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Ouganda

Quand les enfants font la guerre

Dans le Nord, les rebelles de l’Armée de résistance du Seigneur multiplient les attaques contre les camps de déplacés. Chaque soir, des dizaines de milliers d’enfants déferlent sur la ville de Gulu pour éviter d’être recrutés par les rebelles qui recrutent essentiellement au sein de la tranche des 8-14 ans.
De notre envoyé spécial à Gulu (nord de l’Ouganda)

A la tombée de la nuit, les rues de Gulu et les routes en terre qui relient la campagne à cette ville du nord de l’Ouganda se remplissent d’ombres. Dans la lumière des phares apparaissent les visages de milliers d’enfants et de femmes. Ils portent des sacs et des matelas sur la tête. Tous se dirigent, pieds nus, vers le centre ville. La plupart vont passer la nuit dans l’hôpital de Lacor, dirigés par des Italiens et où quelques larges tentes accueillent les marcheurs. Au début du mois, ils étaient plus de 42 000, principalement des enfants, à trouver refuge, chaque soir, dans cet hôpital.

«Ils viennent à Lacor parce qu’ils craignent d’être enlevés par les rebelles et amenés au loin pour être entraînés au combat», nous explique un homme qui aligne méthodiquement des croix dans un cahier d’écolier à chaque fois qu’une nouvelle famille passe par la porte de l’hôpital. A 20h, la pression des déplacés devient si forte qu’il doit ouvrir le portail.

Depuis l’apparition de l’Armée de résistance du seigneur (LRA), à la fin des années 1980 des dizaines de milliers d’enfants ont été enlevés par ces rebelles opposés au régime du président Museveni. Les rebelles enlèvent aussi bien les filles que les garçons mais surtout des enfants de 6 à 14 ans. Ils leurs apprennent à se servir d’une arme. Les filles sont données comme concubines aux chefs. Ces enlèvements devenus systématiques donnent un caractère particulièrement vicieux à cette guerre. En effet, ces enfants qui deviennent malgré eux les unités combattantes de la LRA, sont amenés parfois à attaquer des camps où leurs propres parents ont été déplacés par l’armée. Inversement, quand l’armée ougandaise attaque l’armée de résistance du Seigneur, elle tue essentiellement ces même enfants pris en otages et qui sont en première ligne. Sans oublier que l’armée ougandaise est accusée de recruter, elle aussi, des enfants…

Le régime islamique de Khartoum a apporté son soutien plusieurs années à ces rebelles ougandais pour contrer l’appui apporté par Kampala aux rebelles soudanais de la SPLA, qui cherchent à obtenir la sécession du Sud Soudan. Mais ce soutien a cessé l’année dernière à cause du rapprochement entre Khartoum et les États-Unis. Depuis, l’armée ougandaise est parvenue à prendre les bases arrières de la LRA au sud Soudan. Les rebelles ougandais, coupé de toute base de replis se sont dès lors dispersés dans le nord de l’Ouganda où ils multiplient depuis les attaques contre les camps de déplacés gardés par l’armée et les convois militaires. A chaque fois, ils prennent des otages qu’ils libèrent généralement quelques jours après.

Museveni mène personnellement les combats

Beaucoup sont amenés dans l’enceinte de Gusco, à Gulu, une ONG spécialisée dans l’accueil de ces rescapés. Ce jour là, les personnes libérés ont toutes environ 12 ans. Leurs robes sont déchirées. Leurs pieds couverts d’une terre blanche, séchée, mêlée à du sang sortis de milles petites cicatrices créées par de longues marches forcées dans la brousse. Elles sont sagement assises sur des bans en bois et attendent d’être enregistré par un employé de Gusco. Un deuxième groupe est arrivé à la tombée de la nuit à bord d’une camionnette blanche. Ce groupe là comprenait aussi quelques hommes, les épaules en sang.

Enlevés pour la plupart le mois dernier, à une centaine de kilomètres de là, dans la région de Kitgum, ils ont été forcés de porter des blessés sur leurs dos. Les jeunes filles ont quant à elle porté le butin et déclarent avoir été bien traitées. Poursuivis par l’armée ougandaise qui cherchait les rebelles, elles ont cependant craint de périr sous le feu cette même armée. Puis elles ont été relâchées, porteuses de messages de leurs ravisseurs. Ces messages disent essentiellement que les personnes qui vivent dans les camps de déplacés –soit plus d’un demi million d’âmes– doivent être relâchées par l’armée et que les ONG ne seront pas inquiétées si elles circulent sans escorte militaire. Pour les agences des Nations Unies, il s’agit là d’un nouveau dilemme, car elles sont obligées de collaborer avec le gouvernement et donc de se mouvoir avec l’armée.

Depuis le début du mois, le président ougandais dirige personnellement les opérations militaires contre la LRA depuis l’état-major de Gulu. Contrairement à la population du Nord du pays, qui subit cette guerre depuis 16 ans, Yoweri Museveni se dit confiant dans une victoire prochaine contre les rebelles. Son chef d’Etat major, le général Kazini, a même juré qu’il quitterait l’armée s’il ne parvenait pas à vaincre cette rébellion avant Noël.

Cependant les églises, dirigées par l’archevêque Odama et les chefs traditionnels du nord ont entamé le mois dernier des négociations avec les chefs de la LRA. Cette médiation, soutenue par les députés, a déjà permis un premier échange de lettre entre la LRA et le président Museveni.



par Gabriel  Kahn

Article publié le 15/08/2002