Irak
Mobilisation en faveur de Florence Aubenas
(Photo : AFP)
Jeudi 20 janvier à dix heures, Dalil Boubakeur a solennellement accueilli à la Grande mosquée de Paris, devant la presse, Benoît Aubenas, père de Florence Aubenas, Antoine de Gaudemar, directeur du quotidien Libération pour lequel la journaliste travaille, Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières, Georges Malbrunot et Mohammed Al Joundi –deux des trois ex-otages pour lesquels la communauté musulmane de France s’était, durant leur détention, fortement mobilisée en demandant la libération; étaient également présents François Bayrou, président de l’UDF, Bertrand Delanoë, maire de Paris, et Leïla Chahid, déléguée générale de la Palestine à Paris. Dans un communiqué, le Conseil des démocrates musulmans de France (CDMF) a fait savoir qu’il était associé à cette journée de mobilisation: «nous souhaitons profiter de l’occasion de l’Aïd que célèbrent tous les musulmans à travers le monde pour appeler tous ensemble et d’une seule voix à la libération immédiate et inconditionnelle de Florence et d’Hussein».
Appel au «respect des journalistes dont la protection est vitale pour nos démocraties»
Pour Dalil Boubakeur, cette mobilisation tombait sous le sceau de l’évidence: «C’est tout à fait normal d’accueillir cette réunion. Nous lançons un appel unanime à toutes les consciences qui peuvent de près ou de loin contribuer à libérer très rapidement la journaliste très estimée, et son collaborateur. Nous en appelons au respect de la vie humaine conformément à l’islam. Nous ne pouvons rester indifférents devant cette série de prises d’otages de journalistes français, (en appelant) au respect et à la protection des journalistes, hommes et femmes de courage dont la protection est vitale pour nos démocraties». Il a insisté: «La nation toute entière s’inquiète du sort de Florence Aubenas et d’Hussein Al-Saadi, et nous, musulmans de France, partie intégrante de la nation, nous exprimons notre même inquiétude et compassion ». .
Dalil Boubakeur, après avoir souhaité une bonne fête aux musulmans, et souligné que les «trois religions monothéistes se retrouvent toutes dans la symbolique abrahamique du sacrifice», a dénoncé «le viol de la liberté humaine» avec des «procédés indignes et abjects et lâches du chantage et de la prise d’otage». Il a fortement insisté sur «l’attachement des musulmans de France aux valeurs de la République, leur civisme participatif dans l’ensemble de la nation française unie et toujours réunie dans les moments de difficulté». Après avoir salué le retour heureux des trois anciens otages, Christian Chesnot, Georges Malbrunot et de Mohammed Al Joundi, il s’est exprimé avec vigueur: «En ce jour de pardon, de solidarité et de fraternité humaine et de compassion, en présence de Benoît Aubenas, père de Florence et de tous ses collègues, nous tenons à manifester la même réprobation, la même condamnation du procédé inqualifiable et indigne de l’islam que constitue la prise d’un otage, et en particulier d’une femme». Ces prises de position sans ambiguïté ont été relayées par l’ensemble de la communauté musulmane, représentée également par le président du Conseil des démocrates musulmans, Abderrahmane Dahmane qui a évoqué les «valeurs fondamentales de la République», et qui a déclaré: «Tout le monde a entendu cet appel, y compris dans d’autres mosquées».
Voix de femmes et de mèresLeïla Chahid, très applaudie, a affirmé, au nom de tous les Palestiniens, sa solidarité : «Je crois que la presse et le travail des journalistes c’est la conscience du monde entier à l’égard du drame que vit aujourd’hui le peuple irakien (…) C’est à nous citoyens dans le monde arabe à nous mobiliser et de soutenir tous les efforts pour que votre fille, Monsieur Aubenas, (…) soit libérée. Il y va de notre honneur. Il est primordial que toute l’opinion du monde arabe, gouvernement et citoyens se mobilisent. La liberté de la presse est aussi de notre responsabilité». La présidente de l’Union française des femmes musulmanes est aussi intervenue pour une prière à la libération de Florence, «Nous appelons les preneurs d’otage, au nom de Dieu, à relâcher notre fille Florence, comme nous l’avons fait pour nos fils à Beyrouth, (…) nous le faisons en tant que mères». Cette voix de femme faisait écho aux déclarations émouvantes de la mère de Florence qui s’est associée par téléphone à cette réunion pour dire «avec (son) infinie tendresse, (son) immense angoisse, et toute (sa) reconnaissance à tous ceux qui luttent pour Florence et tous ceux qui revendiquent un islam ouvert et généreux ».
