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Racisme

Al Manar, indésirable en France

Eline Briant, la présentatrice française de la chaîne Al-Manar TV, vue ici en août 2004 dans les locaux beyrouthins de la télé du Hezbollah. 

		(Photo: AFP)
Eline Briant, la présentatrice française de la chaîne Al-Manar TV, vue ici en août 2004 dans les locaux beyrouthins de la télé du Hezbollah.
(Photo: AFP)
Jeudi, le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin a martelé sa position devant le Sénat. Le chef du gouvernement ne veut pas de diffusion de la chaîne satellitaire libanaise, Al Manar, en France. Suite à la diffusion de propos à caractère antisémite sur cette chaîne de télévision le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a immédiatement pris la première mesure obligatoire avant toute procédure de sanction, et adressé à la chaîne une «mise en demeure de respecter ses obligations légales et conventionnelles». Par ailleurs le CSA a saisi en référé le Conseil d’Etat pour que soit ordonnée à Eutelsat la cessation de la diffusion de la chaîne libanaise proche du parti chiite Hezbollah, qui émet par satellite en France et dans les pays de la Communauté européenne. Les programmes de la chaîne «allaient (ainsi) conduire à la résiliation» de la convention passée. Un arsenal législatif devrait faire l’objet d’un très prochain chantier intéressant l’ensemble de l’Union européenne. Techniquement, interrompre la chaîne semblerait plus difficile à réaliser.

La décision intervient à la suite de propos à caractère raciste tenus par un «expert pour les affaires relatives à l’entité sioniste», cités dans une revue de presse d’Al Manar diffusée le 23 novembre, évoquant «des tentatives sionistes pour transmettre des maladies dangereuses à travers les exportations aux pays arabes, comme le sida». Le comité épiscopal des évêques de France pour les relations avec le judaïsme a relevé par ailleurs que «régulièrement non seulement cette télévision émet des clips valorisant des jeunes enfants embrigadés dans la guerre et le terrorisme, mais aussi elle diffuse fréquemment des émissions de fiction dans lesquelles les juifs sont toujours désignés comme assassins».

Dominique Baudis, président du CSA, «a fait part au Premier ministre des décisions que le Conseil a prises dans les plus brefs délais pour sanctionner la chaîne Al Manar (…) Le Premier ministre a rappelé que toute transgression des valeurs de la République doit  être sanctionnée sans délai et très fermement, dans le cadre des grands principes du droit français et du respect de la liberté d’expression», selon Matignon. Jean-Pierre Raffarin a déclaré mercredi 1er décembre que «les programmes d’Al Manar sont incompatibles avec nos valeurs. Il est clair qu’ils vont conduire à la résiliation de la convention entre le CSA et Al-Manar».

Face à cette décision prise par le chef du gouvernement, Al Manar affirme faire les frais d’une «campagne sioniste», et soutient qu’elle n’a «pas de problèmes avec les lois de la France ou avec ses valeurs, particulièrement celles de justice, de liberté et de respect des droits de l’Homme puisqu’elle partage les mêmes valeurs», selon les déclarations de Hassan Fadlallah, directeur de l’information de la chaîne du mouvement chiite. Toujours selon ces déclarations, «ses ennuis n’ont rien à voir avec ces valeurs, ils proviennent de provocations d’organisations et de groupes de pression sionistes qui essayent de créer des problèmes à la France vis-à-vis de l’opinion publique arabe et musulmane», et il poursuit: «nous espérons que la France ne répondra pas à ce genre de tentatives».

La communauté juive, elle, n’a pas attendu pour faire connaître sa satisfaction devant la décision du chef du gouvernement. Chose rare, le chef de la diplomatie israélienne, Sylvan Shalom, a même publié peu après un communiqué félicitant le gouvernement français pour cette annonce de résiliation de la convention. Le mouvement de jeunesse sioniste de gauche Hachomer Hatzaïr s’est dit «profondément soulagé». 

