Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Cameroun-Nigéria

Le Nigéria s’incruste à Bakassi

Une décennie de controverse frontalière. 

		DR
Une décennie de controverse frontalière.
DR
Officiellement, le Nigéria ne conteste plus la souveraineté du Cameroun sur la presqu’île de Bakassi. Mais les autorités fédérales se taisent tandis que les édiles locaux refusent de renoncer à un arpent de souveraineté sur des marécages qui pourraient s’avérer gorgés de pétrole. En tout cas, le retrait de l’administration civile et militaire nigériane ne sera pas terminé le 15 septembre, comme l’exigeait l’arrêt rendu à La Haye le 10 octobre 2002 par la Cour internationale de justice (CIJ) en faveur du Cameroun. Très diplomatiquement, le président de la commission des Nations unies chargée du suivi du contentieux frontalier entre le plaignant camerounais et l’occupant nigérian, Ahmedou Ould Abdallah, invoque des «difficultés techniques imprévues» et annonce la publication d’un nouveau calendrier dans les prochains jours.

Jusqu’à présent, la guerre de Bakassi n’a pas eu lieu et si des bruits de bottes ont régulièrement ébranlés les quelque 1 000 kilomètres carrés du territoire frontalier de l’eldorado pétrolier du Nigéria et du Cameroun, la controverse a été portée dès le 28 mars 1994 devant la CIJ par l'ambassadeur du Cameroun aux Pays-Bas. Elle aura duré une décennie et donné lieu à maintes protestations du Nigéria jusqu’à ce que le 10 octobre 2002, La Haye confirme la validité de la convention anglo-allemande du 11 mars 1913 établissant la souveraineté du Cameroun sur la partie terrestre de Bakassi. La CIJ avait également «fixé la frontière dans la région du lac Tchad», autre zone litigieuse aux confins nord des deux pays, «conformément à l’échange de notes franco-britannique Henderson-Fleuriau du 9 janvier 1931 et rejeté les prétentions du Nigéria sur la zone de Darak et des villages environnants».

A la demande pointilleuse du Nigéria, la CIJ avait aussi examiné à la loupe «dix-sept secteurs de la frontière terrestre entre le lac Tchad et la borne 64». A Bakassi, elle avait donné gain de cause à Lagos sur deux villages, 33 villages revenant à Yaoundé tandis que certains méandres de la marécageuse presqu’île imposaient à la CIJ des «solutions intermédiaires ou neutres» mais aussi par exemple un relevé précis du «chenal frontalier sur l’Akwayafé à l’ouest» de Bakassi. Ce travail de Bénédictin ne suffisant pas à régler le litige. La CIJ a dû également fixer la frontière maritime entre les deux Etats, en se fondant notamment sur des déclarations faites en 1971 et 1975 par les chefs d’Etat des deux pays ainsi que sur des calculs d’autant plus savant qu’il s’agissait de ne pas grignoter au passage les réserves pétrolières de quiconque dans le Golfe de Guinée, autour d’un «tripoint Cameroun-Nigéria-Guinée équatoriale».

En conséquence de son arrêt de souveraineté, la Cour «a jugé d’une part que le Nigéria est tenu de retirer dans les plus brefs délais et sans condition son administration et ses forces armées et de police de la presqu'île de Bakassi et de la région du lac Tchad relevant de la souveraineté camerounaise… d’autre part que le Cameroun était, lui aussi, tenu de retirer dans les plus brefs délais et sans condition toute administration ou forces armées ou de police qui pourraient se trouver sur le territoire nigérian le long de la frontière terrestre entre le lac Tchad et Bakassi», et vice-versa concernant les micro-territoires. En revanche, la CIJ avait «écarté les conclusions par lesquelles le Cameroun demandait la condamnation du Nigéria à réparer le préjudice subi par lui en particulier du fait de l’occupation de Bakassi». Depuis, les deux pays ont troqué plusieurs villages. Mais le Nigéria ne tiendra pas l’échéance du 15 septembre pour achever son retrait de Bakassi. Et l’arrêt de la CIJ passe largement au-dessus de la tête de nombre de Nigérians du cru, mobilisés par leurs élus locaux.

«Nous ne voulons pas devenir Camerounais»

Lagos revendique 300 000 habitants à Bakassi. Selon l’Onu, la plupart seraient des saisonniers, parmi lesquels de nombreux pêcheurs dont le nombre passerait de 25 000 à 250 000 en fonction des exigences de leurs activités sur place. Leur recensement précis est lui-même un enjeu depuis que les politiciens locaux ont transformé la querelle en souveraineté en cause nationale. Or, ils exigent justement un délai, le temps de procéder à un référendum qui n’a pourtant pas lieu d’être après l’arrêt de la justice internationale. «Nous ne voulons pas devenir Camerounais et nous ne cèderons pas un pouce de territoire», affirme pourtant Essien Ayi, député de Bakassi. Avec lui, des chefs traditionnels et d’autres représentants politiques ont fait valoir auprès du Parlement nigérian que le jugement international n’avait pas tenu compte de l’Histoire du peuplement de Bakassi. Pour sa part, l’armée nigériane traîne les pieds dans la presqu’île. Elle avait commencé à se retirer le 31 août dernier dans la perspective du 15 septembre. Nul ne sait où en est le retrait. Mais les raisons techniques invoquées par Lagos et répercutées par Ould Abdallah sont visiblement très politiques.

Le 29 août, lors d’une réunion de leur commission mixte sous l’égide d’Ahmedou Ould Abdallah, les deux parties avaient décidé de se revoir avant le 15 septembre pour discuter «des modalités de retrait et de transfert d'autorité dans la péninsule de Bakassi». Le Nigéria n’était pas plus qu’aujourd’hui revenu sur sa reconnaissance de la souveraineté du Cameroun telle qu’établie par la CIJ. Mais il semblait déjà clair qu’un délai serait nécessaire. Finalement, les autorités locales de Bakassi paraissent avoir devancé le gouvernement fédéral pour annoncer que la date du 15 septembre ne serait pas respectée. Une manière de défi que le diplomate Ould Abdallah n’a pas porté au compte des autorités fédérales. Il se déclare «confiant que le succès n'est pas loin» et que le Nigéria se gardera bien de dénoncer l’arrêt international. De son côté, le président du gouvernement local, Ani Eric Essen, claironne que «nous rentrons chez nous convaincus que le gouvernement nigérian nous soutient», en attendant le transfert de souveraineté effectif.



par Monique  Mas

Article publié le 14/09/2004 Dernière mise à jour le 14/09/2004 à 15:17 TU