Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Cameroun

La sanglante mutinerie à la prison de Douala

Carte du Cameroun(Carte : DR)
Carte du Cameroun
(Carte : DR)
La mutinerie de la prison de New Bell à Douala, le 3 janvier, tire l’attention à nouveau sur la surpopulation dans les centres pénitentiaires du Cameroun, corollaire de l’insécurité galopante dans les grandes agglomérations. La prison centrale de Douala, dans le quartier New Bell a été le théâtre d’une mutinerie le 3 janvier. Des groupes de détenus se sont affrontés faisant un mort, avant de subir la répression des gardiens qui ont ouvert le feu pour ramener le calme. Au terme des affrontements, et selon un communiqué officiel les tirs des gardiens auraient fait quatre morts supplémentaires parmi les prisonniers.

Une querelle entre détenus aurait entraîné des bagarres qui ont dégénéré en affrontements meurtriers. Un groupe de « supers détenus », surnommés des « anti-gangs », en fait une trentaine de prisonniers désignés par l’administration pénitentiaire pour surveiller leurs compères ont été pris à partie par des détenus qui les accusaient d’avoir infligé une trop sévère punition à un autre détenu. La réaction des détenus « ordinaires » a été violente au point de faire un mort parmi les « anti-gangs » et plusieurs blessés. Dans une confusion générale certains détenus ont tenté de prendre la clé des champs et d’autres ont investi le quartier réservé aux femmes. Les gardiens de prison ont alors fait usage de leurs armes tuant cinq détenus et faisant de nombreux blessés. Les autorités politiques de la province se sont rendus sur les lieux en fin d’après pour constater un retour au calme mais qui ne résout aucun problème.

Le premier des problèmes de la prison centrale de Douala est la surpopulation. Vieille de plus  de quarante ans, elle avait été conçue pour accueillir 800 personnes, mais aujourd’hui ce sont 3 000  détenus qui y sont entassés. Déjà en 2003, un membre du gouvernement, et non des moindres, Marafa Hamidou Yaya, ministre d’Etat chargé de l’Administration territoriale et de la décentralisation, avait visité la prison de New Bell à Douala, les bras chargés « de cartons d’huile, de poissons frais, de sacs de riz, de savons, de serviettes hygiéniques pour les femmes et des denrées de première nécessité », comme le rapporte le journal Le Messager, qui a perçu dans les préoccupations du ministre d’Etat, le souci d’apporter un peu d’humanisme dans cet univers carcéral. Le surpeuplement dans les prisons camerounaises est donc un problème récurrent qui a souvent fait l’objet d’études diverses.

Rechercher les vraies raisons

Le premier constat, est celui de la lenteur des procédures de jugement. Il n’est pas rare de noter que dans les principales prisons du pays, seulement le quart des détenus est jugé en une année. L’appareil judiciaire se défend en évoquant le manque de moyens et de personnels pour instruire les dossiers, pendant que la délinquance est en progression constante et régulière. La police et la gendarmerie se disent elles-aussi débordées et réclament des moyens. Leurs revendications ont été prises en compte par les pouvoirs publics qui ont lancé en 2002 un plan de ré-organisation de la Police nationale. Des commissariats centraux, d’arrondissements et des antennes de quartier sont créés pour faire baisser l’insécurité dans les grandes agglomérations. Mais la peur du gendarme n’a pas pleinement fonctionné offrant au projet de prévention de la délinquance urbaine un succès mitigé. L’insécurité est grandissante d’année en année et les arrestations se sont démultipliées.

Pour de nombreux observateurs, la politique « sécuritaire » conduite par les pouvoirs publics ne pouvaient donner des résultats satisfaisants. A l’origine de la violence dans les villes, ils ont d’abord parlé de la pauvreté, du chômage et du sentiment d’exclusion que vivent les populations. Par ailleurs, la paupérisation des classes moyennes a conduit à une corruption généralisée qui a trouvé des relais dans les institutions de la République, en uniforme et en arme. Les évêques du Cameroun ont alors publié des déclarations pour appeler à la responsabilité de ceux qui reçoivent une mission de nation : assurer la sécurité des biens et des personnes. « La déclaration des évêques n’est pas dirigée contre les personnes qui combattent l’insécurité mais contre les dérapages et même l’insécurité créée par ces personnes là », avait lancé, il y a quelques années, monseigneur Antoine Ntalou, archevêque de Garoua, sur Cameroun-info.net.

Mais la logique des pouvoirs publics reste tenace sur la capacité de la « police de proximité » à inverser la tendance. La politique de recrutement dans les écoles de formation de la police est soutenue au début des années 2000, mais très rapidement les limites de cette politique sont apparues. La formation prévue sur deux années est ramenée à neuf mois avec une réduction considérable des effectifs. Mêmes causes, mêmes effets. Dans l’administration pénitentiaire on manque de personnel, au point de désigner des détenus qui surveillent d’autres détenus. Dotés de pouvoirs réels, certains détiendraient des armes et les dérapages du début d’année à la prison de New Bell à Douala y trouveraient un début d’explication.      


par Didier  Samson

Article publié le 06/01/2005 Dernière mise à jour le 06/01/2005 à 18:41 TU