamants du continent africain où le système Kimberley rassemble l’Afrique du Sud, l’Angola, le Botswana, la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Lesotho, la Namibie, la République centrafricaine, la République démocratique du Congo, la Sierra Leone, la Tanzanie et le Zimbabwe.

Selon la presse congolaise, «la sortie frauduleuse par le beach (partie du fleuve qui sépare Kinshasa) de Brazzaville, au courant du mois de mai, d’une pièce rare, venue de Tshikapa (en RDC) et valant plus de 18 millions de dollars» aurait tout particulièrement retenu «l’attention des garants du processus de Kimberley» en tournée dans les petits sites artisanaux du Congo-Brazzaville. Ce n’était pas nécessaire car il est de notoriété publique que le Congo-Brazzaville ne produit pas les diamants qu’il exporte, comme l’explique le dernier rapport de Global Witness sur le pillage des richesses de RDC. Mais comme le Congo du général Sassou Nguesso sert de «plaque tournante pour les trafics de diamants provenant d’autres pays africains», il est difficile d’évaluer au millier de carats près ceux qui proviennent de RDC. Reste que tous les indicateurs montrent une relance de cette contrebande avec les deux guerres du Congo démocratique, la prolifération des groupes armés et les diverses alliances transfrontalières nouées par ces derniers d’un côté et Kinshasa de l’autre.

La filière de Brazzaville

La route de Brazzaville a été d’autant mieux suivie par les gemmes extraites de RDC qu’elle avait été délibérément tracée par les anciennes autorités coloniales. En 1930, alors que les diamants du Congo-Kinshasa représentaient plus de la moitié des diamants à usage industriel dans le monde, c’est en effet à Brazzaville que furent créés les comptoirs commerciaux. Depuis l’indépendance de l’ancien Congo belge, ses rivières de diamants ont continué a couler vers Brazzaville où les services fiscaux ont opportunément gardé la main légère et où, maréchal Mobutu en tête, fonctionnaires et commerçants véreux vendaient les pierres en dehors des circuits officiels de la Société (d’Etat) minière de Bakwanga, la Miba.

La filière aboutissant à Brazzaville s’est toujours admirablement adaptée aux heurts et malheurs de l’autre rive du fleuve Congo. En 1982, la «libéralisation» décrétée par Kinshasa pour développer l’extraction artisanale a vu la production officielle chuter de plus de six millions de carats par an et la différence gonfler le chiffre des exportations à Brazzaville. Depuis l’entrée en scène des seigneurs de la guerre, en 1996, c’est surtout le diamant alluvionnaire, spécialité congolaise qui disparaît des comptes de la nation RDC. Soutenu par l’Angola, le Rwanda et l’Ouganda dans sa montée à Kinshasa, Laurent-Désiré Kabila avait été prodigue en concessions diamantifères et en contrats d’exportation, jouant de la concurrence entre Sud-africains et Occidentaux. Après son avènement au pouvoir en mai 1997, il avait tenté de renflouer le Trésor public en interdisant l’accès des étrangers aux sites miniers et en centralisant les échanges à Kinshasa. Le commerce du diamant s’était alors engouffré dans les circuits parallèles, en «zone gouvernementale», les anciens alliés rwandais et ougandais se disputaient le reste du sous-sol par rebelles congolais interposés.

A l’Est du Congo-Kinshasa, à Kisangani, Kigali et Kampala se sont livrés deux batailles féroces en 1999, pour le contrôle de territoires riches en diamants et autres minerais. Aujourd’hui, l’exclusion de Brazzaville du processus de Kimberley a des prolongements à Kinshasa. Les allées de la transition (issue du partage du pouvoir) résonne d’une guerre intestine au sein de l’une des anciennes rébellions soutenues par l’Ouganda, le Mouvement de libération du Congo (MLC) de Jean-Pierre Bemba, qui est aujourd’hui l’un des quatre vices présidents, chargé de l’Economie et des Finances.

Règlements de comptes à Kinshasa

Denis Sassou Nguesso compte sur ses pairs de la sous-région pour remonter dans le train de Kimberley, comme il vient de l’expliquer à Jean-Pierre Bemba en invitant ses trois voisins diamantifères d’Afrique centrale (l’Angola, la République centrafricaine et la République démocratique du Congo) à venir discuter du sujet à Brazzaville, d’ici la fin de l’année. En même temps, Brazzaville a manifesté sa fureur contre le ministre des Mines de la RDC, Eugène Diomi Ndongala, qui se félicite d’être pour quelque chose dans la décision de Kimberley. Pour sa part, Jean-Pierre Bemba accuse son compatriote ministre, Diomi Ndongala, de «mauvaise gestion», bref de s’en mettre plein les poches en délivrant les permis d’achat aux comptoirs de diamants instaurés par Kinshasa.

Quelques semaines plus tôt, le limogeage, exigé par Jean-Pierre Bemba, du précédent ministre des Affaires étrangères issu du MLC, Antoine Ghonda, avait été commenté à Kinshasa comme une affaire de diamants. Il serait une conséquence de l’ire ougandaise soulevée par les revendications nationalistes de souveraineté – sur les diamants de RDC – affichées par le ministre déchu. Le Rwanda et l’Ouganda exportent en effet eux-aussi des diamants qu’ils ne produisent pas. En outre, jusqu’à la chute de l’ancien président Ange-Félix Patasse, en mars 2003, les diamants extraits dans la zone d’influence de Jean-Pierre Bemba étaient vendus en contrebande via la Centrafrique. Le repli sur Brazzaville s’imposait. Il ne permet plus désormais d’obtenir la validation de Kimberley, indispensable pour «blanchir» les diamants avant leur entrée sur la marché international.

Brazzaville paria du marché du diamant, cela rend plus compliquée et donc moins rapidement lucrative la contrebande. Celle-ci a permis l’achat de grandes quantités d’armes et la militarisation généralisée des conflits en tous genres qui ont surgi ces dernières années au Congo-Kinshasa. La perte est grande pour les seigneurs de la guerre, leurs fournisseurs d’armes -basés en Afrique australe ou à Dubaï- et leurs clients occidentaux. En revanche, au plan mondial, l’ exclusion de Brazzaville n’a guère d’impact sur les circuits du diamant. Brazzaville trop voyante, la contrebande devra se chercher d’autres paradis.



par Monique  Mas

Article publié le 13/08/2004 Dernière mise à jour le 13/08/2004 à 14:28 TU

Audio

Le processus de Kimberley au Congo Brazzaville (rediffusion du 15/07/2004)

«Pour éliminer les diamants de guerre il faut connaître la source de ce diamant, et ça commence par enregistrer l'identité du vendeur»

[11/08/2004]

Annemie Neyts

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[06/11/2002]

Youri Staiveurlainque

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[07/05/2001]

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