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Goncourt et Renaudot

Hors des sentiers habituels

Le prix Goncourt 2004 a été attribué à Laurent Gaudé pour <EM>Le Soleil des Scorta </EM>(Actes Sud). 

		(Photo :AFP)
Le prix Goncourt 2004 a été attribué à Laurent Gaudé pour Le Soleil des Scorta (Actes Sud).
(Photo :AFP)
Déjà lauréat en 2002 du Goncourt des lycéens et du prix des libraires pour La mort du roi Tsongor, Laurent Gaudé, 32 ans, reçoit cette fois le prix Goncourt 2004 avec Le soleil des Scorta (Actes sud). Et pour la première fois depuis que le prix existe, le Renaudot est attribué à un auteur disparu, Irène Némirovsky pour Suite française (Denoël).

Le plus prestigieux des prix littéraires a été accordé lundi 8 novembre à Laurent Gaudé au quatrième tour de scrutin avec 4 voix contre 3 à Alain Jaubert et 2 à Marc Lambron. Le soleil des Scorta, déjà plébiscité par 80 000 lecteurs, raconte la vie d’une famille tentant d’échapper à son destin misérable de 1870 à nos jours, sous le soleil brûlant des Pouilles, une histoire de racines et de transmission sur cinq générations, un roman humaniste aux allures épiques. Il a été salué par Michel Tournier comme «le roman d’un admirable paysagiste sur l’Italie des Pouilles. Laurent Gaudé est la personne qui sait le mieux décrire une rivière, une vallée. Avec lui, j’ai vécu pendant plusieurs heures dans ce pays que je ne connaissais pas». Didier Decoin  a déclaré que ce roman avait «quelque chose de cinématographique». Quatre ouvrages étaient en lice:  Le soleil des Scorta de Laurent Gaudé (Actes sud) une maison souvent placée mais toujours exclue du palmarès au profit de Gallimard Grasset ou Albin Michel, Val paradis d’Alain Jaubert (Gallimard) -un livre qui ne reçoit que des louanges-, était soutenu par Philippe Sollers, lui-même, directeur de la collection L’infini (Gallimard), et Les menteurs de Marc Lambron (Grasset) qui a failli remporter le prix à deux reprises. Marie Nimier, quant à elle, venant de remporter le Médicis pour La reine du silence (Gallimard), semblait d’entrée de jeu écartée pour le Goncourt.

C’est la première fois qu’Actes sud, une maison d’édition créée par Hubert Nyssen en 1978, remporte le Goncourt. Installée à l’origine dans une bergerie la maison d’édition se trouve aujourd’hui en Arles, sur la rive-gauche du Rhône, au lieu dit place Nina Berberovna, en hommage à un auteur qui a contribué au développement éditorial de cette maison.  «Je suis ravie que l’intérêt se porte cette année sur une ville (Arles) qui n’est pas Saint-Germain-des-Prés», haut lieu de tradition littéraire à Paris, a déclaré Edmonde Charles-Roux, présidente du jury liée de longue date à la Provence. Doté de 10 euros, le Goncourt est le plus célèbre des prix littéraires. Fondé le 21 décembre 1903 par testament de l’historien écrivain Edmond de Goncourt en mémoire de son frère Jules, il a pour but d’encourager la vie confraternelle et matérielle des hommes de lettres, et il récompense un roman français publié dans l’année. En un siècle, deux maisons d’édition seulement, Gallimard et Grasset, se partagent plus de 60% des prix Goncourt. Ce succès est donc d’autant salué par Actes sud: «on pleure. On est content (…) c’est le bonheur»,  a déclaré Françoise Nyssen, PDG d’Actes sud, ajoutant «Laurent est magnifique. Maintenant on va bosser pour que tout le monde lise ce livre superbe».

Le fondateur de la maison d’édition, Hubert Nyssen, a souligné «C’est la consécration d’un jeune auteur sur lequel on a misé. C’est un truc merveilleux pour l’auteur, j’espère qu’il va bien y résister, mais aussi pour tous les gens qui l’ont entouré. Pour moi, c’est un énorme plaisir » (…) un coup d’oxygène car chacun  sait ce que cela représente comme retombée pour une maison d’édition». Un des précédents succès de cette maison d’édition avait d’avoir été l’éditeur du Nobel de littérature 2002, le hongrois Imre Kertész, une consécration. «Le succès nous donne les moyens de continuer notre travail de création», a souligné Françoise Nyssen. «Actes sud est une maison riche d’un superbe catalogue (ndlr : soit environ 3 000 titres) et qui fait un magnifique travail, même si ce n’est pas cela qui nous détermine, mais la qualité du livre», a déclaré Edmonde Charles-Roux, tandis que Didier Decoin a estimé de son côté que «Actes sud est une maison combative et intéressante. Ce n’est pas une maison parisienne. Elle a un catalogue à tomber par terre. Son travail de recherche est exceptionnel. C’est bien d’être sorti du cénacle parisien, et de couronner un éditeur différent, même si cela n’a pas joué sur le scrutin (…) l’éditeur n’est pas un argument. C’est satisfaisant de le dire à ceux qui nous accusent de couronner tout le temps les grandes maisons du boulevard Saint-Germain».

