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Peinture

Dali rencontre Turner à Venise

Les peintures de l'anglais JMW Turner sont exposées au musée Correr à Venise. 

		(Photo : musée Correr)
Les peintures de l'anglais JMW Turner sont exposées au musée Correr à Venise.
(Photo : musée Correr)
Ce n’est sans doute pas un hasard, si deux maîtres incontestables - quoique controversés - se retrouvent actuellement à Venise et pour de longs mois. Le Catalan Salvador Dali, et l’Anglais JMW Turner sont à l’affiche des deux principaux lieux d’expositions de la cité des doges : le palais Grassi sur le Grand Canal, et le musée Correr sur la Place Saint-Marc. Un véritable festival de couleurs, d’atmosphères - et de provocations - dans une ville qui glisse lentement vers la saison du brouillard tiède et moite. Mais aussi un hommage à deux artistes qui ont chacun profondément marqué les deux derniers siècles de la peinture européenne.

Imprévisible et fascinant, souvent provocateur mais aussi très populaire, peut-être le plus connu des artistes du XXème siècle, Dali s’expose dans toute sa nudité à l’ombre du très classique palais Grassi. Et au fur et à mesure que l’on découvre ses différentes «périodes», manies ou obsessions, on ne peut que mieux comprendre les réticences et l’agacement de ceux qui continuent de le qualifier de léger, facile, vénal, opportuniste. Tandis que ses partisans ne peuvent que continuer de proclamer qu’il est tout simplement génial.


Dali s'expose dans toute sa nudité au palais Grassi.
Dali s'expose dans toute sa nudité au palais Grassi.







Revanche de l’irrationnel avec Dali

Cette rétrospective prétend prendre en compte tout Dali : ses œuvres datant d’avant comme d’après son séjour aux Etats-Unis (1940-1948), lorsqu’il avait élu domicile en France (jusqu’en 1940) et, surtout, après son retour très critiqué dans l’Espagne du caudillo Francisco Franco, en 1948, que tous les autres artistes d’avant-garde avaient fui. Pour lui le generalisimo est tout simplement «un saint qui a apporté clarté, vérité et ordre» à l’Espagne. Et Dali d’apostropher son rival Pablo Picasso, qui avait préféré rester en France, dans ces termes inattendus : «La nature spirituelle de l’Espagne est tout ce qu’il y a de plus éloigné du matérialisme russe. Nous, nous croyons dans l’absolue liberté catholique de l’âme humaine. Sache donc que malgré ton communisme nous considérons ton génie anarchique comme l’inséparable patrimoine de notre empire spirituel et ton œuvre comme une des gloires de la peinture espagnole. Puisse Dieu te préserver».

Dali affichait alors une religiosité - et des rencontres avec les prélats catholiques voire le pape lui-même - que d’aucuns ont vite qualifié de douteuses et ambiguës, à l’image d’un artiste préoccupé surtout d’obtenir l’autorisation de l’église d’épouser sa muse Gala, autrefois compagne d’André Breton.

Organisée à l’occasion du centenaire de la naissance de Salvador Dali, cette exposition est consacrée surtout à son œuvre picturale, de petit comme de grand format, mais elle n’oublie pas les autres provocations de l’artiste espagnol : ses sculptures, ses déclarations tonitruantes à la radio, à commencer par celle sur la gare de Perpignan, ses apparitions toujours inattendues sur le petit écran et ses propres mises en scène de cinéma. Le tout influencé par les relations plus ou moins tumultueuses, voire paranoïaques, de Dali avec la plupart de ses contemporains : Franco et Sigmund Freud, Jackson Pollock et de Kooning, André Breton et Pablo Picasso, De Chirico et Max Ernst, Luis Bunuel et Federico Garcia Lorca.

Poésie, violence, religion, sexe, couleurs, déchirements des formes, jeux et illusions optiques, tout ce qui compose l’univers de Dalì est proposé par cette exposition comme s’il s’agissait d’un parcours initiatique dans un monde qu’on pourrait qualifier de revanche de l’irrationnel.

