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Peinture

Aux origines de l'impressionnisme

Joseph Turner : <EM>Scarlet sunset</EM>, dit aussi <EM>A town on a river</EM> 

		(Photo : Londres, Tate)
Joseph Turner : Scarlet sunset, dit aussi A town on a river
(Photo : Londres, Tate)
La composante de l’impressionnisme, dont la genèse remonterait à Joseph Mallord William Turner (1775-1851), a souvent été soulignée. En confrontant les trois peintres, l’Anglais Turner, l’Américain James McNeill Whistler, et le Français Claude Monet autour d’une centaine d’œuvres, des peintures mais aussi des œuvres sur papier (aquarelles, pastels, encres et gravures), les organisateurs de cette manifestation ont souhaité rendre le propos manifeste. Si l’influence de Turner sur ses successeurs est difficile à définir avec précision, elle semble indéniable. De toute évidence, les recherches des trois artistes étaient tendues vers une même préoccupation, celle de donner une matérialité à l’impalpable.

Hommage rendu au plus ancien, c’est Turner qui ouvre le bal de l’exposition. Quand il décède en 1851, Whistler a 17 ans et Monet en a 11. Dans les années 70, Whistler et Monet se rencontrent, et s’apprécient mutuellement, nouent des liens d’amitié, et plus tard ils s’entraideront pour se faire mutuellement connaître l’un en Grande Bretagne et l’autre en France. Une admiration commune pour Turner les incitera à explorer, plus avant, chacun de leur côté, la voie ouverte par leur aîné. Soulignant les points de rencontre des trois peintres, les toiles ont été choisies autour de thématiques communes. Quelques titres parmi d’autres suffisent à en rendre compte : «Londres depuis Greenwich» «Coucher de soleil écarlate: une ville sur un fleuve» «Clair de lune sur la lagune» «Coucher de soleil sur un lac» «Fusées et lumières bleues» (Turner) ; voisinent «Fusées et lumières bleues, copie d’après Turner», «Le vieux pont de Westminster», «Le bassin de Londres», «Nocturne en bleu et argent» «La salute, coucher de soleil» (Whistler) ; et encore «Le bassin de Londres», «Soleil couchant sur la Seine, effet d’hiver», «Les glaçons», «Charing Cross bridge», «La Tamise», «Le Palais Dario», «Le palais Contarini» (Monet). 

Le visiteur passe d’une salle à l‘autre, côtoyant tour à tour les trois aventuriers de la couleur, d’astres flamboyants en clapotis lumineux. Par touches impressionnistes, le visiteur est invité à lire ici et là des extraits de déclarations d’intention des peintres eux-mêmes ou de contemporains travaillant dans la même mouvance, mais aussi de critiques d’art de l’époque ou d’hommes de lettres, tous pointant leur regard sur cette commune aventure picturale dont Henri Matisse disait : «Il me semblait que Turner devait être le passage entre la tradition et l’impressionnisme. J’ai trouvé en effet, une grande parenté de construction par la couleur dans les aquarelles de Turner et les tableaux de Claude Monet».

Pourtant, comme le souligne Sylvie Patin, conservateur en chef au musée d’Orsay (Paris), et commissaire française de l’exposition : «plutôt que d’évoquer une influence de Turner, il serait plus juste de mettre en évidence une parenté de vision dans leurs approches, traduite dans des formes d’expression personnelles». Chacun sa perception, chacun son écriture picturale: Turner est ébloui au point que la lumière solaire intense éclabousse toute la toile de jaunes et de rouges incandescents («Soleil couchant sur un lac»), faisant disparaître tous les éléments du paysage, là où, chez Monet, le soleil rouge est une boule de feu bien circonscrite qui entre dans le cadre, sur le côté («Impression, soleil levant»). Turner peint une «Etude de clair de lune à Milbank», et Whistler peindra quelques saisons plus tard une série de «Nocturnes en bleu et argent à Chelsea». Chez Turner, le paysage qui borde la peinture se devine en ombres chinoises, chez Whistler, la nuit, lointainement éclairée par quelques fanaux, agit comme un filtre: le ciel, la rive et l’eau sont juxtaposés en fondus enchaînés, avec de larges aplats de couleur gris et bleu.