Al Manar n’en est pas à son premier faux pas

Cette chaîne libanaise, déjà accessible via le satellite Arabsat, avait été autorisée par le CSA à entrer, le 19 novembre, dans le paysage audiovisuel français (PAF) sous réserve de son engagement à respecter «la loi française qui prohibe toute incitation à la haine ou à la violence». Si le directeur général de la chaîne libanaise controversée, Mohamed Haïdar, ne s’est jamais caché des objectifs de la chaîne du Hezbollah de vouloir «créer une opinion publique favorable à la cause palestinienne», l’engagement déontologique strict était pris «à ne pas inciter à la haine, à la violence ou à la discrimination pour des raisons de race, de sexe, de religion, ou de nationalité».

Cependant, politiques et associations diverses étaient sur le qui-vive: le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF) qui avait aussitôt lancé une «protestation citoyenne»; la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA), le Centre Simon-Wiesenthal, SOS Racisme, François Hollande, premier secrétaire du Parti socialiste, Nicolas Sarkozy, nouveau président de l’UMP, François Bayrou, président de l’UDF, avaient immédiatement apporté leur soutien au CRIF, soulignant par ailleurs qu’Al Manar ne se contentait pas d’être antisémite, mais faisait aussi «l’apologie du terrorisme». L’Union des patrons et des professionnels juifs de France s’était montré convaincue que «les émissions constituant un trouble à l’ordre public serviraient de justification pour de nouvelles agressions antisémites suivies d’excuses».

L’inquiétude générale s’articulait sur un contentieux précédent. En novembre 2003, un feuilleton antisémite, Al ShatatDiaspora») était diffusé sur la chaîne Al Manar. Mais la chaîne du Hezbollah n’étant pas conventionnée à l’époque, le CSA n’a aucun pouvoir de contrôle sur la chaîne. Contrairement aux chaînes diffusées en France sur Canal satellite et TPS, Al Manar n’en a pas besoin puisqu’elle est diffusée depuis l’étranger, dans le bouquet de chaînes Arabsat, sur le satellite Hotbird 4. Seule solution alors pour le CSA: porter plainte devant le procureur de la République, ce qu’il fait en février. Pas de réponse, ni du parquet auprès duquel il a porté plainte, ni du gouvernement dont il espérait de nouveaux outils juridiques. En juillet dernier, une modification de la loi permet au CSA de se tourner vers le Conseil d’Etat pour faire interdire une chaîne diffusée en France. En août, surprise, le Conseil d’Etat refuse d’interdire Al Manar car la chaîne a fait amende honorable, reconnu «le caractère inadmissible du feuilleton diffusé», et juré qu’il «l’a été par erreur». Désormais, Al Manar va être conventionnée.

Face à l’inquiétude des politiques et des associations, Dominique Baudis, président du CSA assure alors que «cette convention autorisant et encadrant la diffusion d’Al Manar est la plus rigoureuse de toutes les conventions que nous avons signées, avec des dispositions très strictes quant à la nature des programmes». Cette autorisation de diffusion n’étant valable que pour une durée de 1 an au lieu de 5 ans habituellement, «il s’agit là d’une décision inédite et sans précédent», déclare-t-il.

Projet d’un renforcement de l’arsenal juridique

A la suite du dernier dérapage, le Premier ministre a reçu le 1er décembre en fin d’après-midi Dominique Baudis et Christian Dutoit, membre du CSA «pour proposer des actions publiques nécessaires face à la légitime émotion et aux troubles engendrés par la diffusion de programmes inacceptables par la chaîne de télévision Al Manar». «La France est le seul pays dans le monde à se préoccuper de cette question, c’est-à-dire contenir la guerre des images qui fait rage partout sur la planète. Nous voulons faire de la France et de l’Europe un espace où les télévisions que nous recevons sont respectueuses de notre droit», a d’ailleurs souligné Dominique Baudis s’insurgeant contre «le déluge d’images racistes, antisémites et appelant à la haine qui déferlent de différentes régions du monde (…) dans des conditions parfaitement illégales». «C’est pour cela que je prendrai très prochainement une initiative législative pour nous donner les moyens d’interrompre immédiatement de tels programmes qui incitent à la haine et la violence et portent l’indignité humaine», a assuré Jean-Pierre Raffarin.

