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Ukraine

Iouchtchenko empoisonné à la dioxine

Les médecins autrichiens qui ont examiné Viktor Iouchtchenko ont conclu samedi à un empoisonnement à la dioxine du chef de l'opposition ukrainienne. 

		(Photo : AFP)
Les médecins autrichiens qui ont examiné Viktor Iouchtchenko ont conclu samedi à un empoisonnement à la dioxine du chef de l'opposition ukrainienne.
(Photo : AFP)
«Il n'y a aucun doute sur le fait que la maladie a été provoquée par un empoisonnement à la dioxine», assure le docteur Michael Zimpfer, médecin-chef du Rudolfinerhaus, la clinique privée de la capitale autrichienne où le chef de file de l’opposition ukrainienne vient d’être à nouveau examiné. Le médecin viennois ajoute que la pathologie qui défigure Viktor Iouchtchenko est due à une «ingestion par voie orale» de la substance chimique utilisée, arme de guerre, notamment au Viet-Nam, et cause d’une intoxication à grande échelle dans la cité industrielle italienne de Seveso. Le candidat à la magistrature suprême dénonce un complot ourdi par le pouvoir et le docteur Zimpfer indique que le poison semble lui avoir été administré par «une tierce partie».
Après trois mois d'accusations et de démentis, le verdict de la clinique viennoise s’appuie sur des examens complets effectués dans la nuit de vendredi à samedi et impliquant la médecine nucléaire mais aussi sur les résultats d’analyses pratiquées la semaine dernière dans au moins deux laboratoires d'Europe occidentale. Le docteur Zimpfer retient la thèse d’un empoisonnement délibéré. Son bilan clinique ne fait pas surprise en Ukraine, mais il incite le Parquet général à rouvrir l’enquête pour tentative d'assassinat qui avait été refermée faute de preuves le 22 octobre dernier.

«Le but était sans doute mon meurtre»

En Occident, les résultats viennois confortent les soupçons sur les auteurs du mal qui a subitement frappé le candidat «orange» en septembre dernier, après un déjeuner avec un représentant des services de sécurité. «Ce qui s'est passé est un règlement de comptes contre un homme politique de l'opposition. Le but de cette opération était sans doute mon meurtre», répète Iouchtchenko, à la veille du nouveau round présidentiel concédé par le pouvoir, après l’annulation pour fraudes massives du scrutin du 21 novembre.

Confiant dans sa course à la magistrature suprême dont il revendique d’ailleurs déjà la victoire au deuxième tour, Iouchtchenko a promis de redistribuer les cartes des privatisations et de «mettre en prison les bandits» du pouvoir. Les marques purulentes qui grêlent son visage ont finalement renforcé cet argument de campagne. Il a usé de son «acné chlorique» comme d’un stigmate de son combat pro-occidental contre le pouvoir pro-russe, élargissant sa popularité bien mieux qu’il ne l’aurait sans doute fait sous ses traits réguliers de quinquagénaire soigné. Mais «point trop n’en faut» dans ce pays de «complotite» aiguë et d’assassinats feutrés, le mettent en garde certains de ses adversaires.

Le député Stepan Havrich, par exemple, voit un risque se profiler si «les radicaux dans l'entourage de Iouchtchenko cherchaient à médiatiser cette information en provoquant une nouvelle vague de tensions et d’accusations». Mais Iouchtchenko n’aura pas besoin de faire de la surenchère s’il gagne la bataille électorale à la fin du mois. En attendant, son adversaire, le Premier ministre Viktor Ianoukovitch, s’inquiète de servir de dindon à la farce ukrainienne après avoir été le dauphin du président sortant Leonid Koutchma et le poulain de Moscou. Il accuse désormais Iouchtchenko de collusion avec le pouvoir. «Quand cette opposition et ce pouvoir traître se sont unis et ont commencé à me battre, j'ai dit limogez-moi!, car ce n'est pas moi qui vais présenter ma démission», éructe Ianoukovitch.

Washington profondément inquiet

La pasionaria de l’opposition, Ioulia Timochenko, redoute pour sa part «que Koutchma et son équipe tentent de faire en sorte que la présidentielle n'ait pas lieu». Selon elle, «un groupe de juristes et politologues créé à la présidence travaillait à la réalisation de ce projet». De son côté, Washington s’est déclaré «profondément inquiet» après le verdict de la clinique viennoise. «Nous attendons une élection libre et juste le 26 décembre qui reflète la volonté du peuple ukrainien», précise le département d’Etat qui souhait un prompt rétablissement à Iouchtchenko.

«La dioxine n'est pas un poison à effet immédiat, l'empoisonnement se développe pendant des années, des dizaines d'années, et donc il est impossible qu'une dose reçue un jour cause l'empoisonnement le lendemain», explique, sur les antennes de l’Echo de Moscou, Iouri Ostapenko, chef du centre d'information en toxicologie auprès du ministère russe de la Santé. Pour sa part, le président russe, Vladimir Poutine a lui aussi fustigé sans relâche les accusations venues d’Europe et des Etats-Unis comme celle de «tontons en casque colonial» voulant régir les affaires internationales comme une «dictature enrobée d'une belle phraséologie pseudo-démocratique».

Vendredi, ce n’est pas sans ironie que Vladimir Poutine a concédé au Premier ministre espagnol José Luis Rodriguez Zapatero que «si l'Ukraine veut entrer dans l'Union européenne et qu'on l'y accueille, alors nous ne pourrons que nous en réjouir». En même temps, le président russe a souligné l’étroitesse des les liens économiques qui unissent son pays à l’Ukraine, ajoutant que «l'intégration de cette partie de notre économie russe à la structure européenne aurait un effet positif en Russie». Une perspective «peu probable dans les dix ans à venir» a-t-il conclu.

Pour sa part, Viktor Iouchtchenko repart en tournée électorale. Cette fois, il s’annonce dans l'est de l'Ukraine, la région minière et industrielle jadis hinterland de la Russie et jusqu’ici acquise à Viktor Ianoukovitch, qui bat lui-aussi campagne. Le candidat de l’opposition entend relever le double défi des terres pro-Russe et des effets de la dioxine. En effet, selon les experts, ce toxique hautement contaminant par voie alimentaire s’incruste dans les cellules. Iouchtchenko risque des maladies cardio-vasculaires, voire la destruction du foie. Mais il a décidé de jeter toutes ses forces dans la conquête de Kiev, où, selon lui, «le régime vit ses derniers jours».



par Monique  Mas

Article publié le 12/12/2004 Dernière mise à jour le 13/12/2004 à 11:34 TU

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