Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Justice

Disparues de l’Yonne : un procès trente ans après

Emile Louis est jugé à partir de mercredi à Auxerre pour l'affaire des "disparues" de l'Yonne 

		(Photo : AFP)
Emile Louis est jugé à partir de mercredi à Auxerre pour l'affaire des "disparues" de l'Yonne
(Photo : AFP)
L’affaire des «disparues de l’Yonne», longtemps oubliée par la justice, aura mis près de trente ans avant d’être jugée à l’occasion du procès d’Emile Louis, le meurtrier présumé de sept jeunes filles, handicapées mentales, disparues entre 1975 et 1979, qui s’ouvre le 3 novembre devant la cour d’assises d’Auxerre. Emile Louis, aujourd’hui âgé de 70 ans, n’a en effet été mis en examen pour ces assassinats qu’en mars 2002. Malgré l’existence d’un certain nombre d’éléments qui auraient dû attirer l’attention de la justice sur son cas depuis des années.

Le procès d’Emile Louis s’annonce particulièrement sordide. Car tous les ingrédients sont réunis pour rendre cette affaire difficile et douloureuse. D’abord, les victimes. Il s’agit de sept jeunes femmes âgées de 15 à 30 ans, qui toutes souffraient d’une déficience mentale légère, et étaient pupilles de la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) : Françoise Lemoine (30 ans), sa sœur Bernadette (19 ans), Christine Marlot (15 ans), Chantal Gras (18 ans), Jacqueline Weiss (18 ans), Madeleine Dejust (21 ans), Martine Renault (16 ans). Leur disparition entre 1975 et 1979 n’a pas fait grand bruit. Ni les institutions dont elles dépendaient, comme l’Institut médico-éducatif Grattery d’Auxerre, ni leurs familles, souvent éclatées, n’ont véritablement réagi. La justice n’a pas vraiment non plus pris en compte le cas de ces jeunes personnes peu à peu oubliées. Il a fallu, au bout du compte, attendre jusqu’en 1997 pour que la plainte des familles, finalement réunies par l’Association de défense des handicapés de l’Yonne, soit reçue et que la procédure, qui va aboutir aujourd’hui avec la comparution d’Emile Louis devant la justice, soit engagée.

Et pourtant, Emile Louis aurait pu être inquiété bien plus tôt. En 1979 déjà, un gendarme, Christian Jambert, l’entend comme témoin dans l’enquête sur la disparition de Martine Renault. Malgré ses doutes sur cet homme, chauffeur du car de ramassage scolaire qui transportait la plupart des victimes au moment des faits, le parquet ne donne pas suite et retient la thèse de la fugue. Deux ans plus tard, Emile Louis est de nouveau entendu dans le cadre du meurtre d’une autre jeune femme, Sylviane Lesage, dont le corps est découvert en juillet 1981. Les gendarmes apprennent à l’occasion de ces nouveaux interrogatoires qu’il connaissait six des jeunes femmes disparues dans l’Yonne et qu’il était enclin à la violence. Mais une fois encore, le parquet ne donne pas suite. Emile Louis est condamné à quatre ans de prison ferme pour des attouchements sexuels auxquels il reconnaît s’être livré sur des adolescentes, mais bénéficie d’un non-lieu dans l’affaire Lesage.

Le gendarme Jambert continue malgré tout son enquête et remet en 1984 un rapport dans lequel les liens d’Emile Louis avec six des jeunes femmes disparues sont mis en évidence. Mais ce dossier disparaît sans explication du circuit judiciaire. Quand l’Association de défense des handicapés de l’Yonne tente d’alerter de nouveau la justice sur ces disparitions inexpliquées, quelques années plus tard, aucune trace de ces procédures n’a été gardée. Et dans un premier temps, la plainte des familles déposée en 1996 est rejetée car le parquet estime qu’il y a prescription. Il faut attendre une décision de la cour d’appel de Paris, en mai 1997, pour qu’une information judiciaire soit finalement ouverte.

Aveux et retours en arrière

De négligences en coups de chance, et dans la plus totale indifférence, Emile Louis a pu échapper à la justice jusqu’en 2000, date à laquelle il est arrêté dans le Var et placé en garde à vue dans le cadre de l’enquête sur «les disparues de l’Yonne». Commence alors le cycle des aveux et des retours en arrière. Emile Louis avoue, en effet, tout d’abord être l’auteur des sept assassinats. Il indique même le lieu où il aurait enterré les corps. Deux d’entre eux, ceux de Madeleine Dejust et Jacqueline Weiss, sont d’ailleurs retrouvés grâce à ses indications. Mais il revient ensuite sur ses aveux. Et depuis, il nie farouchement être l’auteur de ces assassinats qu’il aurait avoués croyant qu’ils étaient prescrits et qu’il ne risquait rien. Un recours a d’ailleurs été engagé par ses défenseurs pour obtenir que la Cour européenne des droits de l’homme annule l’arrêt de la cour d’appel de Paris concernant l’absence de prescription.

Le déroulement de cette affaire a posé de nombreuses questions sur le fonctionnement de la justice qui a négligé tous les éléments portés à sa connaissance. Notamment ceux fournis par le gendarme Jambert qui a tenté à plusieurs reprises de se faire entendre mais en pure perte. La mort brutale de ce dernier, en août 1997, a d’ailleurs participé à faire peser le soupçon sur les raisons de ce ratage judiciaire. Après le thèse du suicide, celle de l’homicide a même été évoquée. Mais elle n’a toujours pas été confirmée. Le ministère de la Justice a néanmoins ordonné une enquête pour déterminer comment le procureur du tribunal d’Auxerre en fonction en 1997, Jacques Cazals, avait pu classer l’affaire en suicide aussi vite. D’autant que c’est aussi lui qui avait malencontreusement égaré le rapport du gendarme Jambert. L’attitude de deux autres magistrats, René Meyer et Daniel Stilinovic, respectivement procureur d’Auxerre de 1979 à 1986 et substitut du procureur à la même période, a aussi été directement mise en cause.

Le procès d’Emile Louis dans le cadre de l’affaire des «disparues de l’Yonne» permettra-t-il de mettre en évidence les raisons de ces négligences successives de l’appareil judiciaire ? Peut-être. Il donnera en tout cas certainement l’opportunité de dresser le portrait de cet homme décrit par les psychiatres comme un pervers sexuel violent, un déséquilibré capable de se livrer à des actes cruels sans aucune retenue, cherchant «à asseoir aisément son pouvoir sur des personnes dépendantes peu à même de le contester». Sa seconde épouse, Chantal Paris et sa fille, en ont fait la dure expérience. Elles ont subi ses abus et ses agressions sexuelles au quotidien. Des actes qui ont d’ailleurs valu à Emile Louis d’être déjà condamné, en mars 2004, pour «viols avec tortures et actes de barbarie» à 20 ans de réclusion criminelle.



par Valérie  Gas

Article publié le 02/11/2004 Dernière mise à jour le 02/11/2004 à 16:42 TU