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Algérie

Le grand chelem de Bouteflika

La presse nationale égrène chaque jour les noms des revenants qui rallient la ligne résolument majoritaire du président Bouteflika. 

		(photo AFP)
La presse nationale égrène chaque jour les noms des revenants qui rallient la ligne résolument majoritaire du président Bouteflika.
(photo AFP)
Plébiscité le 8 avril avec un score de près de 85%, Abdelaziz Bouteflika a fait la preuve de l’efficacité de la machine électorale, administrative, médiatique et bien sûr politique, qui vient de lui donner un deuxième quinquennat. Certes, 40% des électeurs se sont abstenus. Mais ceux qui sont allés aux urnes ont visiblement souhaité la continuité d’une magistrature qui, sans parvenir à «éradiquer» la violence, l’a au moins jugulée. Le président Bouteflika a donc remis la «réconciliation nationale» en tête de son programme. Il ne se sent certainement pas pour autant tenu de répondre hâtivement aux partisans du Front islamique du salut (Fis) qui ont soutenu sa candidature. Mais en reprenant l’ancien parti unique, le FLN, à son ancien Premier ministre, Ali Benflis, Abdelaziz Bouteflika est en passe de réaliser le grand chelem.

Tandis qu’Abdelaziz Bouteflika prêtait serment sur le Coran ce 19 avril au palais des Nations, son ancien Premier ministre (écrasé aux urnes avec 6,42% des suffrages), Ali Benflis abandonnait ses fonctions de secrétaire général du Front de libération nationale (FLN). En même temps, démissionnaient les membres du bureau politique et le président de l’Assemblée populaire nationale, numéro Deux du FLN. «C’est une compétition à laquelle ont manqué les conditions nécessaires à l’expression libre et souveraine de la volonté populaire», a quand même lancé Ali Benflis en jetant l’éponge après le scrutin. Expliquant son retrait par «le souci de garantir au parti la stabilité et l’unité des rangs indispensables au fonctionnement de ses structures et à la vitalité de l’action de ses militants», il a ajouté que «c’est en militant que je quitterai dans un moment cette tribune… un militant qui n’a pas accepté la soumission ni le chantage». L’échec de sa fronde a déjà regonflé les rangs des partisans du «redressement» du FLN, restés fidèles au président Bouteflika. L’ancien parti unique n’a ni le profil d’un perdant ni celui d’une formation d’opposition. La presse nationale égrène chaque jour les noms des revenants qui rallient la ligne résolument majoritaire du président Bouteflika. A ce jour, «plus de 180 députés et sénateurs» auraient franchi le Rubicon, selon le Quotidien d’Oran. L’objectif est désormais que le parti «cicatrise ses plaies» pour que ses éventuels courants en reviennent à des passes d’armes plus feutrées, comme par le passé.

Ali Benflis a manqué sa guerre d’indépendance lancée en 2001. Ses partisans avaient remporté les élections législatives et locales en mai et octobre 2002. Le 8 avril, les électeurs ont préféré le programme d’Abdelaziz Bouteflika que les diatribes personnalisées d’Ali Benflis. Cette victoire présidentielle, une partie de la presse tient à lui redonner ses justes proportions. C’est le cas de La nouvelle République, par exemple, qui, à propos du «raz-de-marée Bouteflika» dont elle déduit les abstentions, voit «un extraordinaire sondage d’opinion» dans une élection où «Bouteflika n’a eu les faveurs que de 8 484 487 Algériens sur les 18 940 550 que compte le corps électoral, c'est-à-dire un peu plus de 44 % de la population». Ce score consistant – avec une victoire consommée au premier tour – paraît quand même largement suffisant pour lui donner une large marge de manoeuvre, y compris vis-à-vis de l’armée, qui, elle aussi, sait compter.

Guerre à la pauvreté, dialogue en Kabylie, statut des femmes

A 67 ans, l'ancien ministre des Affaires étrangères du peu libéral président Houari Boumédiène, place son deuxième mandat sous le signe du combat contre la pauvreté, mère de toutes les révoltes dans un pays où le taux de chômage est officiellement chiffré à 24 % de la population active. Dans son discours d’investiture, il a promis de relever le défi du sous-emploi et de son corollaire, l’économie souterraine. Il a déploré la mono production d’hydrocarbures qui tient l’Algérie dans la dépendance de ses exportations pétrolières et gazières. Celles-ci représentent 95% des ressources en devises et les deux tiers des recettes fiscales. Mais, même la bonne tenue des cours, pour cause de guerre en Irak, ne suffit pas à faire tourner l’économie nationale qui doit au contraire en profiter pour se diversifier. Quant à l’emploi, le secteur pétrolier et gazier emploient un personnel très attaché à son statut spécial mais peu nombreux.