James McNeill Whistler : <EM>Nocturne en noir et or : la fusée qui retombe</EM> 

		(Photo : Detroit, The Detroit institute of arts)
James McNeill Whistler : Nocturne en noir et or : la fusée qui retombe
(Photo : Detroit, The Detroit institute of arts)
Une parenté de recherche et un répertoire commun

En fait, l’homogénéité de l’inspiration des trois peintres est ancrée dans un siècle marqué par l’essor industriel. A l’instar des poètes qu’ils admiraient  -comme Shelley, Byron, Baudelaire et Mallarmé- ils ont participé à une «poétique de la pollution». Ils ont eu, comme les poètes, recours au procédé de la métonymie pour suggérer par exemple à travers quelques pieux ou une gondole l’ensemble d’une lagune, ou bien à travers un coin de port, deux grues, un pont et une cheminée d’usine tout le bassin de Londres. Rives fantomatiques sous des ciels asphyxiés de fumées d’usines, bâtiments estompés dans les vapeurs de ciels nuageux et gris, soleils mouillés et brouillés, scintillements et jeux de reflets dans l’eau, levers de soleil bleutés et couchers flamboyants constituent un répertoire thématique commun. Les trois pôles d’inspiration mis en exergue sont les rives de la Seine à Paris ou à Rouen, les bords de la Tamise à Londres, la lagune et les canaux de Venise.

C’est précisément dans la parenté de recherche et ce dialogue esthétique qu’il convient d’apprécier l’exposition, au risque, sinon, d’être désorienté par une vision trop réductrice des filiations. Il ne s’agit pas ici d’un résumé en raccourci de l’histoire du mouvement impressionniste. Comme tout courant littéraire ou artistique l’impressionnisme est une maturation située au point de convergence de différentes influences. Mais ce qui est clairement démontré, c’est combien Turner -lui-même fervent admirateur de Claude Lorrain et du Titien, dont il admirait «la couleur et le pathos de l’effet», a fait l’admiration de Whistler et, plus tard, de Monet. A sa mort, en 1851, Le legs de Turner offre 20 000 œuvres à la nation britannique. Monet, réfugié à Londres pour éviter la guerre contre la Prusse, découvrira l’univers de son précurseur, et entrera en relation avec Whistler. Sans rivalité, mais partageant une même sensibilité, ils partageront leurs états de recherche picturale.

Whistler et Monet, à l’instar de Turner, ont une quête commune, ils cherchent à capter la lumière, à exprimer le mouvement et la vitesse, la violence d’un feu d’artifice, d’un incendie, ou la tourmente d’une tempête. Une anecdote est rapportée selon laquelle Turner n’a pas hésité à se faire ligoter en haut d’un mât en pleine tempête pour mieux observer la houle, tandis que Monet n’hésitera pas quelques décennies plus tard à retarder le départ d’un train pour Rouen, soucieux de mieux observer la lumière crépusculaire. Saisir l’instant fugace, traduire une atmosphère, rendre compte d’un éblouissement, en somme dire l’indicible et toucher l’impalpable, tel est l’objet de leur démarche.

Claude Monet : <EM>Impression, soleil levant</EM> 

		(Photo : Paris, Musée Marmottan Monet)
Claude Monet : Impression, soleil levant
(Photo : Paris, Musée Marmottan Monet)

Un «manque de fini» érigé comme un manifeste

L’évocation supplante alors la description, les subtiles harmonies de tons et de couleurs prévalent, et structurent le tableau. Les peintres transposent, ils ne reproduisent pas, leur propos est centré sur la lumière et les changements d’angle. Et, comme la lumière varie, ils luttent tous les trois avec elle, s’exerçant à faire des séries et des suites répétitives, à toutes les heures de la journée et des saisons, pour interpréter les variations. Leur manière de peindre est donc le prolongement de ce parti pris. Ils se détachent des motifs pittoresques, ce qui leur vaudra d’être tous les trois fermement critiqués pour «un manque de fini», comme il est rappelé dans le très beau catalogue de l'exposition, édité par la RMN. «Impression, soleil levant» (Monet, 1872/1873) deviendra le manifeste de l’un des courants les plus célèbres de l’histoire de la peinture. Au Havre, Monet peint ce qu’il appelle «une chose», «du soleil dans la buée, et au premier plan quelques mâts de navires». Monet, embarrassé pour trouver un titre à la toile lorsqu’on lui demande , il répond «mettez 'impression'» «on en fit 'impressionnisme', dit-il, et les plaisanteries s’épanouirent». Ce «manque de fini» entérinait une rupture avec la peinture très académique, très conventionnelle

Organisée par la Réunion des musées nationaux, les musées d’Orsay (Paris) et des Beaux-Arts de l’Ontario (Toronto), celui de la Tate Britain à Londres, cette manifestation s’inscrit dans le cadre de la célébration du centenaire de l’Entente cordiale entre la Grande-Bretagne et la France. Six pays, trente musées et trois collections particulières ont uni leurs efforts pour réunir plus cette centaine de toiles. Après avoir séjourné à Toronto entre février et juin dernier, et avant de rejoindre la Tate Britain à Londres du 12 février au 15 mai prochain, cette exposition internationale est en escale à Paris jusqu’au 17 janvier 2005.


par Dominique  Raizon

Article publié le 18/10/2004 Dernière mise à jour le 18/10/2004 à 15:54 TU

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Au Grand-Palais, une exposition mêle Monet, Whistler et Turner

Par Valérie Lehoux

[13/10/2004]

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