Afrique australe
Velléités économiques et résolutions politiques
(Photo : AFP)
«De véritables élections libres et équitables ne se résument pas simplement à la mise en place d'une commission électorale indépendante mais comprennent également la liberté de rassemblement, l'absence de harcèlement par les forces de l'ordre, la liberté de la presse, l'accès aux radios et télévisions nationales et le droit aux observateurs étrangers de suivre tout le processus électoral», a plaidé le Premier ministre mauricien, Paul Bérenger, en se félicitant de la nouvelle Charte ratifiée le 16 août par les treize membres de la SADC (Afrique du Sud, Angola, Botswana, République démocratique du Congo, Lesotho, Malawi, Maurice, Mozambique, Namibie, Swaziland, Tanzanie, Zambie et Zimbabwe.
Le chef de l’Etat du Zimbabwe, Robert Mugabe, avait fait le déplacement de Port-Louis. Il a signé la Charte sans tiquer. Ses pairs d’Afrique australe n’ont pas l’habitude de le prendre à rebrousse-poil. En revanche, ils comptent bien présenter ce document à leurs partenaires économiques comme preuve de leur bonne volonté commune. Paul Bérenger a d’ailleurs précisé que «la tenue des élections au Zimbabwe, l'année prochaine, ouvre la voie pour une harmonisation des relations entre la SADC d'une part et l'Union européenne et les Etats-Unis de l'autre». Pour faire bonne mesure, le chef de l’Etat tanzanien, Benjamin Mkapa, a ajouté que «la démocratie multipartite et les élections ne doivent pas servir de couverture pour la déstabilisation des pays».
Thabo Mbeki mandaté en RDC et au Burundi
Outre la Tanzanie et Maurice, appelées elles aussi à des élections générales l’année prochaine, la RDC devrait connaître en 2005 un scrutin crucial marquant la fin de la transition. Mais le sommet a été tout particulièrement réactif à l’annonce du massacre de Gatumba, immédiatement dénoncé comme un coup porté à la paix et à la sécurité de la région. «Le sommet a aussi condamné la récente tentative de coup d'Etat perpétré à Kinshasa le 10 juin dernier et réaffirmé qu'il ne tolérera pas les violations constitutionnelles pour changer les gouvernements dans la région». Le président sud-africain, Thabo Mbeki, «qui assure désormais la présidence de l'organe pour la politique, la défense et la sécurité, a été mandaté par la SADC pour effectuer une visite d'évaluation en RDC et dans les pays voisins».
L’Afrique du sud a orchestré le dialogue inter-congolais qui s’est soldé par la transition en cours, désormais menacée par la tuerie de Gatumba. Elle est aussi chargée de la médiation inter-burundaise, une entreprise non moins ardue comme en témoigne à nouveau le massacre des Banyamulenge revendiqué par les Forces nationales de libération (FNL). Pretoria demande l’inscription des FNL sur la liste noire des «organisations terroristes». C’est dire que la répression pourrait remplacer les efforts entrepris en vain pour convaincre les rebelles burundais de négocier. «Nous aimerions voir la communauté internationale se rallier» à cette idée, indique d’ailleurs la diplomatie sud-africaine, poids lourd à la SADC où ses performances économiques et financières, mais aussi ses capacités militaires contribuent à perpétuer sa position dominante dans la région.
C’était justement pour échapper au dominium économique de Pretoria, alors vouée à l’apartheid, que neuf pays de la «Ligne de front» avaient créé la Conférence de coordination pour le développement de l'Afrique australe, SADCC, en avril 1980, à Lusaka (Zambie), avec le concours de la Communauté économique européenne (l’ancêtre de l’Union européenne d’aujourd’hui). Cette SADCC a pris sa forme actuelle en 1992, après la chute du pouvoir blanc en Afrique du Sud, Pretoria adhérant en 1994. Le secrétariat de la SADC est basé à Gaborone, au Botswana, où se tiendra le prochain sommet. Le Mauricien Prega Ramsamy en est le secrétaire exécutif. La SADC ambitionne de doter d’un marché commun ses quelque 200 millions d’habitants, mais d’abord de leur garantir la sécurité physique et alimentaire.
Contre-performances économiques en RDC et au Zimbabwe
«Malgré une augmentation de 10% de la production de céréales, 5,4 millions de personnes devront vivre avec une aide alimentaire pendant l'année 2004/2005», déplore Prega Ramsamy, en rappelant les objectifs fixés en mai 2004, à Dar-Es-Salaam, où les membres de la SADC avaient résolu de consacrer au moins 10% de leurs budgets nationaux à l'agriculture d'ici cinq ans. Il s’agit de garantir un minimum d’autosuffisance alimentaire à cette région régulièrement frappée par des pénuries liées en particulier à la sécheresse, ou aux inondations, mais aussi à la réduction de la force de production engendrée par le sida.
En 2003, le taux de croissance du Produit intérieur brut (PIB) des treize tournait en moyenne régionale autour de 2,24% contre 3,23% en 2002. Les économistes de la SADC imputent cette chute aux chiffres négatifs enregistrés au Zimbabwe où l’agriculture s’est effondrée avec les expropriations des fermiers blancs. Les contre-performances du Congo-Kinshasa, en panne de statistiques précises, ont également pesé. En revanche, l’Angola affiche pour 2003 un taux de croissance de 17% - et les cours du pétrole continuent de monter. Les autres se hissent au-dessus de 5% . Le Botswana est à 6,7%, le Mozambique à 7% et même la pauvre Tanzanie passe la barre, à 5,5%.
L’inflation galope, soulignent les experts de la SADC qui indiquent pudiquement que dans cinq Etats, elle atteint deux chiffres. Passer en dessous des 10% d’inflation d’ici 2008 est l’une des principales priorités de la SADC, avec la réduction des déficits budgétaires et la conquête du marché international, dans les quinze prochaines années. En septembre 2000, l’organisation s’est dotée d’un protocole de libre-échange pour parvenir à ce que 85% au moins des biens échangés dans la zone soient exemptés de taxes, contre 42% auparavant. Mais le commerce régional se traîne. De 22% du total des échanges commerciaux des pays de la zone en 1997, il est passé à 25% seulement en 2003. La SADC fixe le nouvel objectif à 35% en 2008. Au passage, elle note que l’essentiel de la croissance des flux commerciaux internes à la région concernent le textile et l’habillement ainsi que le sucre.
La SADCC aura encore bien des réglementations régionales à produire et des batailles internationales à mener pour tirer profit d’une mondialisation sourcilleuse sur les standards de qualité ou sur la protection phytosanitaire, sans parler des exigences concernant bétail ou volailles, parfois suspects de fièvre aphteuse (au Zimbabwe par exemple) ou de peste aviaire (en Afrique du Sud actuellement). Et puis, l’accord d’échanges préférentiels avec les Etats-Unis (Africa Growth and Opportunity Act, Agoa) séduit nombre de ses membres, la contrebande généralisée achevant de ruiner la compétitivité régionale.
La SADC reprend à son compte le Nouveau partenariat économique pour le développement de l’Afrique (Nepad). Elle s’efforce d’accommoder à cette nouvelle sauce son Plan de développement stratégique indicatif régional (RISDP). Mais sa feuille de route économique est hypothéquée par les faiblesses industrielles de la région et par sa maigre capacité à attirer les capitaux. Comme au temps de l’apartheid, l’Afrique du Sud draine la majorité des investissements étrangers. Le développement régional passe par la restauration de la sécurité et par la lutte contre le sida.
par Monique Mas
Article publié le 18/08/2004 Dernière mise à jour le 18/08/2004 à 13:08 TU