Ukraine
Iouchtchenko affiche sa confiance
(Photo : AFP)
Lors du premier débat électoral organisé fin novembre entre Viktor Iouchtchenko et Viktor Ianoukovitch, le Premier ministre ukrainien avait, de l’avis de tous les observateurs, fait forte impression. Plus d’un mois après, c’est un homme acculé, contraint de présenter publiquement ses excuses pour les «irrégularités durant cette campagne électorale», qui a tenté de défendre une dernière fois ses chances en vue du «nouveau» deuxième tour des élections présidentielles qui aura lieu dimanche en Ukraine. Le précédent avait vu le 21 novembre la victoire de Ianoukovitch mais les résultats de ce scrutin ont ensuite été invalidés par la justice ukrainienne.
Quatre semaines plus tard, la donne politique radicalement différente a permis à Viktor Iouchtchenko de se montrer beaucoup plus offensif et de marquer ainsi des points décisifs. «Je sais que je vais gagner (…) Vous êtes l’outsider, vous avez tout perdu», a assené Viktor Iouchtchenko dès le début du débat télévisé organisé lundi. «Il y a une seule raison pour ce nouveau débat aujourd'hui. C'est que le résultat de l'élection a été volé, plus de trois millions de voix ont été volées par mon adversaire et son équipe (...) On a essayé de nous voler notre avenir». Et le chef de l’opposition n’a pas hésité à accuser directement Viktor Ianoukovitch de ces fraudes massives. «Vous, en tant que chef du gouvernement (...), vous êtes entièrement responsable des falsifications du 21 novembre», a-t-il déclaré.
Face à ces accusations accablantes, le Premier ministre ukrainien n’a trouvé aucune parade, se contentant de comparer les manifestations de l’opposition à un véritable coup d’Etat. Et il n’a pu que demander pardon aux électeurs de l’opposition qu’il n’avait pas hésité à traiter de «connards» et de «rats oranges», une couleur associée au mouvement de protestation qui a gagné le pays au cours des dernières semaines.
Le numéro 2 des services secrets limogéLe Premier ministre a également adopté un discours fort différent sur un sujet extrêmement polémique, l’état de santé de Viktor Iouchtchenko. Lors du premier débat entre les deux hommes, il avait fait allusion à la mystérieuse maladie qui a défiguré son adversaire début septembre et avait laissé entendre que ce dernier ne serait peut-être pas en mesure, pour des raisons de santé, d’assumer la fonction présidentielle. Or, il a depuis été démontré que Viktor Iouchtchenko, âgé de 50 ans, a été victime d’un empoisonnement à la dioxine. Il était tombé gravement malade au lendemain d’un dîner qu’il avait partagé le 5 septembre avec Ihor Smechko, chef des services spéciaux ukrainiens (SBU) et son premier adjoint, Volodymyr Satsiouk.
L’acné chlorique qui grêle le visage de Iouchtchenko est l’une des séquelles les plus visibles de cet empoisonnement. S’il ne doute pas du fait qu’il a été victime d’une tentative de meurtre, il n’a cependant jamais nommé les auteurs de celle-ci. De son côté, M. Satsiouk a nié toute implication dans cette affaire. Mais la récente annonce de son limogeage par le président ukrainien Léonid Koutchma a renforcé les doutes qui pèsent sur lui. «Si le président a décidé d'empêcher une accumulation des pouvoirs (de député et d'adjoint du SBU), c'est une chose. Mais si on a vraiment essayé d'empoisonner (Iouchtchenko) et que Satsiouk a quelque chose à voir dans cette histoire, la raison de son limogeage n'est plus la même», a déclaré mardi le député Stepan Havrich alors que le Parlement ukrainien décidait de la création d’une commission d’enquête sur les motifs de ce limogeage.
La Russie prête à coopérer avec IouchtchenkoL’un des rares points sur lesquels les deux candidats rivaux ont parlé d’une même voix a été celui de la défense de l’intégrité territoriale de la Russie. L’état-major de campagne de Viktor Ianoukovitch n’a pourtant cessé d’alimenter au cours des dernières semaines des rumeurs de partition en cas de victoire du candidat de l’opposition, un réformateur modéré qui prône l’ouverture vers l’Occident. Et les positions radicalement différentes des deux hommes se sont reflétées dans la langue choisie par chaque candidat pour s’exprimer au cours du débat, Iouchtchenko ne parlant qu’en ukrainien, la langue officielle du pays depuis son indépendance en 1991, tandis que Viktor Ianoukovitch utilisait le russe pendant une grande partie de ce duel télévisé.
«Si vous pensez que vous deviendrez président de toute l'Ukraine vous vous trompez. Seulement d'une partie de l'Ukraine (...) Nous avons divisé l'Ukraine. Je veux que nous discutions ensemble de la façon de réunir l'Ukraine», a déclaré M. Ianoukovitch, donnant ainsi l’impression de se résoudre à la défaite. A son tour, le chef de l’opposition a également mis en garde le pays contre toute tentative de partition ou projet fédéraliste et a demandé à la population de préserver l’unité nationale. «Il est temps que le président de l’Ukraine indépendante ne soit plus élu par Moscou. Cela humilie l’Ukraine indépendante», a ajouté Viktor Iouchtchenko. Quelques heures plus tard, le président russe Vladimir Poutine lui répondait indirectement en expliquant que la Russie était prête à «coopérer» avec Viktor Iouchtchenko s'il remportait le second tour de l'élection présidentielle. «Iouchtchenko a aussi été un membre de l'équipe du président ukrainien sortant Léonid Koutchma. S'il gagne aussi, je n'aurai pas de problèmes» à travailler avec lui, a-t-il déclaré mardi. Tous les ingrédients semblent donc réunis pour que le chef de l’opposition puisse célébrer dimanche un large triomphe électoral acquis au terme de plusieurs mois d'une lutte politique ardue qui marqueront un tournant dans l’histoire de l’Ukraine.
par Olivier Bras
Article publié le 21/12/2004 Dernière mise à jour le 21/12/2004 à 15:10 TU