Promenade à Venise avec Turner, avant Monet

Trois séjours, à partir de 1819, et quatre semaines en tout et pour tout. JMW Turner n’a consacré que peu de temps à Venise, mais plus de cent vingt oeuvres lui sont aujourd’hui dédiées. Peintures, aquarelles, dessins, et un cahier d’esquisses, toutes des œuvres d’un artiste en pleine maturité, qui avait connu Venise bien avant de l’avoir rencontrée.

Turner, en effet, fait partie de ces artistes britanniques qui ont été littéralement sidérés par la cité des doges via ses peintres, et surtout le «paysagiste» Canaletto. Car, au lendemain de la paix d’Amiens entre France et Grande Bretagne, en 1802, les artistes d’outre-Manche peuvent enfin revenir sur le continent et séjourner notamment à Paris, où le Louvre vient d’accueillir de nombreuses œuvres de Titien, Véronèse ou Tintoret, que Napoléon Bonaparte avait pris soin «d’emprunter pour toujours», de voler, selon les Vénitiens. C’est sur ces œuvres que Turner découvre la finesse des paysages peints par des artistes qui, à la suite de Giorgione et de son œuvre la plus connue, la Tempête, commencent à placer au centre de leurs œuvres des paysages de la cité des doges, de sa lagune et des premières collines de la Vénétie. Chez Titien, Turner découvre ce qu’il nomme «la couleur et le pathos de l’effet» qu’il cherche désormais à imiter et à dépasser.

Des toits et de la chambre qu’il occupe à l’Hôtel Europa, situé au début du Grand Canal, Turner peint ou dessine des vues exceptionnelles sur la place Saint-Marc et son campanile ou sur la basilique de la Salute. Toujours pressé, Turner dessine, surtout au crayon, des esquisses qu’il travaille ensuite à sa guise, pour saisir une lumière inattendue, surtout le matin, sur le bassin de Saint-Marc.

Il avait sans doute été influencé par Lord Byron, un autre britannique amoureux de Venise, qui venait de décrire une ville certes en partie déjà en ruines, mais toujours belle et attrayante. Mais Turner ne peint pas de simples «ruines pittoresques». Il fait déjà, une cinquantaine d’années, avant Claude Monet (qui séjournera presque au même endroit), une véritable oeuvre de transfiguration que l’on devrait qualifier de pré-impressionniste.

L’expo du Musée Correr est en réalité une première. La plupart des peintures, aquarelles et dessins de Turner consacrés à Venise n’avaient jamais été proposés au public. Ils témoignent aussi du soucis de Turner d’adapter son travail à la spécificité de cette cité lagunaire. De sa barque ou des quais de Venise, il propose de nouvelles visions d’une ville hors normes, beaucoup moins classiques que celles de Guardi ou même de Canaletto. Car la Venise de Turner n’est pas toujours la cité resplendissante sous le soleil des artistes vénitiens. Pour lui, le peu de lumière de l’intérieur de la basilique de Saint-Marc comme les clairs de lune sur la lagune sont tout autant prétextes à des jeux de couleurs inattendus, au-delà de la reproduction pure et simple d’un paysage beau mais figé.

Cette promenade dans Venise - mais aussi dans sa lagune - que nous propose Turner a été qualifiée de «jeu léger et fantastique de couleurs», mais elle a d’abord surpris et déconcerté les contemporains. La plupart de ces œuvres n’ont pas trouvé d’acquéreur après la mort du peintre. Elles retrouvent aujourd’hui la lumière qui les a inspirées, là où Turner l’avait captée.


par Elio  Comarin

Article publié le 16/10/2004 Dernière mise à jour le 16/10/2004 à 09:49 TU

Dali : Venise, Palazzo Grassi, Campo San Samuele. Jusqu’au 16 janvier 2005.

Turner and Venice : Venise, Musée Correr, Place Saint-Marc. Jusqu’au 23 janvier 2005.