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République démocratique du Congo

Le Kivu, mèche de la poudrière congolaise

La République démocratique du Congo. 

		(Carte Stephanie Bourgoing/RFI)
La République démocratique du Congo.
(Carte Stephanie Bourgoing/RFI)
Nul ne doute que Joseph Kabila voit l’Est congolais, et en particulier l’ancienne province du Kivu, comme un fief électoral naturel. Et cela, non seulement parce qu’il en est issu - ses détracteurs se plaisent d’ailleurs à lui attribuer une mère tutsi - ou encore parce que son père Laurent-Désiré est parti de ces confins orientaux, armé par le voisin rwandais, pour prendre Kinshasa, après avoir fait vainement le coup de feu dans la rébellion lumumbiste locale (de 1965 à 1970), mais aussi parce que nombre de turbulences ont démarré dans ce Far East agricole et minier, déversoir naturel de populations qui ont franchi de gré ou de force les frontières, burundaise ou rwandaise (surtout), depuis des temps anciens. Problèmes fonciers au Nord, séquelles de rébellions au Sud, la mèche des deux Kivu d’aujourd’hui se rallume aisément, à toutes fins utiles.

Dans un passé resté présent dans les esprits, les forêts de l’Est congolais ont résonné des mots d’ordre unitaires, ethniques ou purement affairistes de groupes plus ou moins organisés se réclamant de l’étendard lumumbiste ou de Pierre Mulele et de ses milices tribales simba écloses jusqu’au confins congolais sur l’idée simple que le nouveau pouvoir noir administrait le pays à l’identique des colons blancs. Ils en voulaient pour preuve les mercenaires blancs au service de Mobutu Sese Seko (qui commençait son règne à Kinshasa) ou animés d’une vocation sécessionniste conforme aux visées sud-africaines sur l’ex-Congo belge. Pour sa part, Pierre Mulele a été livré par Brazzaville et assassiné à Kinshasa en 1967 après l’écrasement de sa rébellion (1963-1965) implantée dans l’Ouest. Mais le combat des simba d’hier n’est pas sans résonances dans la conception identitaire des maï maï d’aujourd’hui qui se considèrent comme des résistants, engagés dans une guerre de libération contre le Rwanda et ses suppôts réels ou supposés. Et le chassé-croisé des années soixante a aussi laissé en héritage des lignes de faille ethniques.

Les rivages lacustres du Tanganyika et du Kivu ont servi de port d’attache à Che Guevara, l’année «où il n’était nulle part», de mars à novembre 1965. La «contre-révolution» assurait alors que Castro l’avait assassiné. En fait, il était entré dans l’Est congolais, avec l’aide du Tanzanien Julius Nyerere. Ne tarissant pas d’éloge sur ses premières recrues, des guerriers tutsi chassés avec la monarchie du Rwanda en 1959, l’Argentin avait sollicité l’un de ses contacts sur place, Laurent-Désiré Kabila, pour recruter des Banyamulenge congolais. Les Belges appelaient alors communément «Rwanda» ces rwandophones installé dans la région du plateau de Minembwe, entre Bukavu et Uvira, où des révolutions de palais rwandais les avaient banni un siècle plus tôt. Manifestement peu désireux de délaisser les troupeaux de vaches qui leur avaient toujours valu considération et prospérité au Congo, les Banyamulenge ont en tout cas décliné l’invitation du Che à combattre aux côtés de leurs «frères kivutiens» des ethnies voisines enrôlés dans la «révolution».

L’idéologie panafricaniste se fracasse sur la mosaïque ethnique

Une querelle de vaches volées par les rebelles affamés a fini par pousser les Banyamulenge à prendre langue avec l’Armée nationale congolaise de Mobutu au Kivu. Ils ont gagné pour lui des batailles qui laissent au Sud Kivu souvenirs haineux et jalousies tenaces. En remerciement, les Banyamulenge furent en effet les seuls à pouvoir déléguer à l’époque à Kinshasa un député au Parlement et de très nombreux gradés dans l’armée nationale. Entre temps, les Chinois et les Egyptiens qui avaient cru à la guerre de libération du Congo avaient assez vite renoncé, après le départ des Cubains lassés par la confusion des genres et des idées qui circulent aujourd’hui encore sur les anciennes pistes de l’Afrique révolutionnaire. Tandis que Laurent-Désiré Kabila retournait à ses trafics d’or et d’ivoire, l’idéologie panafricaniste et à fortiori internationaliste se fracassait sur la mosaïque ethnique d’une région où même le nationalisme ne parvient pas à franchir les frontières des terroirs, sauf à se réclamer de Kinshasa pour justifier quelque guerre microcosmique.

Pour sa part, Mobutu s’est toujours contenté de défendre ses intérêts propres, s’attachant, par exemple, dans les années soixante-soixante-dix, un conseiller rwandais, Bisemenga, homme d’affaires avisé. Au début des années quatre-vingt, la question de la nationalité des rwandophones du Zaïre paraissait tranchée, les mêmes droits et devoirs de citoyens étant dévolus à tous les habitants du Congo arrivés avant l’indépendance. Parmi eux, les Hutu et Tutsi de l’ex-Ruanda-Urundi sont d’autant plus nombreux que le colonisateur belge avait de très gros besoins de main-d’œuvre, au Kivu, mais aussi dans les mines du Shaba par exemple. Mais en 1991, la «Conférence nationale souveraine» a remis la question sur la table, décrétant qu’il n’existait pas d’ethnie congolaise parlant quelque chose qui ressemble au kinyarwanda et que par conséquent les rwandophones et assimilés étaient de «nationalité douteuse» voire purement et simplement des étrangers.

