France-Algérie
Réactions contrastées à Alger
(Photo: AFP)
De notre correspondant à Alger
Officiellement, la présence du président Bouteflika à Toulon aux cérémonies commémoratives était en elle-même parlante. Il s’est aligné aux cotés des autres chefs d’Etat africains venu, comme lui, recevoir les honneurs et la reconnaissance de la France. Aucun commentateur algérien n’a relevé que cette rencontre avait l’allure d’un sommet de la francophonie ou pour le moins d’un sommet franco-africain. C’est juste parce que Alger est restée longtemps en marge de ces ensembles culturels ou géopolitiques. Plus aujourd’hui, car depuis l’accession en 1999 de Abdelaziz Bouteflika au sommet de l’Etat, l’option, clairement affichée et de jour en jour concrétisée, est de revivifier, de relancer et de consolider les relations bilatérales.
Quarante-huit heures après, le nouveau pas franchi dans cette voie à Toulon n’a suscité la réaction d’aucune autorité officielle algérienne, pas même le maire de la ville d’Alger, ville honorée par le président Chirac. On n’a pas osé réagir à chaud. On préfère attendre le retour du président pour être bien « briefé ». Histoire d’être dans la ligne et d’éviter des lectures qui risqueraient de contrarier le Raïs. C’est ainsi, en particulier depuis qu’il a été reconduit avec près de 85% des suffrages.
Des journaux à petits tirages n’ont cependant pas attendu de feu vert pour suivre le cap présidentiel. Le Jour d’Algérie et La Nouvelle République applaudissent la présence à bord du porte-avions Charles de Gaulle d’Abdelaziz Bouteflika lors de ces cérémonies. L’Authentique, journal du général Betchine, y voit « une nouvelle page dans l’histoire longtemps tumultueuse et passionnée entre les deux pays ». Ces propos ont une signification exceptionnelle, car le propriétaire de ce quotidien, ancien conseiller du président Zeroual, a la réputation d’être un homme au nationalisme très sourcilleux, à la limite du rejet de tout ce qui est français. Il est de ceux qui, comme le président Bouteflika, estiment que les « harkis » sont parfaitement assimilables aux « collaborateurs » pendant la seconde guerre mondiale.
Sur ce point, les Algériens en général partagent cette conviction. Ils ont trouvé complètement déplacés, pour ne pas dire ridicule, la polémique soulevée par une soixantaine de députés UMP qui reprochaient au président algérien d’avoir fait cette comparaison.
La Légion d’Honneur n’est pas un point final
En revanche, le cas des Algériens qui ont combattu sous le drapeau français durant la seconde guerre mondiale est perçu différemment. En général, l’opinion publique algérienne retient que ces anciens combattants n’ont pas eu le même traitement social que leurs pairs français. La « cristallisation » de leurs pensions durant des années n’étaient ni le problème des autorités algériennes, ni celui des autorités françaises. Que l’on se souvienne, enfin, de « ces oubliés de l’Histoire », n’est finalement qu’une faute réparée par les présidents Chirac et Bouteflika, dit-on dans quelques milieux populaires.
Au plan historique, la seconde guerre mondiale n’a qu’une place insignifiante dans la mémoire collective. La génération qui l’a vécue n’a quasiment rien transmis aux nouvelles générations. Quelques historiens, dont le professeur Mahfoud Kaddache y font référence dans des ouvrages consacrés au mouvement national algérien. Sinon, il ne reste plus de traces de ce conflit mondial qui n’épargna pourtant pas le pays. Oran, Annaba (ex-Bône), Tébessa et Alger furent bombardés par l’aviation allemande. Le fabricant de la limonade Hamoud Boualem, rappelait récemment à un confrère que sa demeure familiale à Belcourt fut détruite lors de l’un de ces bombardements. Jusqu’à la fin des années 70, une partie du lycée Descartes d’Alger était encore peinte aux couleurs « para » de camouflage, datant de la deuxième guerre mondiale. C’était le QG du général de Gaulle et il était relié par des galeries souterraines au port d’Alger (quelques 3 000 mètres en contrebas), racontent d’anciens habitants du quartier du Golf (Alger).
A ce titre, « la ville avec son histoire et ses histoires est en mesure d’accepter la croix de la Légion d’Honneur », commente le chercheur en sciences politiques Saïd D. « Elle a bien joué un rôle avec ses autochtones et ses Européens dans la chute de l'horreur nazie ; mais Alger est suffisamment mûre pour suggérer que la délicate attention de Monsieur Chirac n'est pas un point final », souligne-t-il. Pour cet universitaire, « Alger a continué après avoir participé à la libération de la France de combattre pour sa liberté. De ce combat, elle garde encore des blessures non reconnues. Au cœur de notre ville, il y a une place qui s'appelle Maurice Audin. Cet homme est un symbole, il était un point de rencontre, un faiseur d'harmonie qu'on a fait disparaître. Alger attend toujours cette reconnaissance officielle du martyre d'Audin et de tant de ses semblables... Sinon, la légion d'honneur risque de paraître comme un acte manqué... un geste sans lendemain ».
par Belkacem Kolli
Article publié le 17/08/2004 Dernière mise à jour le 17/08/2004 à 10:17 TU