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Ouganda

La paix en retard

Carte de l'Ouganda. 

		(Cartographie: RFI)
Carte de l'Ouganda.
(Cartographie: RFI)
Vendredi, à Kitgum, dans le nord, gouvernement et Armée de résistance du seigneur (LRA) poursuivaient leurs tractations pour transformer leur trêve de fin d’année en cessez-le-feu. La signature annoncée est renvoyée sine die. Elle devait préluder à l’ouverture de pourparlers de paix après 18 ans de guerre civile. En discussion depuis mercredi, le texte d’accord concerne très classiquement les modalités d’application et de suivi d’un cessez-le-feu. Le chef de la délégation gouvernementale, le ministre ougandais de l'Intérieur, Ruhakana Rugunda, avait communiqué par téléphone un projet de texte aux rebelles de la LRA. Ces derniers ont soulevé «diverses questions». Le gouvernement a «fait des suggestions qui ont été amenées par hélicoptère aux rebelles», indique le ministre de l’Intérieur. L’Ouganda attend la réponse.
Ouganda: enfant-soldat. 

		(Photo: AFP)
Ouganda: enfant-soldat.
(Photo: AFP)

La nouvelle donne régionale - et en particulier l’accord de paix inter soudanais en voie de finalisation depuis 2002 - explique largement l’offre de pourparlers de paix faite à la mi-novembre par l’Armée de résistance du seigneur (LRA). Depuis 18 ans, celle-ci opère en effet dans le Nord ougandais à partir de ses bases arrières du Sud Soudan. Depuis 1988, la LRA se réclame des intérêts de la communauté acholi pour combattre le régime Museveni et prêcher, les armes à la main, l’instauration d’un régime théocratique inspiré par les dix commandements de la Bible. D’abord organisés derrière Alice Lakwena prêtresse vaudou d’un Mouvement du Saint-Esprit syncrétiste laminé par l'armée gouvernementale fin 1987, les combattants de la LRA sont aussi passés par l’Armée démocrate-chrétienne unie d'Ouganda (UDCA) levée par un parent de la mère fondatrice, Joseph Kony, un ancien enfant de chœur autoproclamé prophète.

Après des années de froid et même de gel diplomatique (en 1995) entre Kampala et Khartoum, qui s’accusaient respectivement, l’un de soutenir la LRA, l’autre de collusion avec l'Armée populaire de libération du Soudan (SPLA), les deux pays ont renoué en avril 2002. Depuis lors, Khartoum accorde à l’armée ougandaise le droit de poursuivre la LRA au Sud Soudan. Kampala a cru à une proche débandade de la rébellion, malgré les tentatives de cette dernière pour s’attaquer à l’Est du pays. C’était sans compter sur l’usure et la corruption qui règnent dans l’armée gouvernementale. La victoire n’était pas au rendez-vous ce qui n’a visiblement pas incité le président Yoweri Museveni a renoncer à ses options militaires, sauf à obtenir une reddition de la rébellion, bien sûr.

Museveni se déclare prêt à discuter avec le «terroriste» Kony

En acceptant l’invitation à discuter faite par le mouvement mystico-militaire, Museveni a exigé que son chef, le «terroriste» Joseph Kony, cantonne d’abord ses troupes. A cet effet, il a décrété une trêve, limitée dans le temps (du 14 novembre au 22 décembre) et limitée dans l’espace (sur une petite zone frontalière du Soudan). A la veille de Noël, sous la pression européenne et internationale, la trêve a été prorogée jusqu'au 31 décembre. Dans l’intervalle, le 28 décembre, des responsables du clergé et de l’administration du Nord ont rencontré une délégation rebelle dirigée par le porte-parole de la LRA, Sam Kolo, pour préparer le terrain du cessez-le-feu et l’ouverture de pourparlers de paix.

