République démocratique du Congo
Les rebelles rwandais menacent la paix et les élections
(Carte SB/RFI)
Le 25 novembre, le président Paul Kagame a écrit au président de l’Union africaine, avec copies au secrétaire général et au Conseil de sécurité des Nations unies, mais aussi à l’ambassadeur américain. Il attend visiblement un certain effet d’annonce de sa menace de nouvelle expédition militaire dans l’Est congolais où Kigali croit pouvoir venir à bout des combattants de l’ancien régime, «dans une période ne dépassant pas quatorze jours». Des affrontements opposeraient déjà les forces rwandaises aux rebelles des Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) dans la région de Walikale, au nord Kivu, l’une des bases arrières congolaises de la vitrine politico-militaire des soldats et miliciens du génocide de 1994, les ex-Far et Interahamwe. Kigali dément mais maintient la pression.
Kigali s'impatiente
«Le Rwanda a attendu patiemment la réaction de la communauté internationale, y compris l'Union africaine, aux attaques répétées lancées contre lui par ces forces terroristes depuis maintenant dix ans», écrit le général Kagame qui promet une «action proportionnée à la menace et limitée dans sa portée» puisqu’elle «viserait strictement les ex-Far et Interahamwe». «Le Rwanda ne prendrait en aucun cas les forces congolaises pour cible, mais espère au contraire travailler avec elles à résoudre le problème, ce que nous avons demandé plusieurs fois au gouvernement de RDC», précise le général Kagame qui demande au président Olusegun Obasanjo «d'inscrire ce dossier en tête de l'ordre du jour de l'Union africaine» qui a prévu une réunion extraordinaire de son «conseil de sécurité» le 10 décembre pour traiter de la Côte d’Ivoire.
A Kinshasa, le Comité international d'accompagnement de la transition (qui rassemble des représentants des cinq pays membres permanents du Conseil de sécurité de la Belgique, du Canada, de l'Afrique du Sud, de l'Angola, du Gabon, de la Zambie, de l'Union européenne, de l'Union africaine et de la Monuc), le CIAT estimait mercredi que «la présence des groupes armés étrangers sur le territoire de la RDC représente une menace pour les populations civiles, le processus de transition, pour la stabilité de la RDC et pour celle de l'ensemble de la région, mais ne constitue en aucun cas une justification d'agression extérieure». Pour sa part, Paul Kagame a pris bonne note du modèle de la «guerre préventive» américaine en Irak et se réclame de sa responsabilité de la sécurité nationale. Il renvoie aussi l’Onu à ses engagements de Lusaka (en 1998) concernant le désarmement des «forces négatives», c’est-à-dire des rebelles rwandais, mais aussi burundais et ougandais incrustés au Congo.
Le 1er décembre, Washington a décidé d'envoyer un émissaire au Rwanda et en RDC pour presser les deux pays de «résoudre leurs différends par la voie diplomatique et pas de manière militaire, en échangeant des tirs ou par des mouvements de troupes dans cette région». Pour sa part, le président de la transition congolaise, Joseph Kabila, a annoncé le déploiement rapide de 10 000 soldats supplémentaires au Nord Kivu pour empêcher des incursions rebelles au Rwanda mais aussi «défendre la souveraineté nationale et l'intégrité territoriale», comme l’explique le ministre congolais des Affaires étrangères, Raymond Ramazani Baya. En mission diplomatique en Europe, et en particulier à Paris, le vice-président Azarias Ruberwa condamne lui aussi toute nouvelle intervention militaire rwandaise. «S’il y a une troisième guerre, je n’en serai pas», affirme le président du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD). Enracinée au Kivu, l’ex-rébellion du RCD est née en 1998 de la querelle qui avait produit la «deuxième guerre» entre feu Laurent-Désiré Kabila et son ex-allié, le Rwanda qui l’avait conduit au pouvoir à Kinshasa avec la «première guerre», celle de 1996-1997.
Aujourd’hui, Azarias Ruberwa est l’un des quatre vice-présidents de la transition péniblement mise en place à Kinshasa il y a dix-huit mois. «Personne n’aurait parié un sou sur son attelage 4 + 1» – un président, Joseph Kabila, et quatre vice-présidents issus de la mouvance présidentielle, des deux anciennes rébellions et de l’opposition non-armée –, observe Azarias Ruberwa. Pour preuve que la transition fonctionne, il avance sa participation aux nouvelles institutions. Lui-même appartient à la communauté des banyamulenge qui sont assimilés aux Tutsi rwandais «fauteurs de guerre» par ses détracteurs. Longtemps, le RCD reprochait à Joseph Kabila d’armer et d’encadrer la rébellion rwandaise. Aujourd’hui, Azarias Ruberwa assure que le gouvernement congolais est hors de cause. Et pourtant, dit-il, «quelqu’un, quelque part nourrit les Interahamwe en armes, en munitions et en matériels de communication». Il est urgent de savoir si c’est un Etat ou une personne physique, poursuit-il en ajoutant qu’il faut aussi «activer le mécanisme de vérification décidé à Abuja pour savoir où sont les Interahamwe et combien ils sont, où est l’armée rwandaise». Mais surtout répète Azarias Ruberwa, le Conseil de sécurité doit placer le mandat de la Monuc sous le chapitre VII pour qu’elle puisse imposer la paix en désarmant les groupes armés de force.
La Monuc critiquée
Selon le vice-président Ruberwa, c’est «une ironie de constater que la Monuc a mandat d’imposer la paix en Ituri où s’affrontent des Congolais alors qu’elle ne le peut pas au Kivu où sont regroupés des rebelles étrangers», rwandais, mais aussi burundais. La fin du problème ou de l’alibi – selon les sympathisants ou les adversaires de Kigali – c’est «d’éradiquer les groupes armés» qui menacent sa sécurité. Comment en effet obtenir du Rwanda la garantie qu’il ne viendra pas régler la question lui-même au Congo si ce dernier ne peut pas lui garantir en retour qu’il est capable d’empêcher l’ennemi de Kigali d’utiliser son territoire comme base arrière, interroge Azarias Ruberwa. Or, l’armée congolaise n’est pas en état de désarmer ces rebelles toute seule. Ses états-majors sont formés de fraîche date mais la transition n’a pas encore parachevé l’intégration des anciennes forces belligérantes.
Encore composite, l’armée nationale en gestation manque également de moyens. En revanche, avec «700 à 800 millions de dollars par an, des engins militaires sophistiqués, une quarantaine d’hélicoptères, les plus importants effectifs de casques bleus au monde», la Monuc dispose d’une logistique considérable pour un bien maigre résultat, souligne Azarias Ruberwa qui en appelle au souci d’efficacité des «contribuables occidentaux, les Africains ne finançant rien». Jusqu’à présent, dit-il, la transition n’a pas déraillé mais «les trois-quarts du temps sont épuisés. Il reste six mois pour tenir les élections locales, en mai, parlementaires en juin et présidentielle en juillet» 2005. Le désarmement des rebelles rwandais est un préalable clef.
Kigali affirme que les ex-Far et Interahamwe sont sa seule cible. Kinshasa et l’Onu dénoncent la menace d’une violation de la souveraineté territoriale du Congo. S’ils ne décident pas de croquer eux-mêmes la pomme de discorde rebelle, une troisième guerre entre le Congo et le Rwanda pourrait servir de diversion à ces groupes armés et noyer la transition.
par Monique Mas
Article publié le 02/12/2004 Dernière mise à jour le 02/12/2004 à 17:09 TU