Espagne
Régularisation massive de travailleurs clandestins
(Photo : AFP)
A travers l’accord qu’ils ont signé, gouvernement, patronat et syndicats espagnols vont légaliser la situation des travailleurs clandestins arrivés en Espagne avant juin 2004. Ce processus de régularisation se déroulera de février à mars 2005. Selon le ministre espagnol du Travail et des Affaires sociales, Jesus Caldera, la majorité des immigrés clandestins vivant actuellement en Espagne sont concernés par ce plan d’intégration. La seule condition imposée est d’avoir un travail. Selon les chiffres officiels, un million de personnes pourraient être ainsi régularisées.
Une opération séduction, un geste politique
Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau Premier ministre espagnol avait annoncé son intention de résoudre la question de l’immigration dans son pays. Au mois d’août, le gouvernement avait déjà créé la surprise en proposant de régulariser les étrangers sans titre de séjour, à condition qu’ils aient un travail depuis au moins un an en Espagne. Pour le Premier ministre Zapatero, il s’agit d’une opération séduction auprès de son électorat de gauche. Il apporte du bien-être à des personnes installées dans son pays mais contraintes de vivre dans la clandestinité. Cette décision de régulariser massivement les étrangers est également politique puisqu’elle prend le contre-pied de la politique du précédent gouvernement espagnol (conservateur) en matière d’immigration. L’Espagne de Zapatero fait également un pied de nez à plusieurs de ses partenaires européens comme la Grande-Bretagne, l’Allemagne, ou l’Italie. Plutôt que de donner une existence légale à ceux qui sont arrivés sur leur sol, ces pays cherchent à empêcher l’arrivée des migrants et projettent la création de centres d’accueil sur la rive sud de la Méditerranée. L’opposition espagnole pour sa part critique cette opération de régularisation des sans-papier, estimant qu’elle revient à un encouragement à l’immigration illégale.
Réduire la part de l’économie souterraine
La décision du gouvernement socialiste espagnol n’est certainement pas fondée uniquement sur la générosité. En donnant des papiers à la grande majorité des migrants installés dans son pays, le Premier ministre veut également réduire la part de l’économie souterraine dans l’économie globale de l’Espagne. Cette portion invisible représente actuellement quasiment le quart du Produit intérieur brut (PIB) espagnol. « Tout un pan de l’économie est bâti sur l’existence de ces sans-droit, peu exigeants sur les questions de sécurité et de salubrité, corvéables à merci », indique Albert Recio, spécialiste de l’économie du travail à l’université de Barcelone.
L’agriculture et le bâtiment sont les deux secteurs de l’économie espagnole qui emploient le plus de travailleurs clandestins. Leur régularisation obligera les employeurs à payer les charges sociales correspondant à ces emplois. Les impôts payés par les entreprises augmenteront également puisque leurs chiffres d’affaires, leurs revenus, seront en hausse. Une étude commandée par l’administration fiscale a montré qu’en l’an 2000, 59 milliards d’euros ont échappé aux caisses de l’Etat. Cette prochaine légalisation des clandestins pourrait cependant déstabiliser bon nombre d’entreprises. Les modalités d’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation ont donc été discutées avec le patronat et les syndicats. De son côté le secteur agricole espagnol tient bon grâce à une main d’œuvre sous-payée. En Andalousie en particulier, région dédiée aux légumes primeurs cultivés sous serres, de petites exploitations agricoles sont demandeuses d’une main-d’œuvre, légale ou illégale, payée à la journée, prête à effectuer un travail de cueillette très dur, dans des conditions réglementaires que n’acceptent plus les salariés espagnols, ni d’ailleurs les français.
La communauté marocaine, première en Espagne
Autre secteur très demandeur de sans-papier, les employés de maison. Ce sont surtout des ressortissants d’Amérique latine qui arrivent avec un visa de tourisme en Espagne et décident d’y rester. Puis, par bouche-à-oreille, ces personnes trouvent un travail au noir de femme de ménage ou de domestique. Le quotidien espagnol ABC a calculé que si 270 000 employés de maison étaient régularisés, 160 milliards d’euros entreraient dans les caisses de l’Etat sous forme de charges sociales.
Les pays hispano-américains (Colombie, Equateur, et République Dominicaine) sont loin de représenter la plus grande communauté étrangère vivant dans l’illégalité en Espagne. Du fait du voisinage géographique, le Maghreb (Maroc et Algérie) est numéro un. L’Andalousie, pour ses activités agricoles, et les grandes villes attirent le plus grand nombre d’étrangers. La communauté marocaine est la première communauté étrangère en Espagne avec 161 870 résidents officiels, selon les chiffres fournis par le secrétariat d’Etat espagnol à l’immigration. Le nombre de ressortissants marocains vivant dans la légalité en Espagne a augmenté lors des précédentes opérations de régularisation, en 1991 et en 2000. Toujours selon les statistiques du secrétariat d’Etat, en 1999, 801 329 étrangers résidaient légalement en Espagne. Un chiffre à rapprocher du million de personnes potentiellement régularisables en 2005.par Colette Thomas
Article publié le 27/10/2004 Dernière mise à jour le 27/10/2004 à 14:11 TU