Etats-Unis
Bush 2004 : le président se réinvente
(Photo : AFP)
Si le candidat Bush 2004 rencontrait le candidat Bush 2000, les deux hommes auraient beaucoup à se dire. Le premier avait promis une politique étrangère « modeste ». Le second a lancé deux guerres en quatre ans, dont une préventive et menée au nom d’armes de destruction massives toujours invisibles. Le premier, fidèle à son style texan, avait promis de rassembler et de changer le ton à Washington. Le second a radicalisé l’Amérique à un point rarement atteint, Républicains et Démocrates n’hésitant plus à afficher une haine aussi mutuelle qu’intransigeante. Que s’est-il donc passé ? Le 11 septembre, évidemment. Mais aussi l’étonnante capacité d’un homme à se réinventer.
C’est un des épisodes les plus célèbres de sa vie. Le 28 juillet 1986, George W. Bush se réveille avec une vilaine gueule de bois. Il vient de fêter ses 40 ans avec des amis, dans un torrent d’alcool. A l’époque, les quatre B (Bière, Bourbon et B&B) sont un refuge. Sa compagnie pétrolière est au bord du gouffre. Il n’a pas fait grand-chose de sa vie, et son couple est en danger. Ses amis tentent discrètement de lui parler de son problème avec l’alcool. Il a tenté de ralentir sa consommation, mais sans grand succès. Il sort souvent, rentre saoul, se place dans des situations embarrassantes, et a conscience d’être un alcoolique, ou presque (un jour, il a couvert d’injures un journaliste du Wall Street Journal qui dînait dans un restaurant de Dallas avec sa femme et son enfant de 4 ans). Il vit alors à Midland, une ville poussiéreuse dans l’ouest du Texas où il est venu, comme son père avant lui, tenter sa chance dans le pétrole.
Une aversion pour l’intelligentsiaAprès ce matin de juillet, plus rien ne sera jamais pareil. Sans le dire à personne, il se jure de ne plus jamais boire une goutte d’alcool – une promesse qu’il affirme avoir tenue à ce jour. Il est aidé par une renaissance intense de sa foi, provoquée par le révérend évangéliste Billy Graham, un ami de la famille. Il lit à cette période la bible de la première à la dernière page et tire un trait sur un passé médiocre, vécu dans l’ombre d’un père à la cheville duquel il n’a jamais eu le sentiment d’arriver. George Bush Senior a fait des études brillantes, étaient un athlète accompli, un héros de l’aviation pendant la seconde guerre mondiale (au cours de laquelle il s’est battu en tant que volontaire), un homme d’affaires, puis un politicien talentueux. Son fils aîné n’est rien de tout cela. A l’école, il n’est pas spécialement doué, même s’il jouit d’une certaine popularité et se fait élire délégué de sa classe. Quoique issu d’une famille aisée de la côte est, il n’affiche aucun snobisme – un trait de caractère qu’il gardera toute sa vie.
Adolescent, il est déraciné de sa vie texane pour suivre les traces de son père dans les plus prestigieux établissements de la côte est. A Andover puis Yale, il peine à obtenir les notes suffisantes pour ne pas embarrasser sa famille. A une période où les campus américains sont un lieu de débat et un vivier d’opposition à la guerre du Vietnam, George W. Bush passe le plus clair de son temps dans des sociétés secrètes démodées et des clubs de garçons dont la vie est rythmée par les fêtes, les beuveries, et les blagues de potaches. Là encore, il est populaire, et se lie d’amitié avec des personnes de tous les milieux sociaux. Il nourrit aussi à cette époque une aversion pour l’intelligentsia qui l’habite toujours.
Echapper au VietnamEn mai 1968, alors qu’il est sur le point de terminer ses études et de faire face à la conscription, à une époque où 350 jeunes Américains meurent chaque semaine au Vietnam, il s’engage dans la Garde nationale du Texas. Il voulait apprendre à piloter des avions de chasse comme son père, affirme-t-il. Mais à l’époque, c’est surtout un moyen pour des jeunes issus de milieux favorisés d’échapper à un sort peu enviable au Vietnam. Sans doute grâce aux relations de son père, membre du Congrès, il est pris malgré une longue liste d’attente et un score tout juste passable à son examen d’entrée.