Mobutu ouvre les portes du Nord Kivu à l’opération Turquoise

Les délégués du Kivu non rwandophones, sont venus en rangs serrés à Kinshasa, avec en particulier deux têtes de Turc à couper à la conférence nationale : une coopérative agricole formée par des Hutu du Masisi dans le Nord Kivu, la Magrivi, mais aussi le génial concepteur rwandais du réseau de téléphonie mobile locale, Télécel. Un texte prétendait évincer tout spécialement le père de Télécel (un Rwandais exilé à Kinshasa), en faisant passer une loi interdisant aux étrangers d’entrer dans ce lucratif domaine. Avec la Mutuelle des agriculteurs des Virunga, la Magrivi, c’est une guerre foncière sanglante qui s’ouvrait. Elle a fait des milliers de morts au Kivu, en 1992 et 1993, avant d’être noyée dans le raz-de-marée des réfugiés du Rwanda fuyant la victoire de l’Armée patriotique rwandaise (APR) à Kigali, en juillet 1994.

A l’époque, Mobutu était au pilori international pour sa gestion intérieure. Il s’est donc empressé d’ouvrir les portes de Goma, au Nord Kivu, aux forces françaises de l’opération Turquoise comme il l’avait fait quelques semaines plus tôt pour les partisans armés de son défunt ami Habyarimana, pour lequel il recrutait d’ailleurs des soldats au Kivu comme le faisait de son côté l’APR. On connaît la suite : l’APR poussant finalement Laurent-Désiré Kabila dans le ventre mou du Kivu, puis du Zaïre tout entier, pour l’installer à Kinshasa en mai 1997. Cette première guerre s’est faite avec force kadogo (enfants-soldats) banyamulenge d’autant plus facilement recrutés par Kigali que Mobutu voulaient les chasser du Congo en même temps que les réfugiés rwandais de 1994 pour le rapatriement desquels il n’avait cessé de fixer des ultimatums en 1995 et 1996. Pour faire d’une pierre deux coups et se tailler de futurs succès électoraux, le dictateur finissant prévoyait un «retour» forcé au Rwanda pour tous les Hutu et Tutsi congolais, désormais indésirables au Nord comme au Sud Kivu.

Kabila fils est aujourd’hui en ordre de bataille

En 1998, lorsque la chasse aux Tutsi a été lancée à Kinshasa par un Kabila père soucieux de s’émanciper de Kigali, la majorité des Congolais a fait assaut de nationalisme au Kivu, contre l’administration civile et militaire du Rassemblement pour la démocratie au Congo, le RCD soutenu par Kigali. Pour autant, la deuxième guerre du Congo a fait nettement moins d’émules chez les Banyamulenge qui avaient eu le temps de comprendre que la première ne les avaient pas vraiment servi. La situation se dégradant au Kivu avec la prolongation de l’occupation rwandaise, certains d’entre eux ont même déclaré la guerre à Kigali, comme le tout nouveau général Pacifique Masunzu - il vient d’être nommé général à Minembwe par Kabila fils - qui avait quitté le RCD en 1999 et donné du fil militaire à retordre à l’APR. En 2002, pour le dénicher, les troupes rwandaises avaient même donné vainement l’assaut au plateau d’Itombwe, place forte des Banyamulenge. Masunzu a fait cause commune avec les maï maï, au nom d’un nationalisme au service du régime Kabila. Son destin n’est pas scellé pour autant.

Les deux dernières guerres du Congo (1996 et 1998) ont réveillé les rancœurs d’hier et transformé les conflits de clôtures en batailles à l’arme lourde. La théorie des complots battant son plein, l’avenir des rwandophones congolais est sans doute compromis pour longtemps. Joseph Kabila dénonce leur main jusque dans l’assassinat de son père. Héritier bizarrement incontesté d’un homme internationalement vilipendé, Kabila fils est aujourd’hui en ordre de bataille. Comme les autres chefs de file politico-militaires du Congo, il garde dans sa ligne de mire les élections prévues l’année prochaine pour clore la transition qu’il préside, entouré de quatre vice-présidents. Parmi ces derniers, deux se sont taillés des fiefs les armes à la main : Jean-Pierre Bemba du Mouvement de libération du Congo (MLC) et Azarias Ruberwa du RCD qui se sont longtemps disputés les amitiés intéressées de Kigali et de Kampala. Le Rwanda et l’Ouganda en sont même venus aux mains pour le contrôle de Kisangani. Mais entre leurs deux zones de contrôle, la plus riche et la plus stratégiquement décisive, celle aussi où toutes sortes de coups de dés sont possibles, c’est celle que revendique le RCD et qui comprend notamment les deux fleurons du Kivu.

De Goma à Bukavu, du nord au sud de l’ancienne province du Kivu aujourd’hui vérolée par une myriade de groupes armés congolais, mais aussi par les rebelles rwandais et même burundais, l’essentiel de la bataille repose sur un duel entre Joseph Kabila et Azarias Ruberwa. Les premières salves ont été tirées à Bukavu peu après l’arrivée des nouveaux administrateurs civils et militaires chargés d’incarner la transition au plan local. Vu de Kinshasa, le partage du pouvoir dans le Kivu ressemble à une avancée en terrain miné.



par Monique  Mas

Article publié le 05/06/2004 Dernière mise à jour le 05/06/2004 à 07:09 TU

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