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Musée Guimet

Lumières de soie, un voyage en Asie

Coiffe de moine Lampas, soie et lamelles de papier doré (kinran) XIXe siècle Japon. 

		(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Coiffe de moine Lampas, soie et lamelles de papier doré (kinran) XIXe siècle Japon.
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
L’exposition Lumières de soie est un voyage dans le temps et sur tout un continent, qui nous mène de l’Asie centrale à l’Indonésie en passant par la Chine, l’Inde et le Japon, une manière en quelque sorte de lire l’Histoire à travers l’histoire des tissus. Elle raconte comment l’usage de l’or et de la soie, les techniques utilisées pour les travailler, mais également les motifs reproduits, permettent de lire l’histoire des échanges commerciaux, culturels et religieux qui se sont effectués à travers les âges. L’an dernier, le musée Guimet recevait un legs exceptionnel riche de 4 000 pièces de textiles d’Asie, provenant de la plus grande collection privée du monde, celle de Krishna Riboud, Indienne d’origine, épouse de banquier, une femme qui mit à profit son aisance matérielle à une exploration passionnée de l’histoire et des techniques du textile. Jusqu’au 7 février 2005, Vincent Lefèvre, directeur du département textiles et commissaire de l’exposition, invite le visiteur à découvrir les plus belles pièces de cette collection.

Des pièces éblouissantes parmi lesquelles on peut d’emblée citer : Des bannières peintes (VIII au IX ème s. (sanctuaire rupestre bouddhique de Dunhang, province du Gansu chinois), Une paire de bottes (époque Liao 907-1125, Chine), Un plat en or à huit lobes orné d’un couple de phénix volant de concert (époque Yuan 1279-1368 Chine, Mongolie intérieure), Un gilet de lama tibétain (dynastie Qing, fin XVIII ème s.) , Un jimbaori (XVII-XIXème s., Japon) [ndlr : gilet de samouraï] : voici une exposition estampillée de deux matériaux précieux, l’or et la soie. Pour des raisons évidentes de conservation, l’éclairage est tamisé. Une musique douce extrême-orientale participe à la scénographie, et introduit le visiteur de manière quasi confidentielle et privilégiée dans cet univers de total raffinement. Les étoffes  sont déployées dans toute leur ampleur, espacées les unes des autres pour une nécessaire mise en valeur de ces pièces exceptionnelles. Vincent Lefèvre tient à le souligner, il s’agit «d’une collection de référence comme il en existe peu au monde».

Robe pour la danse cham - détail Lampas et satin, soie et fil d’or Assemblage du début du XIXe siècle, tissu principal de la fin de la dynastie Ming (probablement début du XVIIe siècle). Chine, Tibet. 

		(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Robe pour la danse cham - détail Lampas et satin, soie et fil d’or Assemblage du début du XIXe siècle, tissu principal de la fin de la dynastie Ming (probablement début du XVIIe siècle). Chine, Tibet.
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)

Les arcanes de la sériciculture

Didactique, l’exposition s’articule autour de trois temps forts -l’histoire des soies tissées d’or à travers l’Asie, l’histoire des costumes de ces différentes contrées, et celle des étoffes rituelles. Elle s’ouvre par un film retraçant pour le néophyte les différentes étapes de la sériciculture (ou comment le ver à soie est élevé, qui produit le fil pour se fabriquer un cocon), de la teinture, du tissage. Le visiteur est alors initié aux subtilités techniques, et à la variété des types d’armures (c’est-à-dire des systèmes d’entrelacement de la chaîne et de la trame), car selon le type d’armure choisi on parlera de «toile ou de taffetas», de «sergé» ou de «satin». On apprendra enfin ce qui différencie un «damas» d’un «broché», le premier étant une pièce monochrome où les motifs sont obtenus par des effets de lumière, le second nécessitant une trame supplémentaire de manière discontinue; On apprend également qu’un «brocart», désignant une tissu  qui a la particularité de combiner l’or et la soie, n’est pas pour autant un terme technique, et que la «tapisserie» n’est pas considérée comme une soie dite «façonnée».

Parmi d’autres, et sobrement encadrées, des photos sépias ou en noir et blanc ré-haussées de couleurs comme cette Fileuse japonaise (1870-1880), ou ces Danseuses à Delhi (vers 1862), Une des filles du roi du Cambodge (1866-1879), Lan-Zhou, les métiers de la soie (1906): outre de très beaux clichés (fin XIXème s.- début XXème ) présentant tous un intérêt documentaire sur les techniques textiles ou leur mise en situation,  l’exposition propose des objets rituels, ou des objets de la vie quotidienne qui reprennent les motifs reproduits sur les soieries, ceci afin d’en souligner l’importance culturelle, et de mieux faire comprendre leur signification ou leur portée symbolique. Les dragons, l’arbre de vie, le phénix, le cygne, le poisson, les motifs floraux comme la fleur de lotus par exemple, la libellule sont autant de motifs qui ont voyagé à travers tout le continent.

Moines «Stillfried et Andersen». 