«La libération des otages c’est aussi notre affaire», mobilisons-nous davantage !
François Bayrou et Robert Ménard, quant à eux, ont mis l’accent sur une mobilisation relativement amollie ces derniers quinze jours, comparativement à l’élan général dont ont bénéficié les otages précédents. François Bayrou a déclaré : «Je veux le dire franchement, on ne parle pas assez de la détention et de l’enlèvement de Florence Aubenas et de son accompagnateur. La solidarité, la mobilisation, l’émotion, l’indication, la parole sont des armes (…) il faut que la chaîne de solidarité que nous avons forgée au moment des précédents enlèvements se reforme».
Robert Ménard s’est appuyé sur les vœux présidentiels de Jacques Chirac qui avait déclaré: «la mobilisation participe de la libération», pour souligner: «ne sous-estimons pas les choses, cela peut durer». Remerciant les musulmans de France, mais aussi l’ensemble de la population qui les a soutenus, Georges Malbrunot a reconnu que «cette mobilisation avait été très précieuse (…) et il faut absolument que vous soyez présents comme vous l’avez été auprès de nous. Florence n’est coupable d’aucune négligence, elle est simplement victime du chaos en Irak». Georges Malbrunot a par ailleurs attesté: «la chose qui a le plus troublé nos preneurs d’otages, c’est de constater que des musulmans en France condamnaient ce qu’eux faisaient en Irak. Il faut le dire de façon massive».
Hors tribune, Robert Ménard s’est exprimé sur cette difficile mise en place de la mobilisation, en évoquant différents facteurs: «l’usure liée à quatre mois de mobilisation pour Christian, Georges et Mohammed, usure contre laquelle il faut lutter; le tragique raz-de-marée qui a fortement traumatisé tout le monde; (ajoutant) on ne connaît aucune revendication, ça rend les choses encore plus compliquées, sans compter qu’il faut cesser de dire ‘c’est trop dangereux, les journalistes ne doivent plus aller sur le terrain’ : ça a l’air de quoi ? dire que les journalistes sont irresponsables ? Non ! c’est essentiel qu’ils y aillent, et c’est inacceptable d’entendre cela ! ».
Pas encore d’hypothèse crédibleCeci étant, à ce jour, parler de preneur d’otage est déjà beaucoup s’avancer sur les causes d’une disparition pour laquelle on ne dispose pas d’éléments. On sait simplement que les otages n’ont plus donné de nouvelles depuis qu’ils ont quitté l’hôtel Mansour à Bagdad, en laissant le cellulaire sur place : seul indice de ce qu’ils n’avaient pas l’intention de quitter Bagdad. Aucune information ne permet de privilégier une thèse plutôt qu’une autre, a indiqué en substance le porte-parole du ministère de la Défense Jean-François Bureau, pour qui les «informations sont très fragmentaires», mais assurant par ailleurs que «toutes les sources d’information sont mobilisées».
Antoine de Gaudemar, indiquait lundi, et confirmait aujourd’hui: «A l’heure où l’on est, il y a deux hypothèses, une hypothèse politique, et une autre criminelle. Mais on n’a que des supputations et pas d’éléments indiscutables». Antoine de Gaudemar et Robert Ménard ont affirmé également qu’ils réfléchissaient à différentes opérations pour mobiliser l’opinion.
Le 18 janvier, soixante intellectuels et artistes arabes avaient déjà appelé dans un texte commun publié mardi à Paris à la libération de la journaliste et de son interprète : «nous appelons les ravisseurs à les libérer sans tarder (…). Cette libération permettra d’éviter de brouiller davntage l’image de l’Homme arabe, et de cesser de nuire à ses causes justes ainsi qu’à ses relations avec le monde, notamment avec la France qui se tient depuis toujours, gouvernement et peuple, du côté de la légitimité et du droit international», avaient déclaré les signataires réunis à l’initiative de Nabil Abou-Chacra, président du Forum culturel libanais, dont le siège est à Paris.
par Dominique Raizon
Article publié le 20/01/2005 Dernière mise à jour le 21/01/2005 à 17:33 TU