Procès d’Outreau
Les acquittés demandent réparation
(Photo : AFP)
Rarement procès aura suscité autant d’émotion. Et pour cause. L’affaire en elle-même était terrifiante puisqu’elle portait sur des viols de jeunes enfants dans lesquels les parents des victimes, mais aussi des membres de l’entourage immédiat, étaient impliqués. En tout dix-sept personnes ont comparu devant la justice, pour la plupart après avoir passé près de deux ans en détention provisoire à l’issue d’une instruction entièrement basée sur les témoignages des petites victimes et les accusations de la mère de certaines d’entre elles, elle-même impliquée dans les viols.
Le procès d’Outreau, du nom de la petite ville du Nord de la France dans laquelle se sont déroulés les faits, avait donc tous les ingrédients requis pour permettre la mise au jour d’un réseau local de pédophiles, glauque à souhait. Mais au bout de quelques audiences à peine, ce procès est au contraire devenu le révélateur de ce qui pourrait bien être une très grave erreur judiciaire. Les rétractations de la principale accusée ont fait apparaître les lacunes du dossier et l’absence de preuves contre des prévenus, qui n’avaient cessé pendant plusieurs années de clamer leur innocence. Au bout du compte pourtant, le verdict du jury a été à l’image de l’affaire : mi-figue, mi-raisin. Au-delà des quatre accusés qui ont reconnu leur culpabilité et ont été lourdement condamnés, six des personnes qui comparaissaient ont été jugées coupables, et sept ont, par contre, été acquittées.
Une réhabilitation symboliquePour ces dernières, le jugement rendu le 2 juillet a signifié la fin du calvaire. Ou presque. Parce qu’après trois années au cours desquelles elles ont été mises à l’index, emprisonnées, séparées de leurs enfants, une libération et un acquittement ne sont pas suffisants pour repartir à zéro. Ce que la justice a défait, elle ne peut, en effet, le refaire en disant simplement qu’elle s’est trompée. C’est pour cette raison que les sept acquittés se battent dorénavant pour obtenir réparation du préjudice qu’ils ont subi. Et c’est dans cette optique que leurs avocats ont bataillé ferme pour obtenir une entrevue directe avec le ministre de la Justice. C’est aussi pour cela que Dominique Perben a décidé d’accorder ce rendez-vous exceptionnel à des victimes du système judiciaire qui n’a pas été capable, ici, de garantir les droits des innocents. Il s’agit d’une étape supplémentaire dans le processus de reconnaissance des graves dysfonctionnements de la justice, après la mise en place d’une commission chargée de réfléchir notamment sur les règles d’audition des enfants, l’expertise judiciaire et une éventuelle réforme de la détention provisoire.
Le procès d’Outreau a, en effet, fait apparaître des dangers à chacun de ces niveaux. Il a révélé la difficulté d’instruire une affaire de pédophilie et de prendre en compte la parole des enfants victimes comme seule preuve. Mais il a aussi mis en avant les risques qui existent dans un système qui abuse de la détention provisoire et peut, en vertu du principe de précaution, incarcérer des gens sans preuve matérielle. Avec comme questions subsidiaires, le problème de la responsabilité des magistrats qui mènent les instructions et des «experts», psychiatres ou psychologues, qui jugent de la crédibilité des victimes et des accusés.
La réhabilitation symbolique à laquelle les acquittés ont eu droit en rencontrant le Garde des Sceaux devrait être complétée par des dédommagements financiers accordés par l’institution judiciaire pour le préjudice subi, comme cela avait été le cas pour Patrick Dils. Après avoir passé 15 ans en prison pour un double meurtre, celui-ci avait finalement été innocenté en 2002. L’Etat lui avait alors versé une indemnité d’un million d’euros.
Mais au-delà de leur propre cas, les sept acquittés du procès d’Outreau veulent aussi se battre pour que les six autres accusés jugés coupables et qui ont fait appel, soient finalement blanchis eux aussi. L’une d’entre eux, Roselyne Godart, a d’ailleurs créé un comité de soutien, le «comité des six», pour aider les condamnés «à laver leur honneur». Car face à l’injustice, ils se sentent désormais tous solidaires.
par Valérie Gas
Article publié le 27/09/2004 Dernière mise à jour le 27/09/2004 à 15:40 TU