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France-Chine

Chirac l’Asiatique

Le président Jacques Chirac entame sa tournée asiatique par Singapour. Suivront le Vietnam et la Chine. 

		(Photo : AFP)
Le président Jacques Chirac entame sa tournée asiatique par Singapour. Suivront le Vietnam et la Chine.
(Photo : AFP)
Le président français Jacques Chirac s’est envolé mardi matin à destination de Singapour, première étape d’une tournée asiatique de huit jours qui le conduira ensuite au Vietnam, mais qui sera dominée par la visite d’Etat de quatre jours qu’il effectuera à Pékin. Cette visite marquera la volonté française d’établir une relation spéciale avec la Chine, sur la base d’un partenariat « de référence », mêlant intimement économie et politique.

L’Elysée annonce un « très long voyage », placé sous le signe de « l’économie, de l’investissement et de l’emploi ». Il démarre mercredi, à Singapour où Jacques Chirac entamera sa tournée. Singapour est le « troisième partenaire économique de la France en Asie », écrit le président français dans une tribune publiée à la veille de son arrivée par le quotidien Singapore Strait Times. Il annonce son intention de « marquer la volonté de la France de poursuivre cette relation d’amitié, de confiance et de partenariat » avec la ville-Etat. On prête à Jacques Chirac l’espoir de convaincre ses interlocuteurs d’acheter l’avion de combat français Rafale, dont seule l’armée française a commandé 59 exemplaires. Le Rafale est concurrencé par l’Eurofighter européen et le F-15 américain.

Au Vietnam, seconde escale du président français, Jacques Chirac participera au cinquième sommet Asie-Europe, censé poursuivre le désenclavement d’Hanoï sur la scène internationale. C’est un sommet qui consacrera l’arrivée des 10 nouveaux européens et de trois nouveaux asiatiques : le Cambodge, le Laos et la Birmanie dont le niveau de la représentation a engendré quelques débats au sein de la commission préparatoire en raison des violations des droits de l’Homme commises par la junte au pouvoir à Rangoon. Selon le porte-parole de Jacques Chirac, l’Union européenne (UE) va imposer de nouvelles restrictions aux échanges avec la Birmanie si le régime ne prend pas de mesure de démocratisation et maintient l’opposante Aung San Suu Kyi en résidence surveillée. Le protocole présidentiel a indiqué que Jacques Chirac ne pourrait assister à la cérémonie d’accueil de Rangoon en raison du calendrier de sa visite officielle menée parallèlement au Vietnam et du fait qu’il visitera les vestiges archéologiques de Ba Dinh à ce moment-là.

Sinophilie française

Mais c’est la visite en Chine qui est évidemment considérée comme la partie principale de ce voyage. Le pari chinois de la France fut précoce. A l’initiative du général de Gaulle, Paris est la première capitale occidentale à établir des relations diplomatiques avec Pékin, en 1964. Depuis cette date, malgré l’accueil de dissidents, les livraisons d’armes à Taïwan, si quelques crises sérieuses ont pesé sur les relations bilatérales, aucune n’a durablement affecté cette tendance lourde d’une volonté de permanence. Et Jacques Chirac appartient à cette génération d’hommes politiques influencée par les anticipations de l’ancien ministre du général de Gaulle, Alain Peyrefitte, qui de retour de mission sur place écrivit le fameux « Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera  » (1973), dont l’expression est attribuée à… Napoléon. Témoignage d’une préoccupation ancienne !

Les relations entre Paris et Pékin sont d’ailleurs davantage caractérisées par une attitude conciliante et compréhensive de la France à l’égard de la Chine que par une attitude de fermeté au regard de la situation politique intérieure et du respect de la démocratie et des droits de l’Homme. La France se soumet aux restrictions imposées par l’ONU et l’UE, mais se place plutôt du côté des défenseurs de Pékin au sein des instances internationales. La visite qu’entamera le chef d’Etat français sur place sera la troisième. Depuis son arrivée au pouvoir, en 1995, il ne s’est pas passée une année sans qu’une navette, dans un sens ou dans l’autre, ne vienne conforter la relation.

