France-Algérie
Les ministres français défilent à Alger
(Photo : AFP)
Le président français Jacques Chirac a déjà fait le déplacement par deux fois, le 2 mars 2003 et le 15 avril dernier, une semaine après la victoire aux urnes d’Abdelaziz Bouteflika qui a recueilli près de 85% des suffrages. Avant le chef de la diplomatie française et la ministre de la Défense, dont «le déplacement en Algérie pour une visite politique» constitue une première du genre, soulignée comme telle par ses propres services, Nicolas Sarkozy, ancien ministre de l’Intérieur désormais chargé de l’Economie, des Finances et de l’Industrie, était lui-aussi venu prendre le pouls d’Alger où il a promis de revenir le 27 juillet. Le 15 août, Abdelaziz Bouteflika aura une nouvelle occasion (il a déjà été reçu cinq fois par son homologue français) de leur rendre la politesse en participant aux cérémonies commémorant le soixantième anniversaire du débarquement des Alliés en Provence, un clin d’œil peut-être au projet d’accord de défense bilatéral qu’il réclamerait «depuis août 2002», si l’on en croit l’hebdomadaire satyrique français, le Canard enchaîné.
«L'idée selon laquelle il y aurait une rivalité franco-américaine sur l'Algérie est aussi tenace qu'erronée», assurait en début de semaine le ministre français des Affaires étrangères, Michel Barnier. Loin de vouloir damer le pion aux Américains qui voient en l’Algérie une pièce importante de leur dispositif antiterroriste, la France, selon lui, aurait pour seule ambition «la refondation de notre relation [qui] correspond, tout simplement, à l'attente profonde de nos deux peuples». Reste que le renforcement de la coopération militaire suggéré par la venue de Michèle Alliot-Marie révèle au contraire «une course aux positions stratégiques entre les Etats-Unis et la France», écrit par exemple Le Quotidien d'Oran. Alors, quand Michel Barnier explique que la France souhaite conclure d’ici l’année prochaine «un traité d'amitié franco-algérien portant sur la coopération bilatérale, sur la dimension euro-méditerranéenne de nos relations, sur le travail de mémoire qui est engagé, en même temps que sur les questions de défense et de sécurité», les commentateurs algériens évoquent les épines qui restent à extraire dans la perspective d’un éventuel accord de défense. Et ce ne sont pas les quatre accords de coopération revendiqués par Michel Barnier qui vont inciter les Algériens à réviser leur jugement sur les mobiles profonds de l’assaut diplomatique français.
Après le passage de Michel Barnier, une nouvelle Ecole supérieure algérienne des affaires «délivrera des diplômes reconnus en Algérie et en France». Deux accords resserreront la coopération scientifique et technique en matière de ressources en eau et de risque sismique et un troisième verra l'Algérie et la France travailler ensemble à l'inventaire et la datation des gravures rupestres sahariennes. Le Sahara occidental, lui, reste à l’ordre du jour d’une actualité moins heureuse. Pour cultiver ses amitiés marocaines sans faire ombrage à son partenaire algérien, Paris ne peut guère faire moins que Madrid et encourage le dialogue «très utile et fondamental» entre l’Algérie et le Maroc. Le nouveau Premier ministre espagnol était en effet à Alger, ce 14 juillet, après Rabat en avril dernier, pour expliquer aux deux parties que «l’unité du Maghreb» passe par la résolution du problème sahraoui et qu’en l’occurrence, «un référendum sans solution politique pourrait nous mener à une crise généralisée en Afrique du Nord». Lui aussi prêche pour un étroit «partenariat économique et politique» entre les deux rives méditerranéennes.
Un budget militaire intéressant
D’ici 2007, un gazoduc sous-marin d’une capacité de 4 milliards de m3 par an devrait relier l’Algérienne Beni Saf et l’Espagnole Almeria. D’ici là, l’Algérie continuera d’approvisionner l'Espagne via le Maroc et le Gazoduc Maghreb-Europe (GME) entré en service en 1996 et qui couvre 60% des besoins espagnols en gaz. En 2003, les échanges commerciaux entre les deux pays se sont élevés à un peu plus de trois milliards d’euros, contre 6,7 milliards d’euros pour les échanges franco-algériens. Comme fournisseur de gaz à la France, l'Algérie se place derrière la Norvège et à égalité avec la Russie. Pour le pétrole, elle occupe le cinquième rang. Premier exportateur en Algérie (pour 3,7 milliards d’euros en 2002), avec en particulier des biens d'équipement (souvent industriels), des véhicules, des produits pharmaceutiques ou des céréales, la France est son deuxième client (2,7 milliards d’euros d’importation en 2002). Elle occupe 24% des parts de marché en Algérie où ses investisseurs restent pourtant rares (brasseries Castel, produits laitiers Danone, pneumatiques Michelin) et timides, en dehors de la compagnie pétrolière Total ou de Gaz de France. A cet égard, les services consulaires français soulignent la signature d’un «accord bilatéral de conversion de dette en investissement privé portant sur 61millions d’euros le 17 décembre 2002».
Selon Paris, la «Déclaration d’Alger», signée par les deux chefs d’Etat, le 2 mars 2003 (lors de la première visite du président Chirac), constitue la «feuille de route» de la «refondation» diplomatique qui impose une sourdine à toute critique trop acérée. Pour sa part, Michel Barnier ne s’est pas beaucoup attardé sur les atteintes à liberté de la presse algérienne ou l’interdiction de séjour frappant les anciens supplétifs harkis de l’armée française. Aujourd’hui, l’Algérie pétrolière est mieux que fréquentable. Elle est de plus en plus séduisante. Estompés, ses propres soucis sécuritaires en font une place forte de la lutte antiterroriste internationale. Les portes de l’Otan lui sont d’ailleurs déjà entrouvertes via le Dialogue méditerranéen. Vue de France, l’Algérie est un partenaire incontournable, y compris en matière de défense intérieure et d’échange de renseignements, comme l’avait déjà noté en son temps l’ancien ministre de l’Intérieur socialiste, Daniel Vaillant, en visite à Alger en février 2001. Selon les chiffres du Stockholm International Peace Research Institute (SIPRI), l’Algérie a consacré 2,1 milliards de dollars à ses dépenses militaires en 2003, à peu près autant les années précédentes, soit 3,7% de son produit national brut en 2002. Un budget intéressant pour un fabricant d’armes, comme la France.
par Monique Mas
Article publié le 16/07/2004 Dernière mise à jour le 18/07/2004 à 13:13 TU