Au total, quand Abdelaziz Bouteflika s’engage à réformer l’économie, dans un sens plus libéral et plus créateur d’emplois, il répond davantage aux préoccupations vitales de la majorité des Algériens que lorsque ses détracteurs l’attaquaient sur ses ambitions autocrates d’hégémonie politique. Il a aussi promis de s’atteler à la crise kabyle qui perdure depuis les émeutes du sanglant printemps 2001 qui avaient fait une centaine de morts et des milliers de blessés. Ce 20 avril, des défilés de manifestants ont d’ailleurs sillonnés comme chaque année les grandes villes kabyles pour marquer l'anniversaire du «printemps berbère» de 1980. Mais apparemment dans le calme cette fois. Pour sa part, appelant à «la poursuite» du dialogue avec les âarch (organisation tribale ancestrale remise au goût du jour) interrompu depuis février dernier, le président Bouteflika fustige «les extrémistes qui prônent la violence et la destruction». «La Kabylie ne peut exister sans l'Algérie et l'Algérie ne peut exister sans la Kabylie», a-t-il rappelé, souverainiste, mais aussi soucieux d’un électorat qui finalement ne paraît pas l’avoir complètement boudé. Il pencherait aussi en faveur d’un référendum concernant le statut de la langue tamazight; langue «nationale» depuis 2002 dont les âarch demandent qu’elle soit consacrée langue «officielle», au même titre que l’arabe.

«Pour une véritable réconciliation nationale»

L’'émancipation de la femme est également à son programme. Mais les plus déterminées doutent qu’il songe vraiment à une réforme radicale de l’obscurantiste code de la famille qui régit leurs vies depuis 1984 et qui avait été adopté sous le régime de parti unique du FLN. Déplorant que l’Algérienne «soit soumise à un statut qui porte atteinte à ses droits et la condamne à une condition inférieure à celle de l'homme», Abdelaziz Bouteflika est resté très général. Mais, pour lui, le grand chantier socio-politico-sécuritaire à terminer reste la «véritable réconciliation nationale» entre les Algériens qu’il entend voir succéder à son programme de «concorde civile». Il lui accorde d’autant plus d’importance que son triomphe électoral provient sans doute non seulement d’électeurs soulagés par la diminution de la violence depuis le début de son règne, mais aussi d’une part non négligeable des quelque 3,5 millions d'électeurs du FIS.

Pour sa part, le père fondateur du parti islamiste interdit, Abassi Madani, n’avait pas donné de consigne de vote, mais pas de signal de boycott non plus. En outre, Abdelaziz Bouteflika a recueilli les faveurs de deux hauts dirigeants du Fis amnistié en 2000, Rabah Kébir, porte-parole en Allemagne, et Madani Mezrag, le chef de l'Armée islamique du salut (AIS), la branche armée du FIS, qui ont appelé à voter pour le candidat Bouteflika. Selon les spécialistes de la question, un compromis laisserait envisager la résurrection d’un néo-Fis «renonçant à son projet de République islamique en Algérie». Le message de félicitation de Rabah Kébir au président réélu est en tout cas très chaleureux. Ce résultat, dit-il «traduit la confiance du peuple qui vous considère comme l'homme de la situation et de la réconciliation nationale totale que vous avez défendue avec force et conviction». En outre, au lendemain des élections, un communiqué signé notamment par Abassi Madani saluait dimanche la politique de réconciliation nationale, invitant le nouveau président à «régler la situation des victimes de la crise nationale», disparus, prisonniers, interdits de séjour ou de droits civiques. Le texte suggère aussi une table ronde rassemblant toutes les parties, FIS compris et fait une offre de service en assurant que le Fis adoptera «la position adéquate pour la réussite de toutes les initiatives positives allant dans ce sens».

Les bonnes dispositions affichées par le Fis consacrent la «concorde civile» lancée par Abdelaziz Bouteflika à l’aube de son premier quinquennat (1999). Elle s’est soldée par l’amnistie de plusieurs milliers d'islamistes, en échange du silence des armes et, depuis 2002, le bain de sang paraît s’être mué en goutte à goutte. Des attentats continuent régulièrement d’être imputés au Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui serait affilié au mouvement Al-Qaïda d'Oussama Ben Laden. Mais le Groupe islamique armé (GIA) serait en voie de disparition. Du coup, il peut suffire au président Bouteflika d’inscrire sa lutte contre le terrorisme «dans le cadre de la mobilisation internationale». Reste une obligation de résultat pour l’ensemble de son programme. Pour garantie de continuité, il a reconduit immédiatement le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, qui a présenté lundi la démission de son gouvernement. Il l’a en même temps prié de commencer «incessamment ses consultations» pour former un nouveau cabinet, «plus resserrée et chargée d’entreprendre des réformes économiques».



par Monique  Mas

Article publié le 21/04/2004 Dernière mise à jour le 21/04/2004 à 15:46 TU

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Rémy Leveau

Professeur à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, et conseiller scientifique à l'IFRI, l'Institut Français des Relations Internationales

«Si Jacques Chirac vient en Algérie, c'est qu'il veut contrer les Américains dont l'influence s'étend au Maghreb.»

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Christophe Boisbouvier

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«C'est une véritable claque pour les adversaires de Bouteflika.»

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