Ukraine
La victoire change de camp
(Photo : AFP)
L’opposition reste mobilisée au lendemain du scrutin qui a vu la victoire de Viktor Iouchtchenko par près de neuf points d’écart. «Il nous faut encore défendre cette victoire», a déclaré le vainqueur du scrutin présidentiel, Viktor Iouchtchenko, crédité de 52,44% des voix après dépouillement de 97% des bulletins. Sa prudence s’explique notamment par le mutisme de son rival, le Premier ministre Viktor Ianoukovitch, qui n’a pas officiellement reconnu sa défaite. Il avait expliqué la semaine dernière qu’il était le président ukrainien après sa victoire le 21 novembre lors du second tour des élections, et ce malgré l’annulation postérieure des résultats de cette élection en raison de fraudes massives. Sa ligne de conduite ne change donc pas, et il est même tenté, à son tour, de recourir à la justice pour invalider la victoire du chef de l’opposition, des membres de son équipe ayant annoncé lundi que seraient dénoncées devant la Cour suprême des «violations systématiques».
Ces affirmations tranchent avec les premières conclusions des quelque 12 000 observateurs étrangers présents en Ukraine pour surveiller le scrutin. Ihor Popov, directeur de l’ONG Comité des électeurs ukrainiens, a expliqué qu’il y avait eu «certaines violations mais qu’elles n’étaient ni importantes ni systématiques ». L’un des points les plus négatifs concerne le vote à domicile des personnes âgées ou malades, une récente réforme du code électorale annulée par la Cour Constitutionnelle quelques heures avant le début du scrutin, ayant entraîné une certaine confusion dimanche.
Dans l’attente des rapports définitifs des observateurs et de la validation des résultats, la population préfère conserver une certaine prudence, à l’instar des médias locaux. Dans son édition de lundi, le quotidien à fort tirage Sevodnia posait ainsi la problématique : «la question principale qui se pose est la suivante : le perdant reconnaîtra-t-il le résultat de l’élection ou cherchera-t-il à nouveau à le contester en faisant, sans doute, descendre les gens dans la rue». Contrôlé par un milliardaire proche de M. Ianoukovitch, ce journal rappelle les menaces proférées par certains militants qui se disaient prêts avant le scrutin à marcher sur Kiev en cas de défaite du Premier ministre. Interrogés au soir du scrutin, plusieurs électeurs de l’Est russophone ont également agité la menace de protester contre la victoire de Iouchtchenko, un homme accusé de servir les intérêts des Occidentaux au détriment de ceux du pays.
Une nouvelle ère politiqueAcclamé après sa victoire par plusieurs milliers de personnes réunies à Kiev sur la place de l’Indépendance, Viktor Iouchtchenko a insisté sur l’immense travail à accomplir pour réussir à pérenniser la «révolution orange», cet immense mouvement populaire de protestation qui a conduit à l’invalidation du scrutin du 21 novembre. «Nous avons été indépendants pendant 14 ans, maintenant nous sommes libres», a déclaré Viktor Iouchtchenko, en appelant ses partisans à «consolider la liberté conquise». Il a rappelé que le sort de l’Ukraine ne dépendait d’aucun pays étranger et a demandé aux habitants à se retrousser les manches pour servir leur nation.
Le succès du candidat réformateur sonne le glas de l’ère politique de Léonid Koutchma, qui préside l’Ukraine depuis 1994. Il laisse un pays miné par la corruption, où le quart de la population vit sous le seuil de pauvreté et où l’économie est contrôlée par de puissants clans politico-financiers, parfois très liés avec les Russes et qui défendent farouchement leurs intérêts au sein du Parlement et du gouvernement. Du coup, certains journaux s’interrogent sur la marge de manœuvre dont dispose le nouveau président ukrainien. «L’élection, ce n’est que le début du chemin. On ne peut exclure que Iouchtchenko soit sacrifié sur l’autel de la révolution, comme l’ont été les réformateurs polonais au début des années 1990. L’important, c’est qu’il passe dans l’Histoire en tant qu’initiateur de processus irréversibles», écrit ainsi le quotidien de centre gauche Gazeta Wyborcza. «Le monde démocratique et l’Union européenne en particulier doivent maintenant aider l’Ukraine comme ils avaient aidé l’Europe centre-orientale après 1989».
Pour Viktor Iouchtchenko, le plus dur reste donc à faire. Et il devra notamment composer avec un contexte politique délicat. Une réforme constitutionnelle récemment adoptée a considérablement réduit les pouvoirs du président de la République au profit de ceux du Parlement. Et il ne fait pas de doute qu’avant son entrée en vigueur prévue en septembre 2005, ou au plus tard en janvier 2006, les luttes de pouvoir seront très fortes au sein du Parlement dominé par les députés pro-Koutchma. Iouchtchenko va donc devoir trouver de nouveaux alliés pour tenter de changer le fonctionnement politique de ce pays. Et il devra réussir à trouver un équilibre difficile entre les réformes prônées par l’Union européenne et le refus de la Russie de voir l’Ukraine échapper de sa sphère d’influence.
par Olivier Bras
Article publié le 27/12/2004 Dernière mise à jour le 27/12/2004 à 15:25 TU