Commission européenne
La France craint une perte d’influence
(Photo : AFP)
Officiellement, par la voix de son ministre des Affaires étrangères et ancien commissaire européen Michel Barnier, la France souhaite bonne chance à la Commission européenne composée par le nouveau président Barroso et salue l’autorité et la responsabilité avec lesquelles il a désigné son équipe. De même le gouvernement allemand se déclare « satisfait » de la nomination de Günter Verheugen au poste de vice-président chargé de l’entreprise et de l’industrie.
Mais, dans la classe politique française, des voix s’élèvent pour dénoncer l’attribution d’une fonction de second plan au commissaire français Jacques Barrot qui sera vice-président chargé des transports. De fait, ni la France ni l’Allemagne, les deux poids lourds de l’Union européenne, n’ont obtenu les responsabilités souhaitées. Paris avait des vues sur les dossiers concurrence ou marché intérieur, des postes clés de la Commission européenne, et Berlin aurait bien vu son représentant en « super-commissaire » en charge des affaires économiques au sens large.
En France, on n’estime pas du tout, comme le commissaire européen italien Rocco Buttiglione que l’équilibre est réalisé « entre les grands et les petits pays, les riches et les pauvres, les anciens et les nouveaux membres ». Pour François Loncle, vice-président PS de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, l’explication est toute trouvée. Cette nomination du Français à un « portefeuille secondaire » est le signe du « déclin vertigineux, de l’effacement de la France dans les instances européennes ».
A qui la faute ?
Le député européen UDF Jean-Louis Bourlanges, connu pour son fervent engagement européen, estime pour sa part que c’est le « couple franco-allemand qui est mis au piquet ». La solidarité affichée entre Paris et Berlin aurait agacé les autres membres. Dans la nouvelle commission qui prendra ses fonctions le 1er novembre « on aboutit à une surreprésentation injustifiée des anciens pays socialistes d’Europe de l’Est » observe-t-il. Par la même occasion « les Français découvrent qu’ils ne pèsent plus très lourd au sein de l’institution ». Et le député européen marque sa vive désapprobation en se déclarant « très tenté » de refuser d’accorder sa voix à la Commission lorsqu’elle viendra se présenter au vote de confiance du parlement européen. Seul le principal intéressé Jacques Barrot affirme que les transports sont « un des axes majeurs de la construction européenne » et que les Français n’ont pas bien compris les intentions du futur président de la Commission européenne.
Sur les raisons du recul de la place de la France dans les institutions européennes les opinions divergent. Pour Jean-Louis Bourlanges, c’est la conséquence directe du traité de Nice qui a adopté le principe d’un commissaire par Etat membre. Mais, pour le socialiste et ancien ministre des Affaires européennes Pierre Moscovici, la faute en revient au président de la République Jacques Chirac. Celui-ci aurait traité ses partenaires « avec hauteur » et la commission européenne « de manière cavalière » ce qui expliquerait que « la France de Jacques Chirac se trouve sanctionnée ».
Quoiqu’il en soit, le caractère libéral de la commission Barroso apparaît comme la première conséquence visible, ce qui ne manque pas d’inquiéter. Le socialiste Arnaud Montebourg souligne le fait que tous les postes clés sont confiés à des personnalités relevant du courant libéral. Il en conclut que « cette Commission européenne fait dorénavant partie de nos adversaires ».
La France surreprésentéeParmi les raisons invoquées pour expliquer le déclin supposé de la France dans l’Union européenne vient le manque d’implication des hommes politiques français dans ces institutions et le choix d’une candidature « à Bruxelles », faute de mieux, des recalés du suffrage universel national. Au risque de se tirer une balle dans le pied la classe politique française s’est d’ailleurs abondamment gaussée des compétences européennes et linguistiques supposées de Jacques Barrot, avant de se plaindre de la médiocrité de ses attributions.
Si les hommes politiques français marquent peu d’intérêt pour des fonctions européennes, à l’exception notable de Valéry Giscard d’Estaing, ce n’est visiblement pas le cas des fonctionnaires de nationalité française. Chaque pays membre ne dispose pas à proprement parler d’un quota national de fonctionnaires européens, mais la tradition est à un équilibre dans la représentation des uns et des autres. De ce point de vue la France est plutôt surreprésentée dans les institutions européennes et cela n’est pas sans conséquence sur les réseaux d’influence qu’elle peut y entretenir.
En avril 2002, derniers chiffres connus, les institutions européennes employaient plus de 29 000 fonctionnaires européens. Or, sur les 7 482 fonctionnaires de catégorie A, les hauts fonctionnaires, la France pouvait en revendiquer 1134, beaucoup plus que l’Allemagne (914), l’Italie (943) ou le Royaume-Uni (795). Plus encore, des 265 fonctionnaires de l’encadrement supérieur, 47 étaient français pour 39 Britanniques, 36 Allemands ou 29 Italiens.
Avec l’entrée de dix nouveaux membres dans l’Union européenne, des fonctionnaires de ces pays ont été ou vont être recrutés. Mais cela ne paraît pas de nature à inverser radicalement la tendance de la France à manifester sa présence dans l’Union européenne par le biais de sa « caste administrative ».
par Francine Quentin
Article publié le 18/08/2004 Dernière mise à jour le 18/08/2004 à 13:37 TU