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Peinture

Jongkind, un Néerlandais en France

<P><B><I>Portrait de l'artiste par lui-même<BR></I></B>1850 (annoté en 1860)graphite<BR>20,5 x 17<BR>Paris, musée d’Orsay, conservé au département des Arts graphiques du musée du Louvre, <BR>legs Étienne Moreau-Nélaton, 1927<BR><B>Photo RMN, Paris</B></P>

Portrait de l'artiste par lui-même
1850 (annoté en 1860)graphite
20,5 x 17
Paris, musée d’Orsay, conservé au département des Arts graphiques du musée du Louvre,
legs Étienne Moreau-Nélaton, 1927
Photo RMN, Paris

De grands musées européens se sont associés pour proposer une rétrospective consacrée à Johan Barthold Jongkind, lequel passa les trois quarts de sa vie en France. A travers cette exposition -ultime étape après le Gemeentemuseum de La Haye, et le Wallraf-Richartz-Museum de Cologne- la Réunion des musées nationaux et le musée d’Orsay rendent ainsi justice à l’un des grands précurseurs de l’impressionnisme. C’est à la suite de sa rencontre avec Isabey, peintre français, que Jongkind, peintre de marines inscrit dans la tradition hollandaise, décide de se rendre à Paris en 1845. La peinture est originale, et surprend. Jongkind n’obtient pas tout de suite l’adhésion du grand public, mais son travail suscite très vite, en revanche, l’admiration de ses pairs qui y décèlent une grande modernité. Il gagne l’amitié et la reconnaissance des peintres de l’école de Barbizon et des impressionnistes français. En 1855, ses toiles sont accrochées dans la section des peintres français de l’Exposition universelle.

L’exposition met en valeur dans la première salle les toiles de jeunesse. Néerlandais de naissance, attaché à la tradition hollandaise, Jongkind étudie, en pleine période florissante du romantisme, à l’Académie royale des Beaux-Arts de La Haye. Toute sa vie il peint quasiment exclusivement des paysages, et à l’intérieur de ce genre pictural, quelques thèmes récurrents. Mais, si le répertoire thématique est limité, la manière de traiter est riche d’innovations, et ses pairs ne s’y trompent pas.

A ses débuts, il peint des paysages et des scènes familières des Pays-bas: des canaux, des moulins, des marines, des patineurs sur des paysages de neige et de verglas, des clairs de lune étranges sur des ports. Deux toiles juxtaposées, Scène d’hiver en Hollande (1846) et Clair de lune à Rotterdam (1873) rendent compte de l’évolution très sensible du peintre en 30 ans: sur le premier tableau, la lumière est lissée, sur l’autre les aplats en virgule avec des touches audacieuses de rouge dans le ciel de nuit amorcent le travail auquel s’attacheront les impressionnistes. Avant eux, le peintre hollandais se distingue par une peinture originale et moderne, dans laquelle la matière est pâteuse et riche en couleurs, la technique rigoureuse, et les lois de la perspective allègrement transgressées: il se passe des lignes de perspective, et s’appuie souvent sur le premier plan.


<P><B><I>Notre-Dame de Paris vue du quai de la Tournelle<BR></I></B>1864<BR>Huile sur toile<BR>42,5 x 57<BR>Paris, collection particulière, DR<BR><B>© Photo RMN, Paris</B></P>

Notre-Dame de Paris vue du quai de la Tournelle
1864
Huile sur toile
42,5 x 57
Paris, collection particulière, DR
© Photo RMN, Paris






























De l’école hollandaise à l’école française du paysage

Arrivé à Paris, il élargit son répertoire tout en restant dans le registre des paysages. Toujours séduit par les couchers de soleil, un thème qu’il traitait déjà en Hollande, il peint cette fois des scènes de vie sur les quais de Seine, des reflets de bateaux-lavoirs dans le cours du fleuve, des chevaux de traits, des fardiers, des grues et des remorqueurs. Les compositions sont équilibrées, la palette vive et les contrastes forts, opposant par exemple le soleil et l’orage annoncé par des nuages sombres. Non-romantique, il peint des paysages industriels : «savoir humer et regarder le Paris peu fier, gentiment populaire des barrières –au fond, quel choix provocant en matière de paysage et qui tranche sur la sage poétique rurale et sylvestre des gens de Barbizon !- où s’étalent tant d’inscriptions comme tel Chantier (…) ou Roi du désert, appellation d’un cabaret assez isolé de Montmartre», souligne Jacques Foucart dans le très beau catalogue édité pour l’exposition.

La Seine, avec Notre-Dame en arrière-plan fascinaient déjà les peintres depuis le début du XIXe siècle, mais Jongkind ne la peint pas de manière touristique, il la resitue dans une composition d’ensemble. Il peint abondamment les ponts de Paris (le Pont-Royal, le Pont de l’Estacade, Notre-Dame de Paris vue du quai de la Tournelle ou du quai de Montebello…). Il plante aussi son chevalet au cœur de la ville: il peint la Rue des Francs-Bourgeois en démolition, la Rue Notre-Dame en plein soleil, le Boulevard de Port Royal, avec des ciels éclaboussés de luminosité.

