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Racisme

Protection renforcée des lieux de culte musulmans

L'imam marocain, Mohamed El Atrache regarde les impacts de balles sur la porte de son lieu de culte. La Corse a décidé de renforcer la sécurité des mosquées. 

		(Photo : AFP)
L'imam marocain, Mohamed El Atrache regarde les impacts de balles sur la porte de son lieu de culte. La Corse a décidé de renforcer la sécurité des mosquées.
(Photo : AFP)
Les mosquées vont désormais faire l’objet d’une protection en Corse, où depuis le début de l’année une cinquantaine d’agressions ou d’attentats xénophobes ont été enrtegistrés. Pour contrer cette escalade, marquée par l’attentat contre la mosquée de Sartène dans la nuit de vendredi à samedi 27 novembre, le préfet de Corse Pierre-René Lemas a décidé «d’instaurer une protection renforcée pour tous les lieux de culte musulmans» sur l’île.

Le vice-président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Fouad Alaoui, avait réclamé samedi «une protection de proximité des lieux de culte musulman en Corse». Dès lundi, un recensement des lieux de culte dans l’île a été effectué avec l’ensemble des représentants des communautés musulmanes, et les forces de l’ordre ont été chargées d’établir une surveillance tenant compte de la «nécessité d’accès libre à tous les fidèles», a-t-on précisé à la préfecture. «Nous allons engager une action pour une meilleure protection des lieux de culte musulmans», a en effet indiqué le préfet à l’issue d’une réunion à Ajaccio avec les représentants des principales religions dans l’île. Le représentant du culte israélite s’est excusé pour raisons de santé. Etaient rassemblés autour du préfet, l’évêque de Corse, Mgr Jean-Luc Brunin, le représentant de l’Eglise réformée, Jean-Claude Alègre, et le représentant du CFCM, Miloud Mesghati. A l’issue de cette réunion, les représentants des cultes et le préfet ont décidé de se réunir désormais «régulièrement pour faire le point sur ce qui se passe en matière de racisme et de xénophobie».

Cette mobilisation intervient alors que l’imam de Sartène (Corse du Sud), Mohamed el-Atrache, a échappé à une tentative d’assassinat dans la nuit de vendredi à samedi. Après avoir proféré des insultes et peint à l’extérieur de la mosquée une croix gammée et l’inscription Arabi Fora («les Arabes dehors», en langue corse), des inconnus ont tiré à une dizaine de reprises à l’arme automatique. Les balles ont traversé la porte et frôlé "à dix centimètres" l'imam qui se trouvait dans dans une salle de prière faisant partie de son habitation. L'imam s’était rendu dans la pièce, selon sa déposition, après y avoir entendu «des bruits suspects». Le responsable religieux, de nationalité marocaine, s’y trouvait donc au moment des coups de feu. Il estime avoir échappé à une «tentative d’assassinat», pour laquelle le procureur de la République, José Thorel, a instantanément confié à la gendarmerie une «enquête de flagrance». «Nous restons dans le cadre de cette enquête. Plusieurs pistes sont suivies et en cours de vérification, qu’il s’agisse de terrorisme ou de droit commun, mais aucune n’a encore débouché sur les interpellations», a déclaré lundi le magistrat.

Les condamnations de l’attentat se sont multipliées depuis cette dernière exaction qui vient s’ajouter aux actes enregistrés depuis le début de l’année en Corse. Selon un rapport officiel de Jean-Christophe Rufin remis au Premier ministre publié mi-octobre par le gouvernerment, sur la lutte contre le racisme et l'anti-sémitisme, plus de la moitié des violences racistes commises en France surviennent en Corse. Cette dernière exaction fait monter la pression. Tous les élus de tous bords, Amnesty international, Ligue des droits de l’homme, le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), et le Conseil national des Marocains de France (CNMF), ont exprimé leur indignation. Jean-Christophe Angelini, le secrétaire national du Parti de la nation corse (PNC), élu à l’Assemblée territoriale, a également condamné avec fermeté l’attentat de Sartène, et dénoncé «des actes odieux qui défigurent notre île». Exonérant les nationalistes de toute responsabilité, il a par ailleurs appelé «tous les démocrates» à combattre la «violence politique dont sont victimes les Arabes». Le ministre de l’Intérieur, Dominique de Villepin, informé immédiatement de cette fusillade, a quant à lui aussitôt confirmé ses instructions de «fermeté à l’égard de tous actes xénophobes ou racistes pour lesquels, en Corse comme ailleurs, il n’y aura aucune tolérance».

Contre la violence, l’éducation

Mohamed el-Atrache se montre inquiet : «Je n’ai pas compris pourquoi ils m’en voulaient autant. Je suis ici depuis 12 ans, et je pense que c’étaient peut-être des jeunes un peu perdus. (…) le pire c’est pour nos jeunes. Ils sont nés ici, ils vont à l’école avec les Corses, ils ne connaissent même pas le Maroc, et c’est ici qu’ils se sentent chez eux. Souvent, ils ont tendance à réagir comme les Corses. Mais on leur dit que s’ils commencent à riposter, ça sera encore plus dramatique pour tout le monde ! ». Le CNMF a renouvelé son appel lancé le 18 septembre dernier «aux plus hautes autorités françaises» pour demander que «les lois de la République s’appliquent avec vigueur et sans faiblesse pour mettre  fin à cette situation intolérable et protéger les biens et les personnes visées».

Pierre-René Lemas a effectivement rappelé la détermination de l’Etat en invoquant le démantèlement «probable», ces dix derniers jours, du groupuscule Clandestini Corsi (qui avait revendiqué sept attentats racistes, avec 21 arrestations et 14 mises en examen, essentiellement des jeunes de 18 à 20 ans). Le CNMF a également insisté sur «la nécessité d’aider la population visée à préserver son caractère pacifique et résister aux provocations de criminels et d’encourager toute mesure concrète visant à renouer le dialogue entre les différentes couches de la population vivant en Corse». «Il faut aussi rappeler aux enfants que le racisme et l’exclusion ne sont pas des opinions, mais des délits», a déclaré Jean-Claude Acquaviva, chanteur corse, et membre de la Ligue des droits de l’Homme.

Pierre-René Lemas, réceptif aux messages, a souligné cette effective «nécessité d’un traitement social, pédagogique du problème (…) pour ces jeunes sans repères». Il a confirmé l’organisation d’une «semaine de fraternité» dans chaque ville ou village, chaque établissement scolaire, la semaine précédent les vacances de Noël, soulignant que «l’important est de constater qu’il y a eu une augmentation de ces actes, qu’ils sont le fait d’une minorité, d’une poignée de gens, et qu’il y a dans la population corse plutôt une réaction collective de rejet de ces actes». Lundi soir, le chanteur corse Jean-Paul Poletti s’est produit dans la mosquée visée «en signe de soutien envers la communauté maghrébine».



par Dominique  Raizon

Article publié le 30/11/2004 Dernière mise à jour le 30/11/2004 à 16:01 TU