France-Afrique
Jean-Christophe Mitterrand joue les victimes
(Photo : AFP)
«Tourbillon médiatique», «pression insoutenable», «homme désespéré», Maître Olivier Schnerb s’est appuyé sur un certificat médical recommandant dix jours de repos à son client pour justifier l’absence de Jean-Christophe Mitterrand devant le tribunal correctionnel. Il «n'a pas la possibilité physique de venir devant vous», a-t-il ajouté, il «a peur de donner devant votre tribunal une image de lui-même qui n'est pas conforme à l'homme qu'il est». Le président du tribunal n’en a pas moins ordonné «la comparution du prévenu dont il estime nécessaire la présence», le 2 novembre prochain.
Si la fraude fiscale est établie, il encourt une peine de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende, même si le juge d’instruction français Philippe Courroye ne parvient pas à établir le caractère illicite de sa très rémunératrice mission auprès de Pierre Falcone. Il devra aussi payer des arriérés d'impôts pour la période allant de 1996 à 2000. C’est beaucoup, même pour le fils du défunt président de la République dont les proches ont déjà dû se cotiser en 2000 pour réunir les cinq millions de francs de caution (762 000 euros) qui lui ont permis de sortir de la prison de la Santé après trois semaines de détention. Son avocat, Maître Schnerb, plaide l’innocence. Mitterrand fils aurait payé ses impôts en Mauritanie où les conditions de financement d'une société de pêche lui appartenant, Iwik, ont attiré l’attention de la police judiciaire qui suspecte une officine de blanchiment d’argent. Des enquêteurs de la brigade financière l’ont d’ailleurs interrogé en garde à vue le 22 juin dernier.
Jean-Christophe le Mauritanien
Dans le cadre de la procédure engagée sur l’Angolagate, le juge d'instruction Philippe Courroye avait en effet découvert que Pierre Falcone avait versé à Jean-Christophe Mitterrand quelque 2,6 millions d'euros, en plusieurs versements, entre 1997 et 1999, sur un compte Iwik, ouvert le 23 avril 1992, dans la banque privée Darier et Hentsch, en Suisse. Selon Jean-Christophe Mitterrand, une partie de ces fonds auraient servi à financer un projet de pêcherie en Mauritanie, resté en dormance jusque début 2001. Pendant ce temps, en France, en 1996 et 1997 notamment, Jean-Christophe Mitterrand percevait des allocations de chômage. Or la défense plaide que Jean-Christophe Mitterrand résidait en Mauritanie entre 1996 et 2000, ne conservant en France qu’une «chambre chez sa mère», à Paris. Il n'aurait eu aucune obligation de déclarer ses revenus hors de Mauritanie, ce qui ne l’a pas empêché de le faire partiellement, en 1998 et en 1999 justement, sauf pour l’argent passé en Suisse, fait observer l’accusation.
Dans un entretien au quotidien français Le Monde, Jean-Christophe Mitterrand assure détenir «quelques documents qui prouvent que j'ai bel et bien payé mes impôts là-bas mais, pour prouver que je ne raconte pas d'histoires, il faudrait que je puisse me rendre à Nouakchott. Or depuis quatre ans je suis contraint de rester dans l'hexagone», où il demeure placé sous contrôle judiciaire avec retrait du passeport. «L'administration doit démontrer que la résidence fiscale est la France», plaide son avocat, faisant valoir l’existence d'une convention fiscale entre la France et la Mauritanie pour affirmer que ce morceau de désert africain n’est pas un paradis fiscal. Selon Me Schnerb, les fonds incriminés devraient d’ailleurs être considérés comme «des bénéfices non commerciaux pour lesquels il n'est pas tenu compte du domicile fiscal mais du centre des intérêts économiques», en Mauritanie, où ils paraissent pourtant avoir été investis, en espèces, en 2001, c’est-à-dire après le blocage de ses comptes bancaires suite à la procédure sur l’Angolagate.
Jean-Christophe Mitterrand, «papa m’a dit» comme l’avaient baptisé ses détracteurs, était correspondant de l'Agence France-Presse à Nouakchott en 1975, avant l’avènement de son père à la présidence (en 1981). Il a laborieusement lancé en 1996, son projet de pêche Iwik en Mauritanie avec un ancien de la radio RMC, Olivier Collonge, témoin à charge du juge Courroye depuis que son ex-associé Mitterrand l’a accusé du détournement de 935 000 euros. Les deux hommes se sont brouillés en avril 2003, Olivier Collonge réclamant le remboursement de sa mise (250 000 euros selon lui) dans l’entreprise de pêche qu’il était chargé de diriger en Mauritanie. Pour sa part, Jean-Christophe Mitterrand a invoqué des trous de mémoire concernant différents mouvements de fonds sur son compte suisse Iwik. Il n’explique pas non plus comment il a pu enfin faire tourner les finances de la société de pêche éponyme en 2002 et 2003.
Demande de dessaisissement du juge Courroye
Olivier Collonge a perdu en appel. Mais ses dépositions ont alimenté le dossier Mitterrand. Selon Collonge en effet, au vu de sa trésorerie et du blocage des comptes de son associé, le projet Iwik aurait dû tourner court en 2001. Mais, pressé de justifier la destination des fonds mis à jour par les enquêteurs de l’Angolagate, Jean-Christophe Mitterrand a multiplié les transferts d’argent frais en Mauritanie pour achever la construction de l’usine et lancer la production, en 2002. Les versements de liquidités ont empruntés toutes sortes de chemins de traverse et, selon Collonge, Jean-Christophe Mitterrand aurait «déclaré au fisc mauritanien plus de 1 million de dollars de revenus sur l'usine après 1998…qui lui a permis d'éviter de payer des impôts sur le revenu en France, qui auraient été bien supérieurs».
Depuis que Pierre Falcone a quitté la France en 2003 grâce à un passeport diplomatique angolais auprès de l'Unesco, l’enquête sur les ventes d'armes à l’Angola est gelée. Mais l’Angolagate rattrape Jean-Christophe Mitterrand par sa feuille d’impôts. Il veut y voir l’acharnement du juge Courroye dont il a demandé le dessaisissement, aux côtés de Pierre Falcone et de l’ancien ministre français de l’Intérieur, Pierre Pasqua. Le 30 septembre, la cour d'appel de Nancy doit se prononcer sur leur requête conjointe, concernant une erreur matérielle du juge d’instruction, un document antidaté dans l'enquête sur l’Angolagate. En attendant le verdict sur ce volet de l’affaire, Jean-Christophe Mitterrand s’est fait porter «pâle», face à l’administration fiscale.
par Monique Mas
Article publié le 16/09/2004 Dernière mise à jour le 16/09/2004 à 14:30 TU