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Union européenne

Contre-attaque turque

A l'occasion d'une conférence de presse à l'OCDE le 21 octobre, Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan a de nouveau défendu la candidature de son pays à l'UE. 

		(Photo: AFP)
A l'occasion d'une conférence de presse à l'OCDE le 21 octobre, Le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan a de nouveau défendu la candidature de son pays à l'UE.
(Photo: AFP)
Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan effectue une visite à Paris dont l’objectif est d’apaiser les soudaines et vives réactions de la classe politique française, de la presse et de l’opinion publique face à l’ouverture probable des négociations d’adhésion d’Ankara à l’Union européenne. M. Erdogan veut notamment s’assurer le soutien de certains de ses partenaires européens pour apaiser la campagne d’opposition dont son pays est la cible.

Officiellement c’est une visite «privée». Mais un simple coup d’œil sur l’agenda du Premier ministre turc évoque des obligations d’Etat qui trahissent des préoccupations de la plus haute importance. La nature et la vivacité du débat qui s’est emparé de la France sur la question de la vocation européenne de la Turquie est désormais considérée avec agacement à Ankara où s’installe un sentiment d’incompréhension face aux menaces et aux obstacles qui surgissent dans cette affaire capitale pour l’avenir de la Turquie. C’est donc pour tenter de désamorcer une crise à ses yeux incompréhensible que Recep Tayyip Erdogan a fait le voyage de Paris. L’avocat n’est pas arrivé les mains vides: mercredi soir, il a annoncé la signature et la ratification par son pays du traité de Rome, instituant la Cour pénale internationale, chargée de juger les crimes de guerre et contre l’humanité. Tout un symbole dans un contexte international dominé par la farouche opposition américaine à la création de cette institution!

Au cours de ces deux jours à Paris, Recep Tayyip Erdogan aura donc aligné une impressionnante série de rendez-vous visant à faire progresser le dossier. Mercredi, M. Erdogan rencontrait le ministre de l’Economie, Nicolas Sarkozy, probable futur patron du puissant parti présidentiel UMP. Dans ses récentes déclarations, M. Sarkozy, qui passe pour un éventuel futur président de la République, a appelé à une consultation des Français par voie de référendum sur l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne (UE) et a indiqué préférer qu’Ankara bénéficie d’un «statut de partenaire associé à l’Europe», plutôt que d’adhérent.

Jeudi, M. Erdogan rencontrait le député (UMP) Pierre Lellouche, membre de la commission des Affaires étrangères de l’assemblée nationale. Ce dernier est favorable au projet d’intégration de la Turquie et n’a pas manqué de le rappeler à cette occasion. «Nous serions fous de fermer d’emblée la porte au seul pays musulman démocratique et laïc qui veut venir vers nous», a déclaré M. Lellouche, mentionnant par la même occasion la consistance du débat qui agite la société française.

Mettre fin aux rumeurs

De passage à Paris, le Premier ministre turc a reçu le rapport tout frais, et particulièrement élogieux, que l'OCDE, le club des pays industrialisés, publiait jeudi. L’OCDE se félicite en effet des excellents résultats engrangés par Ankara sur la voie des réformes économiques et institutionnelles et indique que l’ouverture des négociation d’adhésion (si elle est bientôt confirmée) «laisse augurer un renforcement des points d’ancrage internationaux et pourrait appuyer le passage de la Turquie à une trajectoire de croissance plus dynamique».

Et puis il y a cet appel à Jacques Chirac. «J’attends de mon ami le président Chirac une déclaration qui mettrait fin à toutes les rumeurs qui circulent», demande M. Erdogan dans un entretien publié jeudi par le quotidien le Parisien. Sur la proposition de référendum à soumettre aux Français, soutenue par Jacques Chirac, le Premier ministre turc souligne la contradiction: «aucun référendum n’a été organisé pour approuver l’adhésion d’un pays candidat lors des élargissements précédents (…) Nous ne demandons qu’une chose: être traités exactement comme les autres».