Le Goncourt des lycéens fait de plus en plus rêver les auteurs

Concomitamment, et en présence de Yann Apperry, lauréat 2003, le Goncourt des lycéens, a siégé pour la 17ème édition du prix littéraire à Rennes, et a attribué un prix au roman Un secret de Philippe Grimbert (Grasset), histoire d’un petit garçon confronté au silence de sa famille sur son passé, et qui devra reconstituer seul son histoire marquée notamment par l’holocauste. Ce roman autobiographique est sorti en mai. C’est la seconde fiction de Philippe Grimbert, psychanalyste déjà remarqué pour ses essais Evitez le divan et La petite robe de Paul (Grasset). Sur les 13 membres du jury, huit ont voté pour Un secret et 5 pour Eric Fottorino auteur de Korsakov (Gallimard) –histoire d’un neurologue en vue de Tout-Palerme, frappé dans la force de l’âge par une maladie aiguë de la mémoire. Marion Calcagno, du lycée Don Bosco à Nice, et membre du jury réuni dans une brasserie rennaise -à l’instar de leurs aînés réunis au restaurant Drouant à Paris- a justifié le choix des lycéens en faveur de Un secret pour «avoir su (les) toucher par la pureté et la sincérité» du récit.

Quatorze livres ont été proposés tout au long de l’année aux lycéens pour être lus et débattus par les élèves –en sus des programmes scolaires. Quelque 2 000 lycéens, venant de tout le territoire national mais aussi de de Tizi Ouzou en Algérie, participent au jury, et représentent 50 établissements d’enseignement général, technique ou agricole. Leur mission est de choisir, à l’instar de leurs glorieux aînés, l’écrivain de l’année. Leur choix est souvent une référence, car il s’avère que le livre primé est parfois davantage vendu que celui couronné par le jury traditionnel. Ce prix est intéressant car «les lycéens ne sont pas du tout influencés. Ils n’argumentent que sur les livres. Ils n’ont aucune stratégie marketing», explique Anne Giummelly, responsable de la communication à la Fnac de Rennes qui ajoute «le prix fait de plus en plus rêver les auteurs, car les jeunes sont souvent un public sans indulgence, transparent qu’ils rêvent de conquérir». Or les ventes sont multipliées par quatre en moyenne selon la Fnac, organisatrice du prix en partenariat avec le ministère de l’Education nationale. Après la désignation de leur Goncourt, les élèves seront attendus dans une soirée à Paris. Le but de cette initiative, placée sous la bienveillance de l’Académie Goncourt, est de donner aux jeunes l’envie de lire.


Le prix Renaudot 2004 a été attribué, pour la première fois depuis que le prix existe, à un auteur disparu, Irène Némirovsky, pour <EM>Suite française</EM> (Denoël). 

		(Photo : AFP)
Le prix Renaudot 2004 a été attribué, pour la première fois depuis que le prix existe, à un auteur disparu, Irène Némirovsky, pour Suite française (Denoël).
(Photo : AFP)
Prix Renaudot, pour la 1ère fois attribué à un auteur disparu

Le prix Renaudot a été attribué, pour la première fois depuis que le prix existe, à un auteur disparu. Irène Némirovsky, d’origine juive ukrainienne, née en 1903 à Kiev a rencontré le succès en 1929 lors de son exil à Paris, avec son roman David Golder. Amie du romancier Joseph Kessel et du poète Jean Cocteau, encensée par la critique, auteure d’une quinzaine de titres, elle se cache dans le Morvan, et elle est arrêtée par les gendarmes français, puis déportée. Elle succombe à Auschwitz en 1942. Lors de son arrestation, sa fille aînée, Denise, est alors âgée de 13 ans. Cette dernière réussit à sauver des manuscrits, parmi lesquels se trouve le texte Suite française, qui raconte l’exode de juin 40, tout imprégné des petites lâchetés, et de l’héroïsme au quotidien. Dès sa parution, le livre a connu un grand succès, et les droits ont été achetés par de nombreux pays étrangers.

Quant au prix Renaudot 2004 de l’essai, il est attribué à Evelyne Bloch-Dano pour Madame Proust, un livre qui reconstitue ,la vie quotidienne d’une mère aimante «muée en vestale», autant collaboratrice que gouvernante. Jeanne Proust, née Weil en 1849 dans une famille juive venue d’Alsace et d’Allemagne est «omniprésente de son vivant, mais aussi après sa mort, dans l’œuvre de son fils», souligne l’auteur. Elle l’a protégé, éduqué et influencé, comme on peut le décrypter à travers leur relation épistolaire qui compte des centaines de lettres. «Sa collaboration au travail de Marcel est à la fois un geste d’amour, de maternité et de compréhension profonde», écrit l’essayiste. A la mort de sa mère, en 1905, Marcel Proust écrivit «ma vie a perdu son seul but, sa seule douceur, son seul amour, sa seule consolation».

par Dominique  Raizon

Article publié le 08/11/2004 Dernière mise à jour le 08/11/2004 à 15:58 TU