Retourné au Pays-bas, ses amis français le rappellent et, deux ans après son retour en France, il se lie d’amitié avec Eugène Boudin et Claude Monet: ils ont tous les trois la passion de la mer. «Honfleur est un des lieux de villégiature les plus appréciés des Parisiens fortunés. Les peintres y trouvent en outre motifs maritimes et acheteurs potentiels». Il peint la Jetée de Honfleur, l’embouchure de la Seine à, que ce soit à Harfleur ou à Sainte-Adresse à côté du Havre, et se montre très inspiré par tout le littoral normand, la beauté romantique et sauvage des côtes françaises, et par les falaises d’Etretat : «Mon bon ami Boudin,… je vous trouve fort heureux dans ce beau pays où il y a tant à peindre et où on peut vivre si tranquillement» écrit Jongkind à Boudin, en 1862.

<P><B><I>Le Port de Honfleur<BR></I></B>1865<BR>Huile sur toile<BR>52,1 x 81,6 <BR>New York, The Metropolitan Museum of Art, acquis sur le fonds Wolfe, 1916, Catharine Lorillard Wolfe Collection<BR><B>©The Metropolitan Museum of Art, New York</B></P>

Le Port de Honfleur
1865
Huile sur toile
52,1 x 81,6
New York, The Metropolitan Museum of Art, acquis sur le fonds Wolfe, 1916, Catharine Lorillard Wolfe Collection
©The Metropolitan Museum of Art, New York




























 «Je lui dois l’éducation définitive de mon oeil», Claude Monet

Si Impression soleil levant de Claude Monet, semble né des marines de Jongkind, il n’y a rien d’étonnant. Le peintre français est formé par Jongkind à cette décomposition de la couleur et au travail des ambiances, caractéristiques essentielles du courant impressionniste. Monet lui voue une  reconnaissance sincère: «(…) il [Jongkind] m’invita à venir travailler avec lui, m’expliqua le comment et le pourquoi de sa manière et compléta par là l’enseignement que j’avais déjà reçu de Boudin. Il fut, à partir de ce moment, mon vrai maître, et c’est à lui que je dus l’éducation définitive de mon oeil» (Claude Monet, «Mon histoire», recueillie par Thiébault-Sisson, le Temps 26 nov.1900).

Sylvie Patin, conservateur en chef au musée d’Orsay et commissaire de l’exposition rappelle qu’en 1868, le mot ’impression’ existe sous la plume de Zola, toujours à propos de Jongkind : «je ne connais pas d’individualité plus intéressante. (…) Son métier de peintre est tout aussi singulier que sa façon de voir. (…) On dirait des ébauches jetées à la hâte, par crainte de laisser échapper l’impression première (…) Ici tout est original, le métier, l’impression, et tout est vrai, parce que le paysage entier a été pris dans la réalité avant d’avoir été vécu par un homme».

La filiation aux peintres impressionnistes est également reconnue aussi par Paul Signac, peintre néo-impressionniste, mais aussi critique d’art: «il faut replacer ce rénovateur du paysage moderne entre Corot et Monet, en tête de ces autres précurseurs de l’impressionnisme: Boudin, Cals, et Lépine. Et, comme il le souhaitait, comme il l’indiquait en se proclamant, dans les livrets du Salon, élève d’Isabey ( …), il doit être classé parmi les maîtres de l’Ecole française». Mais on n’aura pas assez dit l’envergure de son influence si on omet de parler de son oeuvre  d’aquarelliste.

C’est précisément de cette peinture là dont Johan-Barthold Jongkind était le plus jaloux. Il ne se défaisait pas de ses cartons d’aquarelles et les montrait paraît-il avec parcimonie. Pourtant, en 1907, et s’exprimant à propos de Berthe Morisot, Sylvie Patin rapporte les propos de Roger Marx, critique de l’époque, qui évoquait un rapprochement louangeur avec le peintre hollandais: «son aquarelle se classe, avec celle de J.-B. Jongkind, comme la plus triomphante aquarelle de l’impressionnisme».

Toute une salle expose pour le plus grand bonheur de l’oeil ces aquarelles dont Claude Monet dira qu’elles sont «le moyen excellent et rapide pour rendre ‘l’instantanéité’ de la lumière». Marie-Pierre Salé, conservateur au musée d’Orsay ajoute : «l’enjeu des aquarelles est capital car celles-ci sont interprétées comme le vrai travail de plein air sur le motif, notations directes de l’impression libérées des normes du paysage classique». Or, Jongkind éclaira lui-même sa démarche de déclarations, en commentant ses vues de Roterdam : «je les ai faites d’après nature (…) bien entendu j’ai fait des aquarelles, [d’après lesquelles] j’ai fait mes tableaux».

Au Salon des Refusés de 1879, Jongkind était déjà célèbre, si célèbre que Paul Signac rapporte qu’à cette date de faux Jongkind partent à des prix très élevés. En effet, les collectionneurs ne s’y trompent pas. En 1893, l’exposition de 134 aquarelles de la deuxième vente d’atelier, suivie de plusieurs entes exclusivement consacrées aux aquarelles connaît un très vif succès et les prix s’envolent jusqu’à cinq mille francs de l’époque pour La Seine à Argenteuil.

L’envergure du peintre est telle que, depuis toujours, la Hollande, son pays natal, et la France, sa terre d’adoption, se jalousent l’artiste. Johan-Barthold Jongkind est enterré près de Grenoble, en France, au cimetière de la Côte-Saint-André.


par Dominique  Raizon

Article publié le 02/06/2004 Dernière mise à jour le 02/06/2004 à 13:52 TU

Jongkind (1819-1891) Musée d'Orsay, jusqu'au 5 septembre 2004