Ukraine
La chimérique autonomie du Donbass
(Photo : AFP)
De notre envoyé spécial à Donetsk.
Par le train Donbass jaune et bleu, couleurs de l’Ukraine, qui va de Kiev à Donetsk, vendredi soir, Liana et Katia rentrent chez elles, heureuses, après un séjour dans la capitale. « Pour le travail », précisent-elles. Pour ces médecins, Viktor Iouchtchenko a le visage du diable et son adversaire, Viktor Ianoukovitch, celui d’un ange. « Iouchtchenko dit qu’il a été empoisonné, mais c’est faux, assure la blonde Katia. Je pense qu’il a voulu utiliser une crême pour se rajeunir et qu’il y a eu une mauvaise réaction ». La révolution orange ? « Les jeunes sont forcés de manifester ». Les fraudes massives aux deux tours des élections ? « Il y a eu des falsifications de deux cotés ». La corruption ? « Ils sont tous riches de toutes façons ». La situation du pays ? « Ca va beaucoup mieux depuis que M. Ianoukovitch est premier ministre ». Ce n’est pas pour rien que certains parlent de « réserve » au sujet de cette région pro russe, culturellement coupée du reste du pays.
Lorsqu’on aborde la question de l’autonomie de la région de Donetsk, les deux femmes se font plus nuancées. « Je ne comprends pas pourquoi ils parlent de cela, se demande Liana, notre région est petite, cela n’a pas de sens ». Pourtant, cette question a été mise à l’ordre du jour le 1er décembre lors d’un Congrès des régions russophones d'Ukraine tenu en présence de Ianoukovitch et Loujkov, le maire de Moscou, ardent défenseur de l’empire russe. Un referendum a été fixé au 9 janvier prochain.
Samedi, à Donetsk, sur la place Lénine, deux à trois mille manifestants sont réunis. Comme chaque soir depuis quelques jours. Au pied de la statue du révolutionnaire bolchévique, ils écoutent la main sur le coeur les discours des politiciens locaux. Alexandre, employé de 24 ans, est venu « pour défendre nos voix. Comme ceux de Kiev défendent les leurs. J’ai voté pour Ianoukovitch, personne ne m’y a forcé », déclare-t-il. Russophone comprenant l’ukrainien, le jeune homme, allure de rockeur des années 80, affirme se sentir Ukrainien. « Je suis né ici, c’est mon pays. Mais, précise-t-il, une autonomie dans une fédération ukrainienne, pourquoi pas ». Maxim, quant à lui, verrait bien l’oblast (division administrative) de Donetsk devenir une république de la fédération de Russie. « On est slave, explique cet étudiant de vingt ans, ce serait normal d’être rattaché à la Russie. Comme ça, on serait sûr de ne pas devenir une colonie des Etats-Unis ».
« Les gens d’ici craignent ceux qui les exploitent »
En raison de l’ultimatum posé au président Koutchma par l’opposition au sujet de ce referendum, les autorités de Donetsk se font prudentes. Le maire de cette ville de plus d’un million d’habitants, Alexandre Alexeievitch Loukianchenko, préfère parler de « consultation ». Et le premier magistrat de la ville d’insister, apparemment sincère, sur la nécessité de ne pas mettre en danger l’intégrité territoriale du pays. « Les politiciens doivent se réunir ». Si fédération de l’Ukraine il doit y avoir, « c’est pour que notre région qui produit plus qu’ailleurs », 25% du PNB, « reçoive plus ».
Les leaders des syndicats de mineurs se tiennent prêt à donner un coup de main au pouvoir. « Nous avons décidé de créer des unités d’autodéfense pour réagir en cas de besoin de mettre fin au chaos », explique Mikhail Krylov, président du syndicat indépendant des mineurs de Donetsk. Un tract a circulé dans les mines de la région. Ces unités n’existent encore que sur le papier. Mikhail Krylov, personnage affable, ne semble voir dans ces manifestations que désordre et dans Viktor Iouchtchenko celui qui, « sur recommandation du Fond monétaire international et de la Banque Mondiale », a ordonné la fermeture de dizaines de mines dans les années 90.
« Les gens de la région vivent dans la nostalgie de l’époque soviétique, explique Lina Kushch, correspondante locale de la BBC. Ils ne voient qu’un système qui s’écroule et du désordre dans les manifestations ». Les rouages soviétiques sont encore bien huilés et il semble facile pour le pouvoir de tenir la population sous contrôle. « Le syndrome de Stockholm marche à plein, précise Lina Kushch, les gens d’ici craignent ceux qui les exploitent sans même s’en rendre compte ». « Ceux qui les exploitent », c’est-à-dire Viktor Ianoukovitch, qui fut gouverneur de la région, et tout ceux du « clan de Donetsk » dont il représente les intérêts. Quelques oligarches, dont Rinat Akhmetov, le plus richissime d’entre eux, qui ont fait fortune grâce aux généreuses privatisations des années 90.
par Régis Genté
Article publié le 06/12/2004 Dernière mise à jour le 06/12/2004 à 09:59 TU