		(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Moines «Stillfried et Andersen».
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
La route de la soie et les grands courants d’échange

Chercheurs et historiens insistent tous sur le rôle essentiel joué par les textiles dans l’histoire des civilisations et dans les grands courants d’échange. Parler de la route de la soie, c’est naturellement évoquer le rôle majeur joué par le commerce de la soie dans l’histoire des contacts entre la Chine et le Japon, l’Inde et le monde méditerranéen et, souligne Vincent Lefèvre, «on sait aussi combien les échanges entre les emporiums indiens et les ports de l’Asie du Sud-Est -et, à partir du XVIIème s., ceux de l’Europe- ont constitué des phénomènes de civilisation d’une importance majeure». Les circuits commerciaux induisaient les relations culturelles et servaient de relais aux courants religieux. L’expansion du bouddhisme et de l’hindouisme a en quelque sorte suivi celle des caravanes semi-nomades.

Fragment de tissu bouddhique -détail Lampas, soie et fil d’or XIIe-XIIIe s. Chine,Tibet. 

		(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Fragment de tissu bouddhique -détail Lampas, soie et fil d’or XIIe-XIIIe s. Chine,Tibet.
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)

La sériciculture naît en Chine au IIIème millénaire avant notre ère, et fut longtemps une monnaie d’échange dans le monde asiatique. Des panneaux explicatifs accompagnent le visiteur ainsi qu'un beau catalogue édité par la Réunion des musées nationaux, expliquant qu'il faudra attendre les Tang (581-618), surtout les dynasties Liao et Jin, pour voir se diffuser les soieries tissées d’or, conséquence de la politique d’expansion des empereurs plaçant sous leur autorité les avant-postes de la route de la soie. Pendant cette période Tang, politiquement stable, la soie fut un impôt en nature: sept millions quatre -cent-mille rouleaux étaient brassés pour une année. Plus tard, quand l’empire Song (960-1279) rétrécira ses limites territoriales, la soie permettra d’acheter la paix avec les voisins. Quant à la mise en place de la dynastie des Yuan (1271-1368), elle renforcera les liens avec l’Asie centrale , et le goût pour le «drap d’or» à la recherche duquel Marco Polo se mit en quête au XIVème s.

Jimbaori Coton brodé et lampas, soie et lamelles de papier doré (kinran) XIXe siècle Japon 

		(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Jimbaori Coton brodé et lampas, soie et lamelles de papier doré (kinran) XIXe siècle Japon
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)

Tributaire de l’influence de la Chine, le Japon annexe l’art de la soie et parvient peu à peu à une grande maîtrise de l’art du nishiki, équivalent du jin chinois (soieries polychromes et fils d’or), créant des œuvres originales telles des bannières ornées de symboles héraldiques, des costumes de samouraïs, des obis (ceintures) au décor de grues, de nuages, de pins et de fleurs d’automne. C’est probablement au cours des IVème et Vème s., que des tisserands coréens immigrés au Japon implantèrent cet art. chinois dans l’archipel nippon. La période d’Asuka (552-645) débute avec l’histoire officielle du bouddhisme au Japon. Quand, fin XVème, une nouvelle classe marchande émerge, les étoffes de nishiki apparaissent trop associées à la Chine, aux temples bouddhistes et à l’aristocratie conservatrice. On leur préfère les broderies pour le décor des kosode (ancêtre du kimono), les nishiki se cantonnant à la clientèle monastique et au théâtre Nô.

A côté de la Chine, l’Inde est l’autre grand centre textile de l’Asie. Dès l’antioquité, elle est renommée pour ses cotonnades, mais également ses soieries. C’est au Ier s., en Inde, que les marchands romains viennent acheter de la soie. L’Asie centrale semble avoir joué un rôle important dans la diffusion des techniques. La région de Gujarat, à la croisée de l’Inde et de la Perse, est d’ailleurs très tôt, un grand centre textile. Au XIIème s., les cours musulmanes se parent d’étoffes venues de Chine, de Perse et de Bagdad, mais aussi d’Inde. L’art du textile atteint son apogée avec les Moghols, à partir du XVIème s.

Saput - détail Taffetas ikaté, broché et lancé, soie et fil d’or Début du XXe s.
Indonésie, Bali.
 

		(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Saput - détail Taffetas ikaté, broché et lancé, soie et fil d’or Début du XXe s. Indonésie, Bali.
(Photo : Musée national des Arts asiatiques-Guimet - RMN)
Entre l’Inde et la Chine, l’Asie du sud-est emprunte aux deux civilisations lesquelles interfèrent avec les cultures locales, comme l’attestent les textiles. Si dans un premier temps les fibres végétales et les écorces d’arbre ont été utilisées pour confectionner les vêtements, les textiles indiens rentrent en Indonésie et dans le reste de l’Asie du sud-est jusqu’au XIXème s., avec le développement de la marine, la quête indienne de l’or et l’émergence du grand commerce international. A partir des IIIème s. et IVème s., les marchands chinois puis arabes gagnent en importance. Mais les cours royales continuent à s’approvisionner en étoffes de luxe venues d’Inde. A partir du XVIème s., les marchands européens s’insèrent dans ces échanges. Au XIXème s., avec la révolution industrielle européenne, les filatures indiennes périclitent, car -même considérées comme de médiocre qualité- les soieries fabriquées en série sont moins onéreuses. Les élites, toutefois, toujours en quête de qualité et de soieries brochées d’or, continueront de se tourner vers l’Indonésie et la Malaisie.

par Dominique  Raizon

Article publié le 16/11/2004 Dernière mise à jour le 16/11/2004 à 14:37 TU