Multilatéralisme et business

Evidemment, avec un taux de croissance annuel constant, depuis une douzaine d’années, de 8 à 9%, on devine que cette « relation forte » n’est pas dénuée d’arrière-pensée commerciale. La diplomatie française conduite par Jacques Chirac, et selon laquelle multilatéralisme et business sont complémentaires, n’éprouve aucune fausse pudeur sur cet aspect-là de la question.

Aujourd’hui, la Chine est donc un énorme marché émergent. Un colossal chantier de construction est à l’œuvre jusque dans les provinces les plus reculées du pays. L’idée dominante, en Europe et en Amérique du Nord, est que « si vous n’êtes pas en Chine, vous êtes hors-jeu », déclare le professeur d’économie au Massachusetts Institute of Technology, Lester Thurow.

Les Européens ont une carte particulière à jouer au nom du seul principe qu’ils ne sont pas Américains. Le passif historique avec l’Oncle Sam n’est pas encore soldé que les deux géants passent directement d’un rapport de pouvoir idéologique à une relation de concurrence économique effrénée. Certains spécialistes estiment qu’à moyen terme, quarante ans peut-être, la Chine sera la première puissance économique mondiale. D’autres ont estimé que l’invasion américaine de l’Irak avait pour objectif d’écarter Pékin des ressources pétrolières régionales.

Commerce triangulaire

Néanmoins, Washington ne sera jamais un partenaire négligeable, en raison du fait que l’Europe ne représente pour le moment pour Pékin qu’un facteur d’équilibre visant à contrebalancer la puissance américaine. Et, dans ce petit jeu triangulaire, les pays de l’UE ne sont pas tous égaux face à la Chine qui, par exemple, importe trois fois plus d’Allemagne que de France. L’un des objectifs de Paris et donc de porter ses performances à hauteur des allemandes, soit 20 milliards d’euros par an.

L’eau en bouteille et la maroquinerie de luxe n’y suffiront évidemment pas. Le président français s’est entouré pour cette visite d’une très importante délégation, comprenant notamment quatre ministres une cinquantaine de patrons, représentant les plus grands groupes industriels français, mais aussi des petites et moyennes entreprises, sur lesquelles les autorités comptent beaucoup pour créer une dynamique.

Privilégier la raison d’Etat

Entre la « diplomatie de boutiquier », selon l’expression du chercheur du CNRS Jean-Pierre Cabestan, chère au président qui n’hésite pas payer de sa personne pour promouvoir les talents français à l’extérieur, et le « partenariat stratégique global », réaffirmé avec le président Hu Jintao lors de sa visite en janvier 2004 à Paris, Jacques Chirac va exceller dans le genre diplomatique qu’il préfère. Créer un climat propice à nouer de bonnes relations et, le cas échéant, faire des affaires. Pour faire bonne mesure, et sachant qu’il est aussi attendu sur ce terrain-là, avant son départ M. Chirac a reçu la Ligue des droits de l’Homme, l’association France-Tibet et Amnesty international. Paris est en effet souvent accusé, dans ses relations avec Pékin, de privilégier la raison d’Etat économique et d’éventuels contrats à d’authentiques persécutions.

Plusieurs gros contrats sont à l’étude. Dans le domaine des transports où les avionneurs européen Airbus et américain Boeing se livre une lutte acharnée. La concurrence est également vive entre la France, l’Allemagne et le Japon pour la construction d’un train à grande vitesse. Dans le secteur de l’énergie, Jacques Chirac a embarqué avec lui les patrons d’EDF (électricité) et d’Areva (nucléaire), qui avec l’allemand Siemens, a construit 8 des 11 réacteurs chinois. Face à une demande d’énergie qui va aller croissante et à la nécessité de diversifier ses capacités de production, la Chine envisage de fabriquer 32 réacteurs nucléaires d’ici 2020.

A terme, on s’interroge sur la viabilité de cette course au marché chinois. La capacité d’appropriation du savoir-faire occidental par les Chinois, par copiages ou transferts de technologie, risque rapidement de créer surprises et de tarir la source, avant d’inverser le processus. Mais, d’ici que le fournisseur ne devienne le client, la France veut continuer à s’attirer les bonnes grâces de Pékin, ne serait-ce que pour contribuer à conforter la vision multilatérale des relations internationales dont Jacques Chirac est le porte-parole. Pour un bénéfice politique, donc.



par Georges  Abou

Article publié le 05/10/2004 Dernière mise à jour le 06/10/2004 à 13:36 TU