«Museveni a proposé de discuter directement avec Kony, si c'est ce qu'il veut, et si c'est ce qui doit permettre de mettre fin à la guerre dans le Nord», déclarait le 24 décembre le ministre de l'Information ougandais, Nsaba Buturo, tout en dénonçant des «allégations permanentes, à la fois en Ouganda et à l'étranger, selon lesquelles le gouvernement ne veut pas de pourparlers de paix, mais Museveni répond à ces critiques en proposant des discussions directes». Pour l’instant, elles ne sont pas encore au menu du président ougandais. Lui-même a régulièrement invoqué la légitime défense face à la LRA, surtout lorsque les bailleurs de fonds insistaient pour qu’il réduise un budget militaire gonflé par les aventures congolaises de Kampala. En décembre 2003, Museveni a également pris la justice internationale à témoin en saisissant la Cour pénale (CPI) des terribles exactions de la LRA.

Les attaques de la LRA ont tué des dizaines de milliers de civils, transformés quelque 1,6 million de paysans ougandais en fuyards. La rébellion a toujours considéré les camps de déplacés comme autant de réserves de nourriture et de pépinières d’enfants-soldats. Chaque soir, des milliers de petits ruraux tentent aujourd’hui encore de rallier le centre urbain où siège la garnison la plus proche pour tenter de se mettre à couvert des enlèvements perpétrés par la LRA. La rébellion manque de crédit, même dans la communauté acholi qu’elle prétend représenter, et plus largement dans l’univers mystico-chrétien de l’Ouganda profond. Elle recrute donc de force, avec une cruauté incommensurable, en particulier dans les camps de déplacés, les pensionnats et autres orphelinats, le tout dans un silence international fracassant alors que les ravages de la violence sont plus grands dans le Nord ougandais que dans le Darfour soudanais par exemple.

La rébellion devra répondre de ses exactions devant la justice internationale

Le 29 janvier 2004, le procureur de la Cour pénale internationale «a déterminé qu’il existait une base suffisante pour commencer à préparer la première enquête de la Cour». Celle-ci a été ouverte en juillet 2004 et, depuis novembre dernier, la CPI est fin prête à juger. Reste, comme elle le soulignait en recevant la requête de Museveni que «le principal problème sera de localiser et d’arrêter les dirigeants de l’Armée de résistance du seigneur». A l’instar des artisans du génocide rwandais, les principaux d’entre eux hésiteront sans doute à se risquer dans un univers plus civil sans se garantir de la justice internationale. Pour les autres, et en particulier les recrues forcées, la CPI note déjà que «de nombreux membres de a LRA sont eux-mêmes des victimes, ayant été enlevés et brutalisés par les dirigeants de cette armée. La réinsertion de ces personnes au sein de la société ougandaise est la clé de la stabilité future du nord du pays». C’est aussi ce que souhaite leur parentèle.

Pour sa part, Museveni a promis qu'il intercéderait en faveur des rebelles s'ils renoncent à la violence pour de bon, en clair, s’ils déposent les armes. De son côté, Joseph Kony a prudemment délégué Sam Kolo et une demi-douzaine de ses chefs de guerre aux négociations. A l’instar des civils qui continuent de payer le plus lourd des tributs, le pouvoir ougandais répète «nous voulons la paix. Nous voulons la fin de la guerre». Mais il rappelle aussi en leitmotiv qu’il n’hésitera pas non plus «à recourir à des moyens militaires». En la matière, Museveni a été à bonne école, dans les maquis mozambicain du Frelimo de feu Samora Machel, avant de prendre Kampala en 1986, après des lustres de guérilla contre Milton Obote. Joseph Koni se méfie de sa diplomatie de la carotte et du bâton. Tant qu’il avait des soutiens militaires puissants de l’autre côté de la frontière, le prophète président de la LRA exprimait d’ailleurs des ambitions nationales, sinon surnaturelles. Plus terre à terre, Museveni n’est guère plus partageux lorsqu’il est question de pouvoir.

«Si nous étions vraiment des tueurs, nous pourrions tous vous tuer, comme ça, pour rien», déclarait mercredi le porte-parole de la LRA, Sam Kolo, aux négociateurs qui terminaient à pieds leur dernier kilomètre de brousse pour le rencontrer. Mais, ajoutait-il «ce n'est pas notre but, nous voulons à 100% la paix». Reste à savoir la forme qu’elle prendra.


par Monique  Mas

Article publié le 31/12/2004 Dernière mise à jour le 31/12/2004 à 17:11 TU