Mexique
Prison sous surveillance militaire
(Photo : AFP)
Après l’assassinat d’Arturo Guzman, le frère du chef du cartel de Juarez, abattu par ses ennemis le 31 décembre dernier, dans les quartiers de haute sécurité de la prison de La Palma, les Mexicains s’interrogent sur leurs prisons. Ce meurtre en plein jour a mis une nouvelle fois en relief le dysfonctionnement du système pénitentiaire mexicain. Il révèle les connivences qui existent entre les trafiquants de drogue et l’administration. Si les armes peuvent entrer dans cette prison, on s’imagine aisément ce qui peut s’y passer.
La lutte frontale contre les cartels de la drogue a permis, en quatre ans, l’arrestation de 1 532 chefs de bande et de 27 500 trafiquants. Des prisons ultramodernes ont été construites pour les enfermer mais les lois et les règlements datent de la Révolution de 1910 et les prisons mexicaines restent les plus laxistes d’Amérique.
Un règlement intérieur sur mesure
Ce n’est donc pas la première fois que les barons de la drogue, au pouvoir de corruption immense, prennent le contrôle interne de leur prison comme ils viennent de le faire à La Palma. La direction savait pertinemment que dans la prison Osiel Cardenas, le chef du cartel du Golfe est entouré de 37 gardes du corps armés, qu’Arellano Felix, le chef du cartel de Tijuana règle ses affaires par téléphone cellulaire, que Caro Quintero qui purge une peine de 90 ans pour l’assassinat d’un agent de la DEA, passe 12 h par jour dans les parloirs avec de pseudo-avocats, et que tous trois bénéficient bien sûr des enviables visites conjugales. Comment aurait-il pu en être autrement lorsque l’on voit sur les vidéos filmées par les cameras internes, le directeur de la prison recevoir cordialement les barons de la drogue dans son bureau pour la nouvelle année ! En un mot, ils étaient devenus les véritables maîtres de la prison de La Palma.
Tout cela aurait sans doute pu continuer tranquillement si Arturo Guzman n’avait pas été assassiné. Les barons en prison voulaient lancer un avertissement au cartel de Juarez que dirige El Chapo Guzman car celui-ci, en liberté après une évasion spectaculaire, tente de s’emparer de leurs territoires. Les autorités pénitentiaires avaient été prévenues de ce règlement de compte à l’intérieur de la prison lorsque les avocats de Guzman avaient réclamé au Procureur général une meilleure protection pour leur client, mais trop corrompues, celles-ci n’ont pas réagi.
Dispositif militaire
Après cet assassinat, les autorités mexicaines, mal à l’aise, ont été contraintes à intervenir. A 5 heures du matin, 750 militaires et policiers ont pris d’assaut la prison de La Palma qui a été encerclée par une quinzaine d’automitrailleuses et de tanks afin d’éviter toute tentative d’évasion. 400 agents des forces spéciales ont réveillé les détenus et passé au peigne fin les cellules. Armes, cocaïne, vidéo, télévision à écran plasma, portables, cafetières électriques et autres articles non permis par le règlement ont été confisqués. L’autorité militaire a distribué de nouveaux uniformes aux détenus. Elle a fait bloquer le signal des téléphones portables tout autour de La Palma. Et pour désarticuler la structure criminelle mise en place, les prisonniers les plus dangereux ont été transférés dans le pénitencier de Puente Grande, sauf …. Osiel Cardenas et Benjamin Arrellano Felix, leurs avocats ayant trouvé l’argument juridique interdisant de les changer de prison !
Le recours à l’armée pour remplir des taches réservées aux civils est inconstitutionnel mais le gouvernement est passé outre pour l’urgence car il craignait qu’une grève de la faim déclenchée la veille par les détenus n’ait été en fait une manœuvre pour que dans une confusion, les barons de la drogue puissent s’échapper par la grande porte.
Le ministre de l’Intérieur, son chef de la sécurité publique, son procureur général ont offert de multiples conférences de presse, sont passés aux journaux télévisés pour rassurer la population. Chacun à sa manière a assuré que La Palma était sous contrôle et a promis que le système pénitencier serait réformé, que le règlement serait appliqué d’une main dure et que le personnel serait formé de manière plus professionnelle. Des déclarations qui font sourire les Mexicains qui entendent ce même discours depuis bientôt vingt ans.
Le problème de fond est la montée en puissance des cartels de la drogue qui sont parvenus à gangrener toutes les structures de l’Etat. Sans une refonte des institutions juridiques que réclame la société civile, l’état de droit ne pourra être rétabli. C’est, après quatre ans de présidence de Vicente Fox, un cuisant constat d’échec.
par Patrice Gouy
Article publié le 20/01/2005 Dernière mise à jour le 20/01/2005 à 11:35 TU