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Justice

Vers une révision de l’affaire Seznec

Denis Seznec, petit-fils de Guillaume Seznec et son épouse 

		(Photo : AFP)
Denis Seznec, petit-fils de Guillaume Seznec et son épouse
(Photo : AFP)
Lundi 24 janvier 2005, s’est ouverte la 14ème requête en révision, par la commission de révision des condamnations pénales (après treize rejetées dans le passé), de la condamnation aux travaux forcés de Guillaume Seznec, accusé de meurtre. C’était en 1924, et le doute plane depuis plus de 80 ans sur ce dossier criminel, Guillaume Seznec ayant toujours clamé son innocence. Denis Le Her-Seznec, petit-fils du condamné, a repris le flambeau pour que son grand-père, mort en 1953, soit réhabilité. Cas unique dans les annales judiciaires, la nouvelle requête en révision avait été préparée par la Chancellerie en 2001, à l’époque où Marilyse Lebranchu, ancienne élue de Morlaix, était garde des Sceaux. Lundi, l’avocat général, Jean-Yves Launay, s’est dit «totalement convaincu de (l’) innocence (de Guillaume Seznec)», à la suite de quoi l’actuel garde des Sceaux, Dominique Perben, a souligné que la multiplication de ce type de procédures marquait, pour la Justice, «une évolution vers une plus grande transparence».

Au fondement de la demande examinée lundi, les avocats de la famille Seznec, Maîtres Bredin et Baudelot, ont présenté de nouveaux témoignages. Parmi les deux nouvelles pièces du dossier, le témoignage d’une résistante, Colette Noll, arrêtée en 1944, et déportée à Ravensbrück: elle s’est souvenue d’un certain Gherdi, -cité lors de son procès par Seznec lui-même comme un homme avec qui la victime, Pierre Quémeneur, avait rendez-vous à Paris, et qui, resté introuvable au moment de l’enquête, avait été considéré comme «une invention de l’accusé». Lundi, Colette Noll a accusé ce dénommé Gherdi de l’avoir dénoncée aux Allemands, et a signalé ses rapports avec l’inspecteur de police, Pierre Bonny, à l’époque cheville ouvrière de l’enquête. L’autre nouvelle pièce du dossier est un témoignage produit par Marilyse Lebranchu, d’un homme auditionné en 1946 et 1956, qui disait avoir entendu, alors qu’il se trouvait dans les toilettes d’un café, Bonny et un autre homme évoquer un meurtre.

La thèse du complot ourdi contre Seznec

Le lien démontré par ces nouveaux éléments du dossier permettrait alors de renforcer la thèse d’un complot ourdi contre Guillaume Seznec, condamné aux travaux forcés à perpétuité, et envoyé à Saint-Laurent-du-Maroni en Guyane en 1924, et gracié en 1947 pour bonne conduite. «Je suis totalement convaincu de l’innocence de Guillaume Seznec sans être persuadé de détenir la vérité. Il s’agit d’une affaire dramatique dans ses conséquences humaines et désastreuse pour l’image de la Justice», a affirmé lundi Jean-Yves Launay, représentant du parquet général, au terme de plus de trois heures de conclusions devant la commission de révision.

Montage de photos de Guillaume Seznec, en 1951 (D) et dans les années 20.
(Photo : AFP)
Guillaume Seznec, négociant en bois à Morlaix (Finistère), était, dans les faits, condamné au bagne pour le meurtre d’un conseiller général, Pierre Quémeneur, un ami avec lequel il avait pris la route de Paris le 25 mai 1923, et dont le corps n’a jamais été retrouvé. Bien que Guillaume Seznec ait toujours clamé son innocence, la cour d’assises avait conclu en 1924 que Seznec avait agi pour s’approprier, pour une somme dérisoire, un domaine appartenant à Quémeneur. La cour s’était appuyée sur  une enquête policière mettant en avant de faux actes de vente, et une machine à écrire saisie au domicile de Seznec.

