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Serbie

La Voïvodine, nouveau foyer de tensions ?

Les incidents interethniques se multiplient en Voivodine, province du nord de la Serbie.
Les incidents interethniques se multiplient en Voivodine, province du nord de la Serbie.
L’extrême droite nationaliste serbe a enregistré une nouvelle poussée au premier tour des élections locales, le 19 septembre, alors que les incidents interethniques se multiplient dans cette province du nord de la Serbie : que se passe-t-il en Voïvodine ?
De notre correspondant à Novi Sad

La Voïvodine étend ses vastes étendues plates, parsemées de petites cités austro-hongroises, jusqu’aux frontières de la Hongrie. Le statut de large autonomie de la province a été largement rogné par Milosevic en 1989, mais la Voïvodine a pu rester un havre de paix, malgré quelques tensions en 1991, durant la guerre de Croatie. Près de 30 nationalités différentes cohabitaient jusqu’à présent sans heurts, l’administration provinciale utilise six langues officielles, et nulle part ailleurs en Europe, assure-t-on avec conviction à Novi Sad, les minorités nationales ne jouissent de droits aussi élevés.

Pourtant, depuis un an, les incidents se multiplient : graffitis insultants, croix cassées et monuments vandalisés dans les cimetières catholiques… La nuit du Nouvel an, le 13 janvier dernier, des bandes de jeunes Serbes éméchés hurlaient dans les rues de Novi Sad qu’ils allaient égorger tous les Hongrois. La plupart des violences se concentrent en effet sur les Croates et les Hongrois. Cette chronique des haines ordinaires, des altercations qui dégénèrent le samedi soir à la sortie des fêtes de village, a brusquement pris un tour nouveau quand une famille hongroise d’un faubourg de Subotica, la grande ville du nord de la province, a demandé l’asile politique en Hongrie, au début du mois de septembre.

Les autorités de Budapest ont immédiatement saisi le Conseil de l’Europe, une commission de l’Union européenne a été envoyée dans six communes de Voïvodine, et le président de la République hongroise s’est même rendu sur les lieux, à Subotica, ainsi qu’à Belgrade, pour rencontrer les dirigeants serbes. « La famille qui a demandé l’asile en Hongrie était une famille très pauvre qui cherchait depuis longtemps a émigrer », assure pourtant Alen Maric, un journaliste de la télévision locale de Subotica. Pour lui, l’affaire a été montée de toutes pièces à des fins politiciennes.

Les Hongrois perdent confiance

Jozef Kasza, dirigeant de l’Alliance des Hongrois de Voïvodine (SVM) est le principal artisan de cette internationalisation de la question. Allié des partis démocratiques serbes, il était devenu vice-Premier ministre de Serbie après la chute de Milosevic, mais lors des législatives du 28 décembre 2003, les minorités nationales de Serbie ont perdu tous leurs représentants au Parlement, en raison d’un seuil électoral trop élevé. « Les Hongrois de Voïvodine ne font plus confiance à Belgrade. En nous excluant de la vie politique, on court le risque d’une nouvelle radicalisation », prévenait alors Jozef Kasza. La Voïvodine serait-elle donc le prochain baril de poudre des Balkans ?

Senta est une petite ville nichée tout au nord de la Voïvodine, dont les 30 000 habitants sont à 93% Hongrois. Dule, un restaurateur serbe de Belgrade, est néanmoins en train d’investir pour réaliser un complexe touristique dans les vignes qui entourent la ville. « J’ai vendu mon appartement de Belgrade, j’ai tout investi ici », explique-t-il sans cacher son inquiétude. « Je connais les gens de Voïvodine, je ne crois pas à une nouvelle guerre, mais pourtant, les discours prononcés ces dernières semaines me rappellent trop ceux que l’on entendait au début des guerres de Croatie et de Bosnie ».

Le voisin de Dule, Zoran Kozic, gère un salas, une grande ferme d’élevage traditionnelle de Voïvodine. Il laisse paître ses vaches et ses chevaux jusqu’à la rivière Tizsa, qui coule à une dizaine de kilomètres. « Je suis orthodoxe, et je me considère comme Serbe, explique Zoran, mais j’ai calculé que j’avais 16 origines nationales différentes, et ma femme est une musulmane de Bosnie. J’ai toujours parlé les deux langues, le serbe et le hongrois. Je suis fier et heureux d’être bilingue, c’est une richesse inappréciable à l’heure de l’intégration européenne ». Sous le régime de Milosevic, le Serbe Zoran avait même préféré franchir la frontière pour aller ouvrir un restaurant à Szeged, en Hongrie. « Ce qui m’inquiète, c’est que mes enfants ne veulent pas apprendre le hongrois. Si les jeunes de Voïvodine se renferment dans leurs propres communautés nationales, ils préparent eux-mêmes leur malheur », poursuit-il.

« Il y avait 400 000 Hongrois en 1991, il n’en reste plus que 290 000, et le mouvement d’exode se poursuit », explique Attila Juhàsz, le maire de Senta. « Les Hongrois sont partis pour ne pas participer aux guerres de Milosevic, et à cause de la situation économique de la Serbie. Aujourd’hui, notre malheur est peut-être d’être trop proches de la Hongrie, qui exerce une attraction irrésistible, maintenant qu’elle est membre de l’Union européenne ». Militant du SVM, le parti de Jozef Kasza, Attila Juhàsz, se défend d’être un nationaliste, et lors du premier tour des élections municipales, dimanche dernier, le SVM a été sévèrement concurrencé par de nouvelles formations hongroises beaucoup plus radicales. « Le SVM défend les droits nationaux des Hongrois de Voïvodine, mais nous n’avons jamais réclamé la révision du traité de Trianon et des frontières de la Hongrie ! »

Les efforts d’internationalisation du problème des Hongrois de Voïvodine n’ont en effet guère profité au SVM, qui a essuyé de sérieux revers électoraux. Par contre, cela semble avoir directement bénéficié au Parti radical, l’extrême droite nationaliste serbe, qui a obtenu plus de 35% des voix, et dont la candidate à la mairie de Novi Sad aborde le second tour en position de favorite. Les Radicaux ont exploité le sentiment de peur qui a saisi la communauté serbe, et notamment les centaines de milliers de réfugiés chassés de Croatie, de Bosnie et du Kosovo que la Voïvodine abrite toujours. Selon Bojana Janjusevic, journaliste au quotidien régional Dnevnik, ces réfugiés ont l’impression que l’histoire est en train de se répéter, et que le discours musclé des Radicaux représente la meilleure protection. « Vouloir internationaliser le problème n’est pourtant pas la bonne solution. Depuis les bombardements de l’OTAN, les Serbes n’aiment pas que l’on se mêle de leurs affaires ».

Aucune tension n’est pourtant perceptible à Subotica, et Stanka Parac Damjanovic, qui anime une Agence de la démocratie locale, refuse la dramatisation. Elle-même appartient à l’importante minorité croate de la ville. « Le plus grave, c’est que la vieille tradition de multiculturalisme de la Voïvodine est en train de disparaître au profit d’un face-à-face entre Serbes et Hongrois ou, plus exactement, entre extrémistes des deux camps », estime-t-elle.

« Le plus dangereux, ce ne sont pas les incidents interethniques en eux-mêmes, mais la peur qui s’est répandue dans toute la Voïvodine. Tout le monde se sent désormais en insécurité », semble lui faire écho de Novi Sad la Serbe Bojana Janjusevic.



par Jean-Arnault  Dérens

Article publié le 25/09/2004 Dernière mise à jour le 25/09/2004 à 10:51 TU