Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Ouganda

Nouveau massacre dans un camp de déplacés

Le camp de déplacés qui a été attaqué samedi dernier par les rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur était gardé par des milices gouvernementales. Ces milices ont reçu seulement un mois de formation militaire avant d’être positionné sur le terrain pour garder les camps de déplacés et espionner les rebelles de l’Armé de résistance du Seigneur. En massacrant plus de 200 déplacés dans le camp de Barlonyo, les rebelles semblent avoir voulu encourager ces jeunes miliciens à quitter le sillage de l’armée.
De notre correspondant à Kampala.

Une femme marchait seul lundi après-midi dans le camp de déplacés de Barlonyo, à 28 kilomètre au Nord de Lira. Elle cherchait, dans les ruines fumantes, des traces de son mari et de ses deux enfants qui ont disparu durant le massacre de samedi dernier et qui seraient, lui a-t-on dit, déjà enterré dans une fosse commune. Un député de cette région, Charles Angiro, dit avoir compté 192 corps, essentiellement de femmes et d’enfants. Les victimes ont pour la plupart été brûlées vives ou découpées à la machette. De source concordante les rebelles de l’armée de résistance du Seigneur (LRA) ont attaqué ce camps qui hébergeait plus de 4000 déplacés, dès 17h30 samedi, puis, à la tombée de la nuit, ils ont brûlés une à une les huttes en torchis recouvertes de paille dans lesquelles les déplacés s’étaient enfermés.

Le camp de Barlonyo était gardé par une trentaine de jeunes miliciens locaux, formés à la hâte ces dernières semaines par l’armée ougandaise et équipés seulement de fusils automatiques. Au moins 11 de ces miliciens sont morts durant les combats. Les blessés ont été amenés par camions entiers dans l’hôpital de Lira, où beaucoup sont allongés à même le sol. Crânes ouverts à coups de machettes ou brisés au pilon, corps brûlés, pieds fracassés : la plupart des blessures sont le résultat d’armes blanches, mais plusieurs victimes sont blessés par balles ou par des éclats de grenades. Plusieurs blessés sont morts durant la nuit de dimanche, portant le nombre des victimes de ce dernier massacre à plus de 200.

Les miliciens qui gardaient, en vain, le camp de Barlonyo, sont l’ultime tentative de l’armée ougandaise pour reprendre le contrôle d’une population qui a perdu depuis longtemps toute confiance dans le gouvernement central. L’armée ougandaise a créé ces milices en juin 2003 dans l’espoir notamment de stopper l’avancée des rebelles vers l’Est du pays. Elle a formé depuis environ 30 000 miliciens. Inexpérimentés, ces jeunes gens sont des proies faciles face à des rebelles aguerris par 18 ans de guerre civile et puissamment armés. Des hommes politiques du Nord ainsi que des responsables religieux pensent ainsi que les rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur ont attaqué le camp de Barlonyo essentiellement pour effrayer ces jeunes miliciens et les dissuader de suivre l’armée.

Les rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur sont apparus il y a 18 ans en réaction à la prise de pouvoir par le président Museveni. Ils sont actifs essentiellement dans le Nord de l’Ouganda où près de deux millions de paysans ont été forcés par l’armée de vivre dans des camps où ils sont nourris par le Programme alimentaire mondial.

Des enfants forcés de participer aux tueries

La jeune Cour pénale internationale a récemment décidé, à la demande du président Museveni, d’ouvrir une enquête sur cette rébellion dont la cruauté est exemplaire. Mais cette annonce a soulevé des inquiétudes. Elle prend en effet le contre-pied d’une loi d’amnistie récemment prolongée par le Parlement ougandais et qui permet aux rebelles de la LRA de rendre les armes en échange non seulement de la liberté mais aussi d’un petit pécule. Cette démarche de pardon est soutenue par des bailleurs de fonds internationaux tels l’Union Européenne ainsi que par les églises les plus influentes du nord de l’Ouganda, à la tête desquelles, l’église catholique.

Mais le régime de Museveni et l’armée ont toujours privilégié, au contraire, une démarche agressive. Ainsi, le nord de l’Ouganda commençait à oublier les rebelles quand, en février 2002, l’armée ougandaise, profitant d’un réchauffement diplomatique entre Kampala et Khartoum, a lancée une vaste offensive contre les bases arrières de la LRA au Sud-Soudan. Les rebelles ont réagit en retournant dans le nord de l’Ouganda où ils ont multiplié les attaques contre les camps de déplacés et les véhicules.

En juin dernier, cette contre-offensive rebelle est parvenue jusqu’à Soroti, dans l’Est du pays, forçant le président Museveni à y délocaliser son état-major. Débordée, l’armée ougandaise fait appel à des mercenaires étrangers pour conduire ses hélicoptères de combats. Le résultat est lourd pour les civils. Car cette Armée de résistance du Seigneur n’est pas uniquement constitués de rebelles, loin de là. La majorité de ses combattants sont de jeunes enfants kidnappés dans les villages. Systématiquement terrorisés, ces enfants sont forcés de participer aux tueries et pour les plus chanceux, de partager au Sud-Soudan une vie d’exil et d’extrême misère. Plus de 20 000 enfants ont ainsi été kidnappés depuis de début des années 1990.

Joseph Kony, le créateur de l’Armée de résistance du Seigneur se présente comme un chef spirituel en dialogue avec les esprits. A travers lui, ces esprits ordonnent les tueries, les enlèvements, les punitions et les récompenses. Loin d’être un chef politique qui chercherait le pouvoir Joseph Kony se présente ainsi comme un vecteur de ce qui fut, à l’origine, le geste de défense d’un peuple qui constituait l’ossature de l’armée d’alors – celui des Acholi - contre la prise de pouvoir militaire du président Museveni en 1986, à la tête d’une armée d’enfants et de mercenaires. Mais comme toute rébellion qui dure, la LRA a sombré dans le cœur de ses supporters en devenant encore plus brutale et impopulaire aux yeux des Acholi que l’armée nationale.

A écouter également :

La réaction de Tony Tate, chercheur à Human Rights Watch, au micro de Laurent Correau (24/02/2004, 49")



par Gabriel  Kahn

Article publié le 23/02/2004 Dernière mise à jour le 22/02/2004 à 23:00 TU