Mission impossible ? Peut-être pas, car la candidature turque ne manque pas de partisans, à commencer par le chef de l’Etat lui-même. Mais le contexte est franchement défavorable car il ne suffit pas d’obtenir le soutien de quelques élites, ou le feu vert de la Commission européenne (6 octobre) pour l’ouverture des négociations d’adhésion à l’Union, ni même l’accord (vraisemblable) des chefs d’Etat et de gouvernement, attendu pour le 17 décembre. Recep Tayyip Erdogan sent un vent mauvais s’élever contre son pays, indépendamment des décisions officielles, et il descend dans l’arène pour convaincre les faiseurs d’opinion.

Dans cet environnement hostile, on peut s’interroger sur le caractère prématuré de la mission qu’effectue le Premier ministre turc. Face à ce type de problème, où l’on fait aussi appel à l’arbitrage d’arguments irrationnels, le facteur «temps» est parfois déterminant pour apaiser les esprits. Or, Recep Tayyip Erdogan a manifestement décidé de ne pas laisser refroidir le dossier et d’entamer la bataille pour emporter la conviction de ses partenaires. Au cours de ces dernières semaines, avec le débat sur l’ouverture des négociations d’adhésion, la montée des interrogations et l’intrusion de la polémique dans les champs politiques nationaux, les porte-parole de la candidature turque sont sortis de leur réserve pour manifester leur incompréhension. Nombre d’entre eux ont fait part d’un sentiment de trahison de la part d’une culture française davantage inspirée, pensaient-il, par le cartésianisme que par les préjugés.

La menace turque s’invite à tout propos

Va-t-il recueillir le soutien qu’il attend ? Vu de France, le débat en cours laisse une impression de joute politicienne stérile dont il ressort que nul ne doute que la Turquie a vocation à intégrer l’Union, quoi qu’on en dise aujourd’hui. Depuis plus de 40 ans, la France est, historiquement, l’un des pays fondateur de cette tendance lourde de l’accompagnement d’Ankara vers l’adhésion. Et Jacques Chirac est porteur de cet héritage. Pour autant, la qualité du soutien n’est pas acquise en raison des contraintes de politique intérieure. Car, paradoxalement, cette question-là affecte très lourdement le paysage français. La supposée menace turque s’invite à tout propos: qu’il s’agisse de l’identité religieuse et culturelle, du coût de l’intégration, des soupçons liés aux relations stratégiques entre Washington et Ankara, de la situation des droits de l’homme, du génocide des Arméniens ou du recul des frontières communautaires au Moyen-Orient, à l’est, et au Caucase, au Nord, il semble que la classe politique ait trouvé une tête de Turc qui répond parfaitement aux critères exigés par une opinion passablement échaudée par les déclarations successives !

Aussi, en l’état du débat et en dépit des convictions du président français, il n’est pas sûr que le Premier ministre turc obtienne le geste public qu’il attend de lui. Dans le contexte actuel, la «déclaration» que M. Erdogan attend de M. Chirac, outre le fait qu’elle puisse embarrasser ce dernier sur le plan domestique, n’aurait peut-être pas forcément la vertu souhaitée d’installer une discussion sereine sur le propos.

Reste la conviction des partenaires européens de la France. Recep Tayyip Erdogan poursuivra mardi à Berlin son long et patient travail de lobbying, dans le cadre du sommet franco-allemand. Convaincre la France et l’Allemagne fournirait une base des plus solides pour envisager l’avenir européen de la Turquie avec confiance. Outre-Rhin le débat est posé, mais pas avec la même acuité. Et bien souvent dans les affaires européennes, la conviction de l’une emporte l’adhésion de l’autre.



par Georges  Abou

Article publié le 21/10/2004 Dernière mise à jour le 21/10/2004 à 13:27 TU

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