Le CSA pourrait saisir le gouvernement dès lors qu’il constaterait qu’une télévision ne respecte pas la loi. Le Premier ministre déciderait alors des sanctions par décret en Conseil des ministres, sous le contrôle du juge: «chacun serait ainsi dans son rôle, surtout le Conseil d’Etat qui est fait pour contrôler la légalité des actes de justice plutôt que d’être une instance de décision», souligne un proche du dossier.
Le ministre de la Culture et de la Communication Renaud Donnedieu de Vabres a, quant à lui, écrit jeudi à la présidence néerlandaise de l’Union européenne et à la commissaire européenne en charge des médias, Viviane Reding, afin que l’UE se penche sur le dossier. Dans cette lettre, le ministre exprime le «souhait» que «à la demande du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin», «le prochain conseil des ministres de la Culture examine les réponses que l’Union européenne peut et doit apporter aux graves problèmes posés par la diffusion en Europe par les médias extra-européens, de propos incitant à la haine et à la violence raciale». Renaud Donnedieu de Vabres devait par ailleurs recevoir Jeudi Guiliano Beretta, président d’Eutelsat, l’opérateur français de satellites qui diffuse Al Manar.

Le débat juridique ne fait que commencer

Le débat juridique ne fait que commencer. Al Manar n’est certainement pas prête à lâcher le morceau car la reconnaissance internationale que lui offre le conventionnement est suffisamment précieux pour que la chaîne libanaise tente à nouveau un effort de négociation, présente une charte déontologique, et la création d’un comité de surveillance composé de personnalités extérieures. Il n’est pas certain que le Conseil d’Etat puisse exiger de l’opérateur satellitaire de couper le signal d’une chaîne légalement autorisée et bénéficiant d’une convention en bonne et due forme.

Dans un article daté du 1er décembre 2004, le Monde soulignait que le CSA s’attaquait à une montagne en «devenant le gendarme des télévisions diffusées par la flotte de satellites d’Eutelsat», premier opérateur de satellites en Europe permettant la diffusion de 1 400 télévisions et de plus de 850 radios du monde entier. «Dans cet ensemble cosmopolite, seule une centaine de chaînes comme Al Manar sont considérées comme extra-communautaires, précise Eutelsat, c’est-à-dire qu’elles ne proviennent pas d’un pays de l’Union européenne, ou d’une nation signataire de la directive Télévision sans frontières». Si ce n’est pas la première fois qu’Eutelsat pourra être amené à interrompre la diffusion d’une chaîne, «cette fois l’interruption sera plus compliquée à mettre en œuvre techniquement, a fait savoir Eutelsat, car la diffusion est émise en mode numérique et Al Manar appartient à un bouquet d’une dizaine de chaînes arabes acheminées de Tunis vers le satellite Hotbird4. Pour interrompre la chaîne, il faut interrompre tout le multiplex, soit l’ensemble des dix chaînes».

L’article du Monde rapporte cependant qu’«Eutelsat est prêt à se plier "sans état d’âme" à un avis du Conseil d’Etat. Dans la pratique, l’opérateur de satellites "attend la décision de justice". Toutefois Eutelsat précise que, si elle se veut "une société citoyenne", elle n’est "pas le juge" dans cette affaire. "Il y a un organisme de régulation en France. A chacun son boulot" ajoute Eutelsat, cherchant par avance à se dédouaner auprès de ses clients». Pour sa part, SOS racisme considère que «le cas de la chaîne Al Manar constitue l’arbre qui cache la forêt de chaînes du même acabit dont nous ne saurions tolérer la poursuite de la diffusion» (…) «Dans l’attente de la mise en place effective des dispositions esquissées par Jean-Pierre Raffarin, SOS racisme n’exclut pas, si cette dernière venait à durer, d’engager des procédures judiciaires nécessaires afin de mettre l’opérateur Eutelsat devant ses responsabilités pénales».



par Dominique  Raizon

Article publié le 03/12/2004 Dernière mise à jour le 03/12/2004 à 15:28 TU

Audio

Frédéric Domont et Walid Charara

Journalistes, auteurs

«Le Hezbollah est né dans le sillage idéologique de la révolution islamique iranienne.»

[27/11/2004]

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