Mais très vite en fait, la thèse du complot a affleuré:  enquête entachée de soupçons, et justice ne disposant ni de corps, ni d’aveu, ni de témoins, ni d’éléments précis sur les circonstances, ni d’arme du crime présumé. La révocation de la police, en 1935, de Pierre Bonny, au motif d’ agissements douteux dans des scandales de la IIIème République, puis son exécution à la Libération, en 1945, pour avoir travaillé pour la Gestapo sous l’Occupation, jettent le trouble sur le charisme de l’inspecteur. D’où l’hypothèse qu’en désignant Seznec comme coupable, Pierre Bonny pourrait avoir agi pour couvrir un certain Gherdi, dont il aurait été proche, et qui aurait mené avec Quémeneur des affaires douteuses de ventes d’automobiles américaines entre la France et la Russie.

Failles, omissions, voire falsifications

L’accusation aurait donc porté à l’époque sur un crime crapuleux commis par Seznec pour une vile convoitise de propriété dans les Côtes d’Armor dudit Quémeneur. Mais, si le rapport d’expertise conclut que les faux actes ont bien été tapés sur la machine à écrire retrouvée chez l’accusé, rien n’assure pour autant que Seznec en soit l’auteur, même si des témoignages invérifiables de graphologues l’accablent. Qui plus est, la mort de ce dernier à Paris en 1953, renversé par une voiture qui prendra aussitôt la fuite, conforte la suspicion, renforcée également par les réticences et les atermoiements du pouvoir politique face à l’affaire. Autre élément troublant: jamais ne sera pris en considération le regret exprimé à son fils par Bonny lui-même, peu avant son exécution, d’avoir «fait envoyer au bagne un innocent».

Avec le temps, failles et omissions, voire falsifications de l’enquête font de Seznec un «coupable idéal», mais l’affaire interpelle plusieurs magistrats, hommes politiques et journalistes. Déjà le procès devant la cour d’assises du Finistère, du 24 octobre au 4 novembre 1924, s’était déroulée dans une salle archi-comble car, comme l’affaire Dreyfus, l’histoire avait tout de suite déchaîné les passions, entre les pro- et les anti-Seznec, condamné «sur de simples présomptions» sur un fond de machination policière destinée à couvrir un secret d’Etat: «la réalité dépasse bien souvent la fiction», a souligné Jean-Yves Launay: «C’est une des plus mystérieuses énigmes policières et judiciaires de l’entre-deux guerres». En 1989, les élus bretons suivis par 500 députés et sénateurs réclamaient la révision du procès. «Vous avez compris que la terrible injustice qui a broyé les miens n’est pas le résultat d’un simple fait divers (…). L’affaire Seznec a été une machination», avait écrit Denis Seznec au metteur en scène de L’affaire Seznec, ou le combat contre les ombres, après le rejet en 1996 d’une requête en révision.

«extraordinaire, un hommage incroyable rendu à mon grand-père»

Dénonçant les procédures passées, et le fait que la Justice n’avait pas tenu compte des dénégations de l’accusé, et préféré se baser sur une enquête policière qui, dès le départ, s’était focalisée sur lui, Jean-Yves Launay a demandé à la commission de saisir la chambre criminelle de la Cour de cassation qui pourra «décharger la mémoire de Guillaume Seznec de sa culpabilité»: «C’est la première fois qu’un haut magistrat prend cette position dans ce dossier. C’est un moment historique, c’est extraordinaire, un hommage incroyable a été rendu à mon grand-père», a dit Denis Le Her-Seznec, petit-fils du condamné. La décision de la commission de révisions devrait ensuite être mise en délibéré le 11 avril. Si elle se prononce favorablement, l’affaire sera à nouveau jugée par la chambre criminelle de la Cour de cassation qui siègera comme une cour de révision.

L’avocat général a souligné: «On sait combien d’affaires célèbres n’ont pas pu être élucidées en raison d’un mauvais départ. Il était logique que Seznec soit suspect, mais un parmi d’autres». Le garde des Sceaux, interrogé sur les réquisitions du parquet en faveur d’une révision du procès Seznec, a déclaré: «Il y a une cinquantaine d’années, la justice avait du mal à se remettre en question, et il me semble qu’aujourd’hui les choses sont différentes. Il y a des révisions qui ont été ordonnées et qui ont abouti, je pense notamment à l’affaire Patrick Dils. C’est cela qu’il faut saluer, une évolution vers une plus grande transparence».



par Dominique  Raizon

Article publié le 25/01/2005 Dernière mise à jour le 25/01/2005 à 17:51 TU