Tsunami et le séisme en Asie
La guerre continue à Aceh
(Photo : AFP)
Quand les habitants de Krung-raya ont vu la mer se retirer du port, ils ont compris qu´il fallait s´enfuir. Alors, ils ont couru, couru aussi vite qu´il pouvait vers les collines. Elles frangent ce petit village de pêcheurs de trois milles habitants situé à une quarantaine de kilomètres de Banda Aceh, la capitale de la province du Nord de Sumatra. Le tiers d´entre eux n´ira pas assez vite. Il sera happé, broyé ou noyé par une vague de dix mètres haut. Dix jours plus tard, une trentaine de gamins pêchent à la ligne sur la jetée, une plate-forme de béton armée, le seul édifice qui a résisté au choc. Ils jettent un fil et un hameçon dans l´eau clair pour en ressortir des petits poissons, semblables à des sardines. Quelques bateaux, qui ont survécu au raz de marée, mouillent à une centaine de mètres de là. Mais les pêcheurs ne sont plus très nombreux à prendre le large. Car le Tsunami n´a pas laissé que des ruines : « J´ai peur de voir courir les fantômes sur la mer, j´ai peur que ceux qui sont morts reviennent», explique Samsul, encore traumatisé. « Il faudra plusieurs semaines, plusieurs mois peut être, pour que les mauvais esprits se détachent de la mer », ajoute le jeune homme d´une trentaine d´années.
En attendant, il se fera maçon, comme tous autres les pêcheurs de Krung-Raya. Il reconstruira sa maison un peu plus haut sur la colline, à l´abri des prochains caprices de la mer. Pas sur cependant que les militaires indonésiens y consentent. Les collines de Krung-raya sont les premières hauteurs d´une petite chaîne de montagne recouverte par la jungle, une zone que le GAM, Mouvement Aceh Libre, contrôle presque entièrement. « Nous avons reçu l´ordre de nous préparer a une attaque », explique un soldat, doigt sur la gâchette et protégé par un gilet pare-balle qu´il ne quitte jamais hors de sa base. Le GAM lutte depuis une trentaine d´années pour l´indépendance d´une province que l´Etat indonésien ne veut pas lâcher en raison des ressources en pétrole qu´elle abrite. Ce conflit, le plus vieux d´Asie du Sud-Est, a déjà fait près 12 000 morts. Un processus de paix avait été lancé en décembre 2002 mais les « durs » de l´institution militaire indonésienne ont tout mis en oeuvre pour le faire échouer, estimant qu´une négociation conduirait immanquablement à un vote d´autodétermination aux résultats très incertains.
Personne ne respecte la trêveLes combats ont repris en mai 2003, avec l´instauration de la loi martiale et l´interdiction à la presse de se rendre dans la région. Les séparatistes ont subi de lourdes pertes mais ils restent maîtres des zones rurales et de la jungle. Au lendemain de la catastrophe, les deux parties ont décrété une trêve, spontanément et sans se consulter. Mais sur le terrain, les accrochages se multiplient. « J´entends des coups de feu presque toutes les nuits », affirme Lely qui habite dans la zone cruciale de l´aéroport de Banda Aceh. « La route qui mène à mon village, est redevenue comme avant, elle n´est pas sûre », confirme Relmo, un chauffeur de taxi. « Les militaires ont dressé des barrages sur les routes, ils sont très agressifs, ils nous suspectent tous de travailler pour le GAM », ajoute l´homme dont le village a toujours été considéré comme une base de ravitaillement des séparatistes. Chaque partie s´accuse aujourd´hui mutuellement de tirer profit du chaos qui règnent dans la province. Les militaires accusent le GAM de voler les colis humanitaires tandis que les indépendantistes suspectent le gouvernement indonésien de vouloir maintenir les populations rurales, qui lui sont acquises, dans les centres d´évacuation.
En attendant, les réfugiés attendent toujours l´aide massive que leur a promise la communauté internationale et qui n´arrive pour l´instant qu´au compte-gouttes. « Le tsunami ouvre une ère nouvelle dans ce conflit », explique le responsable d´une ONG internationale, qui travaille depuis plusieurs années sur la région. La population achénaise était plutôt acquise au GAM à cause des exactions de l´armée indonésienne. Mais la situation pourrait changer en fonction de l´attitude que chacun des deux camps adoptera dans les prochains mois. Les gens sont dans le deuil. Ils s´uniront contre celui qu´ils rendront responsables d´ajouter une autre douleur à leur souffrance.
par Jocelyn Grange
Article publié le 09/01/2005 Dernière mise à jour le 09/01/2005 à 14:18 TU