S’ensuit une période d’errance et de beuveries, entre ses obligations plus ou moins respectée au sein de l’unité de réserve et des petits boulots. C’est à cette époque, alors qu’il a 26 ans, qu’il revient un jour complètement ivre chez ses parents et écrase la poubelle des voisins, qu’il traîne sur une longue distance. Lorsque son père le réprimande, il le défie d’aller se battre dans le jardin. Pour sa punition, il devra travailler plusieurs moi dans un centre pour enfants noirs défavorisés, où il a d’ailleurs semble-t-il laissé une très bonne impression. Il est autorisé à quitter l’armée plus tôt que prévu, au bout de cinq ans et s’engage dans la célèbre Harvard Business School. La plupart de ses camarades se destinent à Wall Street, mais lui n’est guère intéressé par tout cela, et veut seulement apprendre les rudiments du business.
Il aime la compétition, les lumières, le contactIl s’installe ensuite à Midland, où à l’âge de trente ans, il vit comme en célibataire endurci dans un appartement modeste. Il conduit une voiture d’occasion et travaille dur dans la prospection de l’or noir texan. Au bout d’un an de cette vie, il tente d’être élu à la chambre des représentants. Il a peu d’expérience politique : il a travaillé sur les campagnes de son père et celles de candidats de second rang. Il aime la compétition, les lumières, le contact avec les gens, même si, à l’époque déjà, ce n’est pas un homme d’idées. Après avoir été caricaturé comme un fils à papa de la côte est parachuté au Texas, il perd, mais apprend beaucoup. C’est cette même année, en 1977, qu’il épouse une libraire timide, trois mois après l’avoir rencontrée. Laura Welch lui donne deux jumelles, Jenna et Barbara
Aidé par la notoriété de son père, il convainc des investisseurs de lui faire confiance et parvient un temps à faire survivre une petite compagnie pétrolière. Mais les prix du brut chutent, et il est au bord de la faillite. C’est une compagnie connue, Harken, qui le sauvera de l’humiliation en rachetant son entreprise et ses dettes en échange de parts dans son capital. Harken est alors plus intéressée par son nom que par son entreprise… Plus tard, George Bush revendra ses actions Harken dans des conditions qui feront l’objet d’une enquête et réinvestira son argent dans une équipe de base-ball de Dallas, les Texas Rangers, qui fera de lui une personnalité locale connue et un homme enfin riche.
L’opposé de son pèreEn 1986, il s’engage pour de bon dans la campagne de son père. Il est chargé de s’assurer de la loyauté absolue des collaborateurs du candidat à la présidence. Il affiche déjà son propre style : direct, dur parfois, non conventionnel souvent. Une fois la victoire remportée, en 1988, il commence à se préoccuper de son propre avenir. Le base-ball l’occupera pendant la présidence de son père, mais après la défaite de ce dernier en 1992, sa sécurité financière garantie, il brigue le siège de gouverneur du Texas. C’est à cette époque qu’il admet son passé tumultueux (même si il a toujours refusé de confirmer ou d’infirmer avoir pris de la cocaïne). Il capitalise sur ses principales qualités : un certain charme, de l’humour, un contact facile avec les gens et un solide instinct politique. En 1994, il devient gouverneur du Texas et sera réélu à ce poste en 1998. Il est considéré comme un bon gestionnaire, efface les barrières entre Républicains et Démocrates, et donne libre cours à son soutien des valeurs religieuses et de la peine de mort.
Ses premiers mois de la présidence sont dominés par les résultats contestés de son élection, les moqueries sur ses légendaires gaffes et son style atypique, ses vacances jugées trop longues. Avec les attentats du 11 septembre, il se façonne l’image d’un leader décidé, intuitif, voir brusque dans ses décisions, n’aimant pas les longs débats et se reposant beaucoup sur ses collaborateurs. A bien des égards, il devient l’opposé de son père : anti-impôts, unilatéraliste… Dans une partie de l’opinion mondiale et chez de nombreux Démocrates, sa personnalité et ses manières suscitent une aversion profonde. Mais il dispose toujours d’une base solide et d’une certaine chaleur dont son opposant devra se méfier.par Philippe Bolopion
Article publié le 01/09/2004 Dernière mise à jour le 01/09/2004 à 15:42 TU