Musée Guimet
Lumières de soie, un voyage en Asie
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Des pièces éblouissantes parmi lesquelles on peut d’emblée citer : Des bannières peintes (VIII au IX ème s. (sanctuaire rupestre bouddhique de Dunhang, province du Gansu chinois), Une paire de bottes (époque Liao 907-1125, Chine), Un plat en or à huit lobes orné d’un couple de phénix volant de concert (époque Yuan 1279-1368 Chine, Mongolie intérieure), Un gilet de lama tibétain (dynastie Qing, fin XVIII ème s.) , Un jimbaori (XVII-XIXème s., Japon) [ndlr : gilet de samouraï] : voici une exposition estampillée de deux matériaux précieux, l’or et la soie. Pour des raisons évidentes de conservation, l’éclairage est tamisé. Une musique douce extrême-orientale participe à la scénographie, et introduit le visiteur de manière quasi confidentielle et privilégiée dans cet univers de total raffinement. Les étoffes sont déployées dans toute leur ampleur, espacées les unes des autres pour une nécessaire mise en valeur de ces pièces exceptionnelles. Vincent Lefèvre tient à le souligner, il s’agit «d’une collection de référence comme il en existe peu au monde».
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Les arcanes de la sériciculture
Didactique, l’exposition s’articule autour de trois temps forts -l’histoire des soies tissées d’or à travers l’Asie, l’histoire des costumes de ces différentes contrées, et celle des étoffes rituelles. Elle s’ouvre par un film retraçant pour le néophyte les différentes étapes de la sériciculture (ou comment le ver à soie est élevé, qui produit le fil pour se fabriquer un cocon), de la teinture, du tissage. Le visiteur est alors initié aux subtilités techniques, et à la variété des types d’armures (c’est-à-dire des systèmes d’entrelacement de la chaîne et de la trame), car selon le type d’armure choisi on parlera de «toile ou de taffetas», de «sergé» ou de «satin». On apprendra enfin ce qui différencie un «damas» d’un «broché», le premier étant une pièce monochrome où les motifs sont obtenus par des effets de lumière, le second nécessitant une trame supplémentaire de manière discontinue; On apprend également qu’un «brocart», désignant une tissu qui a la particularité de combiner l’or et la soie, n’est pas pour autant un terme technique, et que la «tapisserie» n’est pas considérée comme une soie dite «façonnée».
Parmi d’autres, et sobrement encadrées, des photos sépias ou en noir et blanc ré-haussées de couleurs comme cette Fileuse japonaise (1870-1880), ou ces Danseuses à Delhi (vers 1862), Une des filles du roi du Cambodge (1866-1879), Lan-Zhou, les métiers de la soie (1906): outre de très beaux clichés (fin XIXème s.- début XXème ) présentant tous un intérêt documentaire sur les techniques textiles ou leur mise en situation, l’exposition propose des objets rituels, ou des objets de la vie quotidienne qui reprennent les motifs reproduits sur les soieries, ceci afin d’en souligner l’importance culturelle, et de mieux faire comprendre leur signification ou leur portée symbolique. Les dragons, l’arbre de vie, le phénix, le cygne, le poisson, les motifs floraux comme la fleur de lotus par exemple, la libellule sont autant de motifs qui ont voyagé à travers tout le continent.
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Chercheurs et historiens insistent tous sur le rôle essentiel joué par les textiles dans l’histoire des civilisations et dans les grands courants d’échange. Parler de la route de la soie, c’est naturellement évoquer le rôle majeur joué par le commerce de la soie dans l’histoire des contacts entre la Chine et le Japon, l’Inde et le monde méditerranéen et, souligne Vincent Lefèvre, «on sait aussi combien les échanges entre les emporiums indiens et les ports de l’Asie du Sud-Est -et, à partir du XVIIème s., ceux de l’Europe- ont constitué des phénomènes de civilisation d’une importance majeure». Les circuits commerciaux induisaient les relations culturelles et servaient de relais aux courants religieux. L’expansion du bouddhisme et de l’hindouisme a en quelque sorte suivi celle des caravanes semi-nomades.
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
La sériciculture naît en Chine au IIIème millénaire avant notre ère, et fut longtemps une monnaie d’échange dans le monde asiatique. Des panneaux explicatifs accompagnent le visiteur ainsi qu'un beau catalogue édité par la Réunion des musées nationaux, expliquant qu'il faudra attendre les Tang (581-618), surtout les dynasties Liao et Jin, pour voir se diffuser les soieries tissées d’or, conséquence de la politique d’expansion des empereurs plaçant sous leur autorité les avant-postes de la route de la soie. Pendant cette période Tang, politiquement stable, la soie fut un impôt en nature: sept millions quatre -cent-mille rouleaux étaient brassés pour une année. Plus tard, quand l’empire Song (960-1279) rétrécira ses limites territoriales, la soie permettra d’acheter la paix avec les voisins. Quant à la mise en place de la dynastie des Yuan (1271-1368), elle renforcera les liens avec l’Asie centrale , et le goût pour le «drap d’or» à la recherche duquel Marco Polo se mit en quête au XIVème s.
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Tributaire de l’influence de la Chine, le Japon annexe l’art de la soie et parvient peu à peu à une grande maîtrise de l’art du nishiki, équivalent du jin chinois (soieries polychromes et fils d’or), créant des œuvres originales telles des bannières ornées de symboles héraldiques, des costumes de samouraïs, des obis (ceintures) au décor de grues, de nuages, de pins et de fleurs d’automne. C’est probablement au cours des IVème et Vème s., que des tisserands coréens immigrés au Japon implantèrent cet art. chinois dans l’archipel nippon. La période d’Asuka (552-645) débute avec l’histoire officielle du bouddhisme au Japon. Quand, fin XVème, une nouvelle classe marchande émerge, les étoffes de nishiki apparaissent trop associées à la Chine, aux temples bouddhistes et à l’aristocratie conservatrice. On leur préfère les broderies pour le décor des kosode (ancêtre du kimono), les nishiki se cantonnant à la clientèle monastique et au théâtre Nô.
A côté de la Chine, l’Inde est l’autre grand centre textile de l’Asie. Dès l’antioquité, elle est renommée pour ses cotonnades, mais également ses soieries. C’est au Ier s., en Inde, que les marchands romains viennent acheter de la soie. L’Asie centrale semble avoir joué un rôle important dans la diffusion des techniques. La région de Gujarat, à la croisée de l’Inde et de la Perse, est d’ailleurs très tôt, un grand centre textile. Au XIIème s., les cours musulmanes se parent d’étoffes venues de Chine, de Perse et de Bagdad, mais aussi d’Inde. L’art du textile atteint son apogée avec les Moghols, à partir du XVIème s.
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
par Dominique Raizon
Article publié le 16/11/2004 Dernière mise à jour le 16/11/2004 à 14:37 TU