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Ukraine

Kiev, après Belgrade et Tbilissi

C’est d’abord pour faire chuter Slobodan Milosévic, en octobre 2000 qu'une « recette » de la révolution non violente a été mise au point. Le pacifisme fait la force du mouvement.
 

		(Photo : AFP)
C’est d’abord pour faire chuter Slobodan Milosévic, en octobre 2000 qu'une « recette » de la révolution non violente a été mise au point. Le pacifisme fait la force du mouvement.
(Photo : AFP)
Il y a tout juste un an, en Géorgie, la « révolution des roses » contraignait Edouard Chevardnadzé à la démission, le 23 novembre. Aussitôt, le pouvoir ukrainien, comme ses opposants, lorgnent sur ce qui vient de se passer dans le Caucase et se préparent pour la bataille électorale qui s’annonce à l’automne 2004, convaincus que la situation des deux pays est comparable à bien des égards.

De notre envoyé spéciale à Kiev.

Juin 2004, Tbilissi. Kéthy revient perplexe d’Ukraine. La jeune activiste de Kmara (« Assez »), mouvement étudiant créé pour mettre fin au régime Chevardnadzé, vient d’animer des stages de formation à Odessa, Lviv et Zaporojié pour des organisations ukrainiennes. A Kiev, elle a « davantage discuté stratégie » avec des leaders de Maidan, un mouvement né en 2000. « Ils nous ont invitées, avec une autre membre de Kmara, explique Kéthy, pour qu’on partage notre expérience. Je ne sais pas si ils vont réussir. Ils manquent d’unité. Ils faut qu’ils se rassemblent sous un seul slogan et un seul logo ».

Il y a donc une filiation entre cette « révolution orange » ukrainienne et son aînée géorgienne, celle « des roses ». A vrai dire, Kmara n’a apporté qu’une petite contribution a la puissante contestation en cours en Ukraine. Maidan, comme d’autres, s’est inspirée, et fait partie, d’une internationale « révolutionnaire » non violente issue des transitions démocratiques « de velours » que connaît l’Europe de l’Est depuis quinze ans. Sur son site Internet, elle revendique l’héritage de Gene Sharp, théoricien américain de l’action non violente, du syndicat polonais Solidarnösc, des Biélorusses de ZUBR et du mouvement étudiant serbe Otpor.

Cassettes et de manuels « révolutionnaires »

Comme en Géorgie, ce sont les activistes de Belgrade qui ont joué le rôle le plus important. A plus de quinze reprises en un an, leurs chefs de file sont venus enseigner a des centaines d’étudiants comment mobiliser les jeunes pour qu’ils votent et défendent leurs voix, se servir des médias, contester le pouvoir etc. Le tout a l’aide de cassettes et de manuels « révolutionnaires », dont le désormais fameux « Comment détrôner un dictateur » de Gene Sharp, traduit en Ukrainien après l’avoir été en Géorgien et dans bien d’autres langues.

Mêmes méthodes et même style a Kiev, un an après Tbilissi, quatre après Belgrade. Car c’est d’abord pour faire chuter Slobodan Milosévic, en octobre 2000, qu’une « recette » de la révolution non violente a été mise au point. Le pacifisme fait la force du mouvement. A Kiev, un service de sécurité veille a ce qu’on ne consomme pas d’alcool dans la manifestation pour éviter tout incident.

La genèse de ces révolutions est la même. Une élection promet d’être falsifiée par un pouvoir déliquescent, corrompu, plutôt divisé et autoritaire. Une surveillance du processus électoral est mise en place à l’aide d’organisations internationales et d’organisations non gouvernementales étrangères et locales. A Belgrade, Tbilissi et Kiev, des officines américaines, comme le Freedom House ou le National Democratic Institute, soutiennent techniquement et financièrement les organisations locales participant à la surveillance du scrutin et à la contestation.

Mécanique de la contestation

Le pourvoir fraude, les observateurs du scrutin font leur rapport, la contestation démarre, conduite par l’opposition politique, les mouvements étudiants et la société civile. Pure manipulation ? Ce serait ignorer que ces mouvement « ne vont pas a l’encontre de la volonté des gens, comme l’explique Marina Tabukashvili, coordinatrice de programme a la Fondation Soros de Tbilissi, tout le monde voulait une Géorgie sans Chevardnadzé », pour reprendre le slogan de l’opposition géorgienne, emprunté aux manifestants ukrainiens qui, en 2000, manifestaient pour « L’Ukraine sans Koutchma ». Pas étonnant qu’en novembre 2003, les médias ukrainiens ont été contraints de couvrir en termes négatifs la « révolution des roses » géorgienne.

Deux styles s’affrontent dans ces grandes contestations. L’un est non-violent, gai et original. L’autre, celui du pouvoir et de la nostalgie de l’empire Russe, fonctionnant à coup de bluff et de rhétorique tout droit venus de l’ère soviétique. Aux abois, à Tbilissi comme à Kiev, le pouvoir soutenu par Moscou agite le spectre du séparatisme. Il faut « que la Russie accepte que l'Ukraine choisisse son destin, explique Salomé Zourabichvili, ministre géorgienne des Affaires étrangères, dans une tribune publiée dans Le Monde du 1er décembre, il faut qu'elle admette que ce choix n'est pas un choix qui exclut ou confronte l'influence russe dans un Etat auquel elle est liée par des siècles de culture commune, d'importantes minorités et des intérêts économiques puissants. Ce doit être un choix englobant qui devrait permettre à l'Ukraine de se rapprocher de l'Europe sans perdre sa relation spécifique avec la Russie ».



par Régis  Genté

Article publié le 02/12/2004 Dernière mise à jour le 02/12/2004 à 10:49 TU