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Peinture

Poliakoff, un Russe à l’Ecole de Paris

<STRONG>Composition abstraite, 1938</STRONG><BR>Gouache sur papier<BR>25 x 30 cm 

		(Source : ADAGP 2004)
Composition abstraite, 1938
Gouache sur papier
25 x 30 cm
(Source : ADAGP 2004)
Jusqu’au 7 novembre, le Musée Maillol expose 150 œuvres sur papier de Serge Poliakoff, peintre russe de l’Ecole de Paris et aventurier de l’abstraction faite couleur. L’exposition met en lumière le travail et la recherche d’un solitaire qui voulait «faire une peinture du silence» et «donner de la couleur à l’air». Plus connu peut-être pour ses œuvres sur toile, celles sur papier ne sont pas mineures du tout, et révèlent son souci de laisser vivre la couleur comme une matière.
Les œuvres exposées s’étalent sur une période qui va de 1930 à 1969, vives, colorées, équilibrées. La palette exploitée n’est pas si large, sept à huit couleurs peut-être, mais le travail de frottement de l’une contre l’autre, et de superpositions des couches donne une infinie gamme de nuances à la fois chaudes, joyeuses et lumineuses. Les peintures deviennent très douces lorsque, dans les années 60, elles entraînent la vibration vers un estompage de la couleur dans des camaïeux de bleus ou de gris. Chaque accrochage est sobrement intitulé «composition abstraite». Inutile de chercher à y voir quelque représentation que ce soit, ce serait antinomique, et chercher à expliquer ce qu’est l’abstraction serait par définition un non sens, explique en substance Serge Poliakoff, dans le film qui accompagne l’exposition car «c’est une sorte d’idéalisme qui n’existe pas». Les formes sont là dans une recherche de l’équilibre architectural de la composition, comme découpées à plat dans la couleur, emboîtées les unes dans les autres avec force, équilibre et harmonie.
<STRONG>Danse russe au Kakochnick, 1937</STRONG><BR>Gouache sur papier, 32 x 25 cm<BR><EM>Photo Jean-Alex Brunelle</EM 

		(Source : ADAGP 2004)
Danse russe au Kakochnick, 1937
Gouache sur papier, 32 x 25 cm
Photo Jean-Alex Brunelle(Source : ADAGP 2004)
Le choix du titre de l’exposition est lié aux souvenirs intimes d’Alexis Poliakoff, fils du peintre et commissaire à l’exposition : «nous allions l’été à Gordes [sud de la France],ou ailleurs dans le Midi. Mon père emmenait sa table de jeux pliante, des couleurs en poudre et du papier. Il travaillait à l’ombre dans la maison, et faisait essentiellement des gouaches». «La saison des gouaches» rappelle joliment le temps béni des vacances qui s’égrenaient dans une région vibrante de lumière et de sonorités. Le ciel méditerranéen est là, dans les bleus intenses et les jaunes vifs, les stridulations des cigales aussi dans le frottement des couleurs qui claquent. De plus, dans la mémoire familiale, la saison des vacances et des gouaches rejoint aussi les saisons de la gloire et de l’épanouissement. En effet, la notoriété aidant, dans les années 50, le père d’Alexis Poliakoff est aussi plus libre d’esprit, «il ne connaît plus l’astreinte harassante des nuits à jouer de la musique dans les cabarets russes parisiens pour faire vivre la famille», il ne fait plus de la musique que pour se faire plaisir, et peut enfin «se dédier complètement à la peinture».

«Le lion chasse seul»

Quelques fusains, encres, pastels, et sanguines mettent en perspective le travail du même peintre, rappelant à la fois sa terre d’origine et celle de ses rencontres en terre d’exil. Né en Russie avec le siècle, Serge Poliakoff quitte son pays à la Révolution d’octobre, et n’arrive à Paris qu’en 1929, une année qui marquera ses véritables débuts picturaux. Russe blanc exilé, il rejoint à Montparnasse et à Montmartre la communauté des peintres de l’Ecole de Paris, et partage leur aventure, faite de «vaches maigres», de fêtes, de rencontres et d’échanges enrichissants. «Le sacré cœur» (1934), et «Coin de rue à Montmartre» (1937) sont un clin d’œil à un moment de la biographie du peintre, mais attestent aussi de sa maîtrise de l’art figuratif. «La porteuse d’eau russe» (1935), «Danse russe au Kakochnick» (1937), «Danse russe au caftan bleu» (1938) ou bien encore «Illustrations pour le conte de Gogol, la Nuit de Noël» (1936), rappellent parmi d’autres œuvres exposées l’empreinte des origines. «La saison des gouaches» se situe, mentalement, entre les deux : entre les souvenirs d’enfance et la découverte d’une terre d’accueil, c’est en quelque sorte l’espace des rencontres.
<STRONG>Le Sacré-Coeur, 1934<BR></STRONG>Gouache sur papier, 53 x 37 cm 

		(Source : ADAGP 2004)
Le Sacré-Coeur, 1934
Gouache sur papier, 53 x 37 cm
(Source : ADAGP 2004)
«Le lion chasse seul», se plaisait à dire Serge Poliakoff, soucieux de garder son indépendance. Pour autant, comme tout peintre à Paris, fréquentant les pôles effervescents de Montmartre et de Montparnasse au début du siècle dernier, il fut en contact avec des confrères, notamment chez les Delaunay, dont il fréquentait l’atelier, et qui organisaient des cours, réunissant trente à quarante peintres partageant un même état de recherche. Bien qu’adoubé par Kandisky, Poliakoff fut donc très marqué dans son travail par Robert Delaunay, comme l’attestent ses études sur les bandes de couleurs : «Serge Poliakoff invente une couleur matière. Puis, en renonçant au trait qui séparait les couleurs, il confère à cette couleur la dimension d’une forme [et] au fur et à mesure qu’il approfondit ses recherches sur la couleur, il transforme également la composition de ses tableaux», explique Bertrand Lorquin, conservateur du musée Maillol.

Comme tout peintre de l’Ecole de Paris, Poliakoff a gardé le sceau de ses origines : son fils et tous les critiques d’art s’accordent à reconnaître que «le contact le plus important qu’il ait pu avoir avec la peinture lui vient de sa mère, une femme très pieuse (qui) l’emmenait souvent à l’église orthodoxe», explique Bertrand Lorquin, déterminant ainsi pour la suite «un véritable intérêt pour la métaphysique d’où il déduira ses œuvres géométriques». Et, comme tout peintre de l’Ecole de Paris, il s’est enrichi du langage pictural des amis qu’il fréquentait assidûment comme Hartung, Schneider, Soulages qui, parmi d’autres, ont également laissé à la postérité un nom accroché au langage de la peinture abstraite.


par Dominique  Raizon

Article publié le 15/09/2004 Dernière mise à jour le 15/09/2